(Berlin ) Le cinéma est politique, a rappelé cette semaine la romancière, poète et militante ukrainienne Oksana Zabuzhko, qui fait partie du jury de la compétition de la 74e Berlinale. Quiconque a vu Navalny, le fascinant documentaire oscarisé l’an dernier du Canadien Daniel Roher, n’a pas dû être trop surpris d’apprendre la mort dans une prison de l’Arctique du célèbre dissident russe Alexeï Navalny, vendredi.

Il a « payé son courage de sa vie », a déclaré le président ukrainien Volodymir Zelensky, de passage en coup de vent à Berlin, vendredi matin, pour signer un accord de sécurité bilatéral avec le chancelier allemand Olaf Scholz. Navalny, un avocat qui avait voulu faire campagne contre le président russe Vladimir Poutine en 2018, a été empoisonné deux ans plus tard avant d’être soigné à Berlin. Il est rentré à Moscou, se doutant bien qu’il y serait immédiatement emprisonné et probablement tué.

Sa femme, Ioulia Navalnaïa, qui vit en Allemagne, a tenu Vladimir Poutine « personnellement responsable » de la mort de son mari, vendredi, à la Conférence de Munich sur la sécurité, où doit se rendre ce samedi Volodymir Zelensky. Plusieurs centaines de manifestants se sont rassemblés devant l’ambassade de Russie à Berlin, avenue Unter den Linden, vendredi, afin de scander en russe et en allemand des slogans anti-Poutine.

La politique est indissociable du cinéma au Festival du film de Berlin. Alors que le film d’ouverture, Small Things Like These, traitait du mauvais traitement des filles-mères par l’Église catholique irlandaise, un autre film de la compétition, Keyke Mahboobe Man (Mon gâteau préféré), met en lumière l’obscurantisme religieux du régime islamiste iranien.

Ses cinéastes Maryam Moghaddam et Behtash Sanaeeha ont été interdits de voyage à Berlin par les autorités iraniennes, qui leur ont confisqué leurs passeports ainsi que les disques durs et ordinateurs contenant des images de leur nouveau film. « Ils sont poursuivis par la justice pour leur travail d’artistes », a précisé la direction de la Berlinale.

De quoi sont coupables ces cinéastes de 54 et 43 ans considérés comme des dissidents ? D’avoir montré à l’écran la vie banale d’une septuagénaire à Téhéran. Une célibataire retraitée (Lily Farhadpour) qui rencontre dans un restaurant un chauffeur de taxi (Esmail Mehrabi), qu’elle ramène chez elle un soir. Elle retire son voile, ils écoutent de la musique, dansent, boivent du vin. Et plus si affinités.

PHOTO FOURNIE PAR LE FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM DE BERLIN

Lily Farhadpour et Esmail Mehrabi dans Mon gâteau préféré

« C’est l’histoire d’une femme qui vit sa vie, qui veut avoir une vie normale, ce qui est interdit aux femmes en Iran », ont expliqué dans une lettre Maryam Moghaddam et Behtash Sanaeeha, retenus en Iran contre leur gré et représentés vendredi en conférence de presse par une affiche d’eux, souriant, dans un lit, une claquette à la main.

« Nous nous sentons comme des parents à qui il est même interdit de regarder leur nouveau-né. Nous n’avons pas eu le droit aujourd’hui de regarder le film avec vous, public exigeant de ce festival de cinéma. Nous sommes tristes et fatigués, mais nous ne sommes pas seuls », ont-ils ajouté dans cette déclaration lue en conférence de presse par l’actrice principale de leur film, Lily Farhadpour.

La Berlinale fait depuis longtemps une place de choix aux cinéastes iraniens. « Nous avons exprimé notre solidarité avec les femmes et les hommes courageux d’Iran alors qu’ils s’opposaient à un régime qui menace toute forme de résistance », a déclaré la ministre de la Culture allemande, Claudia Roth, à la cérémonie d’ouverture du festival, jeudi.

Mon gâteau préféré n’est peut-être pas aussi abouti que d’autres films iraniens présentés à Berlin – je pense notamment à Une séparation d’Asghar Farhadi ou Taxi de Jafar Panahi, qui ont tous deux obtenu l’Ours d’or ; il n’en demeure pas moins que c’est un film particulièrement courageux dans un climat de censure de plus en plus répressif pour les cinéastes à Téhéran.

« Depuis des années, les cinéastes iraniens réalisent des films selon des règles restrictives, obéissant à des lignes rouges qui, lorsqu’elles sont franchies, peuvent conduire à des années de suspension, d’interdiction et à des procès compliqués. C’est une expérience douloureuse, que nous avons vécue à plusieurs reprises », ont déclaré les coréalisateurs, dont le plus récent long métrage, Le pardon, était aussi inscrit en compétition à la Berlinale en 2021. « Nous croyons qu’il n’est plus possible de raconter l’histoire d’une femme iranienne en respectant ces lignes rouges. »

Les cinéastes ont dédié la première mondiale de leur film aux femmes « braves et honorables de notre pays, qui sont montées au front afin de se battre pour des changements sociaux et qui tentent d’abattre les murs de croyances rétrogrades et fossilisés, sacrifiant leurs vies pour la liberté ».

Avec une pensée émue pour Mahsa Amini, qui n’aura jamais 23 ans.

Les frais d’hébergement ont été payés par la Berlinale et Téléfilm Canada.