(Berlin) À l’étage du Berlinale Palast, place Marlene-Dietrich, devant l’entrée de la grande salle de gala, on ne peut rater les photographies grandeur nature que les invités de marque dédicacent chaque jour en alternance. Lundi, c’était Isabelle Huppert. Mardi, c’était Martin Scorsese. Mercredi, Denis Côté a griffé à son tour son portrait, qui est accroché au mur parmi ceux de tous les membres des jurys depuis le début de la 74e Berlinale.

Il n’y a pas de cinéaste québécois plus associé au Festival de Berlin que Denis Côté. C’est un abonné. Il y a présenté sept de ses films depuis Bestiaire en 2012, dont quatre en compétition officielle. Il y était encore l’an dernier avec Un été comme ça. Il a remporté en 2013 l’Ours d’argent de l’innovation pour Vic+Flo ont vu un ours et en 2021, pour Hygiène sociale, le Prix de la meilleure réalisation de la section Encounters.

Cette année, il fait partie du jury de cette section consacrée aux formes de cinéma dites plus audacieuses. Et il ne semble pas trouver la tâche facile, même si les autres jurés sont des cinéastes qu’il connaît et apprécie. « On se demande comment procéder pour les délibérations, dit-il. Est-ce qu’on propose chacun son palmarès personnel ? Est-ce qu’on arrive avec cinq films qui méritent de faire partie de la discussion ? »

On ne le devinerait pas à écouter ses angoisses de juré, mais Denis Côté est à Berlin comme un poisson dans l’eau. Il semble gêné que je le lui fasse remarquer, mais il est ici dans « son » festival. « C’est un honneur d’être là, c’est sûr, me confie-t-il entre deux projections, au café de l’hôtel de Potsdamer Platz où logent tous les jurés. Mais je ne suis tellement pas du genre à parler avec mon ressenti et mon cœur que dans la même phrase, je me sens obligé de te dire que Carlo [Chatrian, le directeur artistique sortant de la Berlinale] est rendu un ami. »

Il n’est pas à Berlin que parce qu’il a des amis influents. Il fait partie des auteurs qui comptent dans le cinéma mondial.

Ses films ont été présentés dans une quarantaine de rétrospectives à travers la planète. Il y en aura une nouvelle à l’automne en Colombie. La plateforme Criterion Channel – caverne d’Ali Baba numérique des cinéphiles – a mis récemment en lumière quelques-unes de ses œuvres.

À Berlin, on se l’arrache. Je l’ai croisé dans deux cocktails et j’ai fait la queue avec lui avant une projection officielle au Berlinale Palast. Toutes les cinq minutes en moyenne, quelqu’un est venu lui taper sur l’épaule pour le saluer. Un cinéaste ou une actrice, un directeur de festival ou un programmateur, d’Europe, d’Asie, d’Amérique du Sud, du Canada ou des États-Unis. Barrabas dans la Passion (pas le film d’Hamaguchi ni celui de Scorsese).

Sur le circuit des festivals internationaux, cet ancien critique, enfant chéri des Cahiers du cinéma, a probablement été le cinéaste québécois le plus sollicité depuis 15 ans. Mademoiselle Kenopsia, son plus récent film, vient d’être invité en Corée du Sud. Le paradoxe, c’est que ses œuvres sont généralement vues au Québec par moins de 5000 personnes. « C’est la plus belle salle que je vais avoir. C’est ce soir que ça se passe ! » a-t-il déclaré devant un jeune public enthousiaste, lors de la première de ce fascinant essai cinématographique, l’automne dernier, dans le cadre des Rencontres internationales du documentaire de Montréal.

PHOTO FOURNIE PAR H264

Larissa Corriveau dans Mademoiselle Kenopsia, de Denis Côté

Je l’ai croisé quelques semaines plus tôt à Rouyn, au banquet d’ouverture du Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue, et il y était moins sollicité qu’à Berlin. C’est pourtant l’un des plus grands ambassadeurs de notre septième art. Je me souviens que lors d’une visite dans une vidéothèque à Paris, il y a quelques années, il n’y avait que trois cinéastes dans la section Québec : Denis Villeneuve, Xavier Dolan et Denis Côté.

En 2009, ils étaient tous les trois sélectionnés à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes. Côté pour Carcasses, Villeneuve pour Polytechnique et Dolan pour J’ai tué ma mère. Ils concouraient aux côtés de Hong Sang-soo, Michel Franco, les frères Safdie, Naomi Kawase, Alain Guiraudie, Riad Sattouf, Pedro Costa, Hippolyte Girardot, Sebastian Lelio, la regrettée Lynn Shelton et nul autre que Francis Ford Coppola.

Les 15 longs métrages de Denis Côté ont été lancés dans des festivals de catégorie A. Seulement deux d’entre eux n’ont pas remporté de prix dans un festival. Le lauréat du Prix de la meilleure réalisation du Festival de Locarno pour Curling, en 2010, fait partie d’une chapelle, celle du champ gauche du cinéma mondial. Il en est conscient et s’en excuse presque.

Je pense que j’ai profité de la vieille idée de la politique des auteurs des Cahiers. On découvre un auteur, on est là pour son prochain film, et puis si on l’aime, on ne le lâche plus. On suit une signature. Je ne m’en plains pas ! Ça fait 20 ans que je gagne ma vie en faisant des films pointus. Je ne dis pas que c’est de la chance, mais c’est un luxe.

Denis Côté

Son lien est à ce point étroit avec les festivals de films que le cofondateur du Festival de cinéma de la Ville de Québec, Olivier Bilodeau, a proposé de lui faire don d’un rein. Côté souffrait d’insuffisance rénale depuis 17 ans. La greffe a eu lieu l’été dernier. « C’est un beau miracle, la transplantation. Chaque jour qui passe, je pense à Olivier et j’essaie encore de trouver comment je pourrai le remercier. »

Il dit avoir retrouvé une énergie qu’il n’avait plus depuis un moment. Mais il a craint le pire lorsque des symptômes grippaux se sont déclarés le week-end dernier chez différents jurés. L’un d’entre eux a même dû être hospitalisé. « Je suis encore un peu fragile. Mon système immunitaire est faible, mais je vais dans des soirées et j’arrive à faire des choses que je n’aurais pas pu faire dans les cinq dernières années. »

Le cinéaste reste aussi prolifique – il a quatre projets plus ou moins en chantier – mais il ne compte pas retrouver le rythme effréné du circuit des festivals qu’il a connu auparavant. « J’ai dû faire une pause forcée de 18 mois, dit Côté, qui a eu 50 ans récemment. La maladie et l’âge m’ont fait réfléchir au rythme des festivals. Même si c’est sûr que ça fait toujours plaisir quand un jeune m’aborde dans la rue, à l’étranger, pour me dire qu’il aime mon cinéma. »

Les frais d’hébergement ont été payés par la Berlinale et Téléfilm Canada.