(Paris) « Du coup, pourquoi le film est sous-titré ? » La question est venue d’un spectateur, à la fin de la projection de Vampire humaniste cherche suicidaire consentant d’Ariane Louis-Seize, présenté en avant-première vendredi dernier au cinéma UGC Ciné Cité Les Halles de Paris.

J’ai souri à ce « du coup », tic de langage franco-français qu’on ne remarquait pas il y a 20 ans, avant de me rendre compte que le spectateur nous charriait. C’était un Québécois vivant à Paris qui se demandait pour quelle raison les films réalisés dans la « Belle Province » sont sous-titrés en France alors que ceux qui viennent du Sénégal, par exemple, ne le sont pas.

On parle la même langue, a-t-il dit en substance, en s’étonnant que Le successeur du Français Xavier Legrand, actuellement à l’affiche en France, ne soit pas sous-titré alors qu’il est aussi campé au Québec et met en vedette Marc-André Grondin, sans accent français pour les trois quarts du film. Pourquoi deux poids, deux mesures ?

Sur scène, devant cette grande salle comble de quelque 500 spectateurs, Ariane Louis-Seize était visiblement ennuyée. Cette décision n’était pas de son ressort, a-t-elle précisé, avant que son distributeur ne vole à son secours pour justifier les sous-titres.

La décision n’a pas été prise à la légère, selon le distributeur, mais des exploitants de salles ne comprenaient pas la bande-annonce et préféraient des sous-titres. Dans les projections-tests, les spectateurs français n’arrivaient pas à saisir une dizaine de phrases du film. Ce fut le cas notamment du public du very French Paris International Fantastic Film Festival, où Vampire humaniste cherche suicidaire consentant a remporté le prix du meilleur film, en décembre. Il a donc été décidé de sous-titrer l’ensemble de l’œuvre plutôt que certaines scènes en particulier.

« Vampire humaniste cherche suicidaire consentant fonctionne grâce à son humour constant (le vocabulaire québécois joue forcément un rôle là-d’dans) qui se charge de mélancolie aux moments les plus justes. Et grâce à son actrice principale, la formidable Sara Montpetit, découverte dans Falcon Lake de Charlotte Le Bon », écrivait le magazine Première la veille de la sortie du film d’Ariane Louis-Seize, mercredi.

Il se trouve que dans Falcon Lake, les dialogues des acteurs québécois étaient sous-titrés en France, mais pas ceux des (rares) acteurs français. Comme s’il s’agissait, oui, de langues distinctes. C’est Sara Montpetit elle-même qui a rappelé ce paradoxe après l’avant-première parisienne.

Le vocabulaire de Vampire humaniste cherche suicidaire consentant, les mots et les expressions choisis par Ariane Louis-Seize et sa coscénariste Christine Doyon sont effectivement, comme le souligne Première, essentiel à l’effet comique et au rythme irrésistible de ce récit d’apprentissage très bien reçu par la critique française. Le site Allociné a recensé une vingtaine de critiques, du Monde au Figaro, en passant par Libération et Télérama, pour une note moyenne de trois étoiles et demie.

PHOTO FOURNIE PAR H264

Image tirée de Vampire humaniste cherche suicidaire consentant

Je comprends que le petit distributeur français de cette comédie québécoise, Wayna Pitch, ne peut se permettre de s’aliéner une partie de son public en raison de sous-titres. On ne peut du reste accuser le distributeur de Noémie dit oui et du Plongeur de ne pas soutenir le cinéma québécois. Mais on aurait envie de rappeler aux spectateurs français qu’il n’est pas nécessaire de comprendre chaque mot d’un scénario pour en saisir l’essentiel.

Lorsque je vois un film qui met en scène des jeunes de la banlieue parisienne ou des vieux Marseillais, j’en rate des bouts moi aussi, évidemment. Je ne voudrais pas de sous-titres pour autant. À mon corps défendant, les sous-titres m’incitent à lire plutôt qu’à écouter. Même si je comprends la langue.

Ce qui m’a frappé, dans les sous-titres franco-français de Vampire humaniste cherche suicidaire consentant, c’est à quel point ils sont inutiles pour l’essentiel. La plupart des dialogues sont retranscrits mot à mot. Sinon, on tatillonne sur la correction de la langue.

On oublie que cette comédie met en scène des adolescents québécois parlant une langue vernaculaire truffée de calques et d’anglicismes, pas une troupe de théâtre du lycée Henri-IV récitant du Racine.

Lorsque le personnage de Paul (Félix-Antoine Bénard) dit qu’il va « prendre une chance », les sous-titres précisent plutôt qu’il va « courir le risque ». Lorsqu’il dit qu’il a « manqué » quelque chose, on écrit qu’il l’a « raté ». Mais lorsqu’il se fait traiter de « cave », on traduit par « naze » plutôt que par « boloss », plus populaire chez les ados français.

Je serais curieux de savoir ce que les exploitants de salle n’ont pas compris dans la bande-annonce de Vampire humaniste. Les sous-titres et les dialogues y sont identiques, à l’exception d’une seule phrase. La directrice d’école (Micheline Bernard) demande à Paul et à sa mère (Madeleine Péloquin) : « Qu’est-ce qui me dit que la prochaine fois, ce sera pas à un camarade qu’il va s’en prendre ? ». Les sous-titres traduisent par : « Et si la prochaine fois, il s’en prend à un camarade ? » Blanc bonnet, bonnet blanc.

Ce qu’ils n’ont pas compris, évidemment, c’est notre accent. À l’instar d’Ariane Louis-Seize, lorsqu’un spectateur lui a demandé si la musique de son film avait été inspirée par Stranger Things, prononcé avec un fort accent parisien transforme le « th » en « s » et Things en Sings. Du coup, je me suis dit que ç’aurait pu être bien pire. Le film aurait pu être doublé…