Sexe, drogues, violence… et mégalomanie. C’est le résumé que font certains spectateurs de Megalopolis, le nouveau film de Francis Ford Coppola, sélectionné jeudi en compétition officielle au 77e Festival de Cannes. Cette dystopie décadente met en vedette Adam Driver dans le rôle d’un architecte progressiste nommé César, dont l’amoureuse est la fille du maire conservateur de la ville, Frank Cicéron (Giancarlo Esposito).

Produit à compte d’auteur par Coppola pour une somme de 100 à 120 millions US, ce péplum de science-fiction inspiré par la chute de l’Empire romain et campé dans une mégalopole futuriste aux airs de New York a surtout fait les manchettes en début de semaine en raison de ses difficultés à trouver un distributeur.

Personne ne semble vouloir s’associer pour l’instant à ce projet fou, décrit comme expérimental et à faible potentiel commercial, malgré sa distribution composée de stars du moment (Driver, Aubrey Plaza, Shia LaBeouf). Les tiroirs-caisses des cinémas ne risquent pas de s’affoler, selon les observateurs hollywoodiens.

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Adam Driver

On se demande plutôt comment, sans contrat de distribution, le cinéaste de 85 ans qui n’a pas réalisé de film depuis 2011 (Twixt) fera ses frais avec ce projet de cœur qu’il traîne dans ses cartons depuis le tournage d’Apocalypse Now, il y a 45 ans. Il faudra qu’il vende bien des bouteilles de vin de son vignoble californien pour rembourser toutes ces dépenses.

Déjà que les nouvelles du tournage, tout sauf rassurantes, faisaient craindre un naufrage titanesque.

Arrive à la rescousse le Festival de Cannes qui, peut-être pour aider Coppola à renverser la vapeur des mauvaises rumeurs, a laissé fuiter dès mercredi la nouvelle de la sélection de Megalopolis en compétition officielle. Le délégué général du Festival, Thierry Frémaux, avait déjà déclaré que ce serait un honneur d’accueillir le double palmé d’or sur la Croisette cette année. Il a ajouté jeudi, au moment du dévoilement de la sélection officielle, que Coppola faisait partie de la famille cannoise.

La relation entre les deux hommes ne semble pourtant pas toujours avoir été au beau fixe. Coppola, qui a remporté les plus grands honneurs du Festival il y a 50 ans pour The Conversation, puis de nouveau pour Apocalypse Now en 1979, n’avait pas depuis présenté un autre film en compétition. En 1996, il avait présidé le jury de la compétition officielle et avait, semble-t-il, barré la route au controversé Crash du Canadien David Cronenberg, de retour en compétition cette année avec Shrouds, un film à teneur autobiographique mettant en vedette Vincent Cassel et Diane Kruger.

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Thierry Frémaux lors de la conférence de presse jeudi annonçant les films en compétition officielle lors du prochain Festival de Cannes.

En 2009, Coppola avait levé le nez sur une soirée de gala pour son film Tetro en sélection officielle, sous prétexte que Thierry Frémaux ne voulait pas l’accueillir en compétition. Le film s’était plutôt retrouvé en ouverture d’une section parallèle, la Quinzaine des réalisateurs (devenue la Quinzaine des cinéastes), en compagnie des Québécois Denis Villeneuve, Denis Côté et Xavier Dolan.

Je me souviens d’un Francis Coppola irrité, s’adressant au public de la Quinzaine après la projection de son film (loin d’être mémorable) en se plaignant qu’on avait tenté de lui faire le même coup avec Apocalypse Now, parce que le film n’était pas terminé.

Les rumeurs du « tournage catastrophique » de Megalopolis font inévitablement penser au chemin de croix de Coppola sur le plateau d’Apocalypse Now, sa vision hallucinée de la guerre du Viêtnam. Coppola avait déclaré en conférence de presse à l’époque, avant d’obtenir sa deuxième Palme d’or, que les 16 mois de tournage du film avaient rendu tout le monde fou.

Martin Sheen, qui avait 36 ans, avait fait une crise cardiaque sur le plateau ; il pleuvait sans arrêt aux Philippines et le gouvernement de Ferdinand Marcos mettait des bâtons dans les roues. Marlon Brando avait menti en prétendant qu’il avait lu Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad, qui a inspiré le scénario. Comme à son habitude, il ne connaissait pas ses répliques.

Coppola avait failli y laisser sa peau. Il avait investi toutes ses économies dans le film et était au bord de la faillite. L’homme d’affaires prospère qu’il est devenu n’en est plus là. Il reste qu’on lui souhaite – et qu’on nous souhaite – un dénouement aussi heureux qu’en 1979.

Le légendaire cinéaste pourrait devenir, le 25 mai, le premier triple palmé d’or de l’histoire. La tâche ne sera pas facile. Il fera concurrence à au moins 18 cinéastes. Parmi ceux-ci, on ne retrouve que quatre femmes (elles étaient sept l’an dernier) : les Françaises Coralie Fargeat (The Substance, avec Demi Moore et Margaret Qualley) et Agathe Riedinger, qui présentera son premier film, Diamant brut ; l’Indienne Payal Kapadia (All We Imagine Is Light) ; ainsi qu’une habituée de la Croisette, la Britannique Andrea Arnold (Bird).

La faible représentation féminine étant le talon d’Achille récurrent du Festival de Cannes, je ne serais pas surpris qu’au moins une réalisatrice compte parmi les deux ou trois cinéastes qui risquent de s’ajouter à la compétition – dont le jury est présidé par Greta Gerwig – d’ici l’ouverture de l’évènement, le 14 mai.

On retrouve pour l’instant deux acteurs québécois dans cette sélection cannoise : Roy Dupuis, qui tient aux côtés de Cate Blanchett, Alicia Vikander et Charles Dance la vedette de Rumours, des cinéastes winnipegois Evan Johnson, Galen Johnson et Guy Maddin, présenté hors compétition ; ainsi qu’Anne Dorval, de la distribution du Procès du chien de la cinéaste et comédienne française Lætitia Dosch, qui sera présenté dans la section Un certain regard, dont le jury est présidé par… Xavier Dolan.

Rappelons que les sélections des sections parallèles de la Semaine de la critique et de la Quinzaine des cinéastes seront dévoilées respectivement lundi et mardi. Selon une rumeur cannoise persistante, on pourrait y retrouver le nouveau film du Québécois Matthew Rankin (né lui aussi à Winnipeg), Une langue universelle.

Le 77e Festival de Cannes se tiendra du 14 au 25 mai.