Oui, il y a eu l’an dernier Barbie et son retentissant succès planétaire : quelque 1,4 milliard de dollars américains de recettes. Oui, il y aura dimanche, pour la première fois en 96 cérémonies des Oscars, trois œuvres réalisées par des femmes en lice pour l’Oscar du meilleur film : Barbie de Greta Gerwig, Anatomie d’une chute de Justine Triet et Past Lives de Celine Song.

Mais derrière ces succès historiques, tout n’est pas rose. Il y a eu des avancées récentes pour les femmes dans le cinéma, mais elles se sont souvent faites à coups de « deux pas en avant, un pas en arrière ».

Depuis 2019, le pourcentage de femmes dans des rôles principaux au cinéma hollywoodien ne cesse de décliner. Cette proportion n’était que de 32 % en 2023 contre 44 % en 2019 selon une étude du Hollywood Diversity Report, rendue publique jeudi. « Les femmes ont perdu du terrain en matière de représentation, que ce soit pour les rôles principaux, les scénaristes ou l’ensemble des acteurs », constatent les experts de l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA) qui publient depuis 12 ans ce rapport annuel.

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Celine Song, réalisatrice du film Past Lives

Cette nouvelle étude s’ajoute à d’autres ayant fait des constats semblables depuis quelques semaines. Parmi les 100 films les plus populaires aux guichets en 2023, seulement 30 mettaient en scène des femmes ou des filles dans de premiers rôles, le plus bas pourcentage depuis 2010, selon une étude de l’Université de Californie du Sud (USC) publiée le mois dernier.

Parmi ces 100 films, seulement trois mettaient en vedette une actrice principale de 45 ans ou plus, alors que 32 % avaient pour tête d’affiche un homme dans cette même catégorie d’âge. « C’est un recul catastrophique pour les femmes et les filles », a déclaré par communiqué l’une des coauteures de l’étude, Stacy L. Smith, qui constate une « nette corrélation entre qui est derrière la caméra et qui l’on voit à l’écran ».

Consultez un résumé de l’étude (en anglais)

Les réalisateurs ont plus tendance à mettre en scène des hommes dans des rôles principaux, comme les réalisatrices sont plus enclines, dans une moindre mesure, à donner de premiers rôles à des actrices.

Or, selon une autre étude, celle-ci de l’Université d’État de San Diego, seulement 16 % des 250 films les plus populaires de 2023 étaient réalisés par des femmes

La moitié des comédiens membres de l’Académie des Oscars sont des comédiennes, mais on ne le devinerait pas même en scrutant à la loupe la plupart des films hollywoodiens.

Il faut en effet, pour le comprendre, remonter à la source du problème. Celle de la représentation féminine dans l’industrie du cinéma américain. L’Académie des Oscars, dont les membres sont admis sur invitation seulement, est désormais composée à 34 % de femmes. En 2016, au moment où l’Académie a promis de doubler le nombre de ses électrices, elles ne comptaient que pour 24 % de ses membres.

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Justine Triet, réalisatrice du film Anatomie d’une chute

Encore aujourd’hui, les femmes ne représentent que le tiers des producteurs et cadres de l’Académie, ainsi que le quart des cinéastes qui choisissent les finalistes dans la catégorie de l’Oscar de la meilleure réalisation. Il n’y a cette année qu’une candidate (Justine Triet). Dans toute l’histoire des Oscars, seulement huit femmes ont été nommées dans cette catégorie et trois ont remporté la prestigieuse statuette (Jane Campion, Kathryn Bigelow et Chloé Zhao).

Le problème de la sous-représentation des réalisatrices ne tient pas qu’à leur nombre. Elles sont aussi moins susceptibles de se voir attribuer de gros budgets.

Greta Gerwig compte parmi seulement trois femmes qui ont réalisé un film en 2023 grâce à un budget de plus de 100 millions US, contre 25 réalisateurs qui ont eu droit à ce privilège.

Au Québec, les femmes ont aussi plus difficilement assez accès que les hommes aux budgets les plus conséquents, constate l’organisme Réalisatrices équitables, qui compile et analyse depuis 2007 les statistiques sur notre cinéma. En 1995, selon ses données, la part de l’enveloppe budgétaire consacrée aux réalisatrices n’était que de 8 %. Dix ans plus tard, elle n’avait progressé qu’à 13 %.

L’engagement de Réalisatrices équitables ainsi que les mesures mises en place par les organismes subventionnaires afin d’atteindre la parité ont récemment porté leurs fruits. En 2020-2021, année fiscale pour laquelle cet objectif avait été fixé, les projets réalisés par des femmes ont reçu 56 % des budgets accordés par Téléfilm Canada et 50 % de ceux attribués par la SODEC. Le financement des projets de réalisatrices est demeuré depuis « en zone paritaire », selon Téléfilm Canada.

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Monia Chokri a remporté le César du meilleur film étranger pour Simple comme Sylvain.

Cela se fait bien sûr sentir sur les écrans, où les réalisatrices ont triomphé dans la dernière année, à la fois aux guichets – Le temps d’un été de Louise Archambault a accumulé plus de 2 millions de dollars de recettes et Les hommes de ma mère d’Anik Jean, près de 2 millions –, mais aussi dans les festivals et les remises de prix. Simple comme Sylvain de Monia Chokri (plus de 1 million de recettes au Québec) a remporté le César du meilleur film étranger après sa présentation au Festival de Cannes. Vampire humaniste cherche suicidaire consentant d’Ariane Louis-Seize, primé à la Mostra de Venise, est nommé 12 fois aux prochains Prix Écrans canadiens.

Si les plus récentes données sont encourageantes, les acquis demeurent fragiles, rappelle Réalisatrices équitables. « Au rythme où vont les choses, la parité, c’est-à-dire le moment où les femmes détiendront 50 % des rôles clés [dans l’industrie du cinéma], ne sera atteinte qu’en 2215 au Canada », selon une étude interdisciplinaire menée entre 2005 et 2020, dont les résultats ont été dévoilés il y a deux semaines au Festival de Berlin.

Dans 191 ans. Quand on dit qu’il reste du chemin à parcourir…