(Berlin) Atom Egoyan n’avait pas l’air ravi de la question que je lui ai posée en conférence de presse, jeudi après-midi, sur le thème récurrent de l’inceste dans son cinéma. Le sujet était vaguement évoqué dans Exotica, abordé de front dans The Sweet Hereafter, et il se trouve de nouveau au cœur de Seven Veils, présenté hier à la Berlinale, après une première mondiale au Festival de Toronto.

« Je ne vais pas m’y attarder, j’en ai déjà parlé, mais à l’adolescence j’ai été témoin aux premières loges – pas dans ma famille – d’une relation abusive avec une personne qui était très proche de moi. J’ai un rapport très fort à ce sujet, à titre d’observateur », a précisé le cinéaste canadien, avant de vite passer au prochain numéro. Avec le recul, ce n’était peut-être pas le meilleur des contextes pour parler d’inceste. À ma décharge, la conférence de presse tirait à sa fin et on tournait autour du pot depuis le début.

Seven Veils met en vedette Amanda Seyfried dans le rôle de Jeanine, une metteure en scène de théâtre appelée à remonter l’œuvre la plus célèbre de son mentor, l’opéra Salomé, de Richard Strauss. Le mentor, récemment disparu, s’est inspiré dans sa mise en scène de la relation de Jeanine avec un père qui « l’aimait trop », comme le laissait entendre Oscar Wilde (en français dans le texte).

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Amanda Seyfried et Atom Egoyan lors de la conférence de presse de Seven Veils présentée à Berlin

Pourquoi Salomé ? a demandé un journaliste à Egoyan, cette fois heureux de répondre. « J’ai mis en scène cette production pour la première fois en 1996. Je l’ai remontée sept fois et lors de la reprise l’an dernier, à la Canadian Opera Company de Toronto, j’ai eu l’idée de ce scénario. J’ai tout de suite pensé à Amanda, avec qui je voulais retravailler depuis Chloé (2009). »

Aussi, l’opéra que l’on voit à l’écran est inspiré de la mise en scène de Salomé par Egoyan lui-même, marqué à vie par l’inceste subi par une de ses amies.

Bref, toute est dans toute, comme dirait Raôul Duguay. Même s’il s’égare dans un dédale conceptuel, froid et cérébral, de références littéraires et de mises en abyme, Seven Veils est le film le plus inspiré, le plus cohérent et le plus abouti d’Atom Egoyan depuis 25 ans.

PHOTO AMANDA MATLOVICH, AMANDA MATLOVICH

Amanda Seyfried dans Seven Veils

Les mauvaises langues diront que la barre n’était pas haut placée. Ça me peine de l’admettre, Egoyan ayant été déterminant dans mon parcours de jeune cinéphile, mais c’est vrai. Le cinéaste torontois a marqué le cinéma des années 1980 et 1990 grâce à des propositions audacieuses comme Next of Kin, Family Viewing et Calendar, toutes présentés à la Berlinale.

Je dois beaucoup à ce festival, je suis toujours ému d’y être et fier d’avoir présidé le jury qui a accordé l’Ours d’or il y a 21 ans à In this World [de Michael Winterbottom], un film qui traite du sort des réfugiés.

Atom Egoyan

Il reste que dans le dernier quart de siècle, Egoyan s’est enlisé dans un marasme de thrillers psychologiques plus ou moins érotiques et généralement mal ficelés. Il y parvient ici. S’il laisse en plan quelques personnages mal définis et n’arrive pas à nouer toutes les ficelles, il se démarque grâce à une réalisation particulièrement élégante et une réflexion structurée de brillante façon sur l’art, le désir, ce qui les inspire et ce qui en découle.

Le Canada à Berlin

Il y a une forte présence canadienne à la Berlinale cette année « Quand tu regardes notre sélection, avec Meryam [Joobeur] et ses deux productrices en compétition avec son premier long métrage, et à l’autre bout du spectre, Atom Egoyan, de la relève féminine au plus chevronné, c’est absolument extraordinaire », constate Julie Roy, directrice générale de Téléfilm Canada, dont l’un des mandats est de faire rayonner le Canada à l’étranger.

Elle était à la première de Comme le feu, de Philippe Lesage, dimanche soir, et à celle d’Intercepted, d’Oksana Karpovych, en après-midi. « Elle est tellement éloquente ! J’ai aussi rencontré ses deux producteurs qui ont été formés à l’INIS, dit Julie Roy, que j’ai interviewée brièvement cette semaine à la Berlinale. En plus, il y a nos deux jurés, Denis Côté et Andréa Picard [programmatrice du TIFF membre du jury du meilleur premier long métrage]. Je me dis qu’il y a quelque chose qui fonctionne dans notre volet international. »