(Berlin) Au milieu d’une phrase, la voix de la Montréalaise Meryam Joobeur s’est brisée. Elle venait d’inviter à la rejoindre sur la scène du Berlinale Palast toute l’équipe de son premier long métrage, Là d’où l’on vient, présenté jeudi en compétition officielle du 74Festival international du film de Berlin. Elle venait aussi de saluer sa famille, présente dans la salle, juste après le générique et les applaudissements nourris d’un public encore sous le choc.

Là d’où l’on vient, un film dur, troublant, déchirant, mais aussi beau et poétique, témoigne de la force des liens qui unissent une famille et de l’amour inconditionnel et inextinguible d’une mère pour un fils. « La raison pour laquelle j’ai fait ce film, c’est que je considère la famille comme le socle de la société. Si on peut guérir une famille, on peut guérir une société », a déclaré la cinéaste de 32 ans, de sa voix douce redevenue posée.

PHOTO LIESA JOHANNSSEN, REUTERS

La réalisatrice, scénariste et productrice Meryam Joobeur entourée de l’équipe de son dernier film, Là d’où l’on vient

Meryam Joobeur avait été jusque-là un monument de calme et de retenue, notamment en conférence de presse quelques heures plus tôt. « Elle n’est pas du tout nerveuse », m’a confié juste avant la projection gala du film son amie Jacquelyn Mills, cinéaste montréalaise de Geographies of Solitude (présenté à la Berlinale en 2022).

« Je vais vous laisser digérer le film », a ajouté Meryam Joobeur, rayonnante sur scène, malgré l’émotion dans sa voix. Quelques heures plus tard, je digérais toujours cette œuvre contemplative et énigmatique, qui pourrait très bien se retrouver au palmarès samedi soir.

PHOTO FOURNIE PAR LA BERLINALE

Adam Bessa, Malek Mechergui dans Là d’où l’on vient

Coproduit par le Canada, la France et la Tunisie, Là d’où l’on vient met en scène plusieurs des mêmes acteurs (Salha Nasraoui, Mohamed Hassine Grayaâ ainsi que les frères Malek, Rayen et Chaker Mechergui) du brillant court métrage Brotherhood, qui a valu à la cinéaste québécoise d’origine américano-tunisienne d’être finaliste aux Oscars en 2020.

On pourrait même croire, à tort, que le long métrage dont le titre de travail était Motherhood est une relecture du court métrage. On y retrouve au départ le même berger tunisien qui digère mal le retour au village de son fils prodigue parti faire le djihad en Syrie, au bras d’une femme qui porte un enfant et le niqab. Là d’où l’on vient est plutôt une excroissance de Brotherhood, au sein de la même famille, mais dans un univers parallèle.

Le film, étonnant de maîtrise et de maturité, explore des zones plus troubles encore. Il s’intéresse au regard que porte une mère sur un fils souffrant d’un syndrome post-traumatique, brebis égarée qui peine à renouer avec le troupeau, puis agneau sacrificiel.

Il se penche aussi sur les préjugés que l’on porte tous en nous, sur les racines du mal, sur la déshumanisation en temps de guerre et la manière dont les hommes réduisent les femmes au silence, en leur faisant porter le poids de leur turpitude.

PHOTO FOURNIE PAR LA BERLINALE

Rayen Mechergui dans Là d’où l’on vient

C’est dans l’évocation subtile et onirique de ces sujets complexes et souvent douloureux, dans la manière singulière de les aborder, avec une économie de paroles et un grand respect du silence, ainsi que des images jamais gratuites, souvent symboliques et toujours signifiantes, que se démarque déjà la signature forte de Meryam Joobeur.

Panser des blessures

La caméra du directeur photo Vincent Gonneville, son collaborateur depuis une décennie, reste pour l’essentiel au plus près de personnages extrêmement expressifs, incarnés par des acteurs professionnels et non professionnels inspirés d’une même justesse de ton. Elle embrasse aussi de magnifiques paysages escarpés du nord de la Tunisie, en bord de mer.

PHOTO FOURNIE PAR LA BERLINALE

Salha Nasraoui, Rayen Mechergui dans Là d’où l’on vient

« Ma famille est tout ce que j’ai. Alors, à qui j’appartiens ? », demande Brahim, le père au visage fermé de cette famille déchirée par l’extrémisme, et pas seulement religieux (le titre anglais du film est Who Do I Belong to ? ). C’est une question que se pose aussi Meryam Joobeur, qui a passé sa petite enfance en Tunisie, mais a grandi aux États-Unis, où elle est née pendant les études supérieures de son père, avant d’arriver à Montréal pour ses études universitaires en 2009 et de s’y installer.

PHOTO TOBIAS SCHWARZ, AGENCE FRANCE-PRESSE

Meryam Joobeur

« J’ai souvent l’impression d’être dans un entre-deux, de ne pas appartenir tout à fait à une culture ou à une autre », a-t-elle expliqué en conférence de presse jeudi. C’est aussi pour panser des blessures qu’elle a réalisé cette fable aux accents surréalistes et aux contours pas toujours clairs (comme les images de songes ou de présages de son film), sur les conséquences de la guerre, sur les dilemmes moraux qui nous tenaillent, sur la famille que l’on choisit et sur l’amour, le vrai, celui qui finit souvent par faire mal.

« Pour moi, la guérison, c’est l’acceptation de la douleur, dit Meryam Joobeur. Plus on la fuit, cette douleur, plus elle nous consume. Il faut embrasser tout le spectre de la possibilité d’être en vie. » Je vous ai dit qu’elle n’avait que 32 ans ?

Les frais d’hébergement ont été payés par la Berlinale et par Téléfilm Canada.