Se définissant elle-même comme marginale, Lawrence Côté-Collins s’infiltre dans le système grâce à Bungalow, une comédie noire largement inspirée de sa propre vie. Cette enfant du petit écran, nourrie à la téléréalité, met cette fois la machine du cinéma au service de son imagination. Rencontre avec une réalisatrice qui s’assume dans tous ses aspects.

Bungalow est une comédie noire dont le récit est construit autour d’un jeune couple croyant faire une bonne affaire en achetant une maison complètement délabrée ayant un urgent besoin de rénovations. Comment est née l’idée de ce film ?

Quand je fais du cinéma, les choses partent de moi. J’y mets mes blessures, mes traumas, les anecdotes de ma vie. J’ai grandi dans les rénovations et je suis une maniaque des émissions de décoration. Si on m’annonçait que j’allais mourir dans deux semaines, les deux seuls postes de télé que j’écouterais sans arrêt sont Casa et Canal Vie. Les personnages de Bungalow sont des extensions de ce que je suis. J’ai eu envie de faire la rencontre entre ce que j’aime de la télé et ce que j’aime du cinéma. Les principales causes de séparation chez les couples sont les rénovations, l’envie – ou pas – d’avoir des enfants et l’endettement. Dans Bungalow, on a les trois. Je me suis inspirée de toutes les choses que j’ai vécues ou que j’ai vues. En réalisant Un souper presque parfait pendant six ans, je suis entrée dans 175 maisons différentes !

Le couple de Bungalow vit de vrais drames, dans un cadre qui peut en apparence paraître loufoque. Comment en êtes-vous venue à choisir Sonia Cordeau et Guillaume Cyr pour incarner Sarah et Jonathan, les personnages principaux ?

Je connais Guillaume depuis ses années à l’École nationale de théâtre et il a joué dans Score, un de mes courts métrages. Il est là depuis le début du projet. Pour le personnage de Sarah, qui est très inspiré de moi-même, Sonia a passé une audition. Même si Sarah est une femme intense et dominante qui utilise la violence psychologique, Sonia a tout de suite apporté un côté très cristallin, très fragile, très délicat. Elle a amené des nuances que je n’ai pas. Dans le quotidien, j’ai toujours l’air d’être en train de surjouer ma propre vie dans un théâtre d’été. Sonia a pu faire en sorte qu’on croit au personnage. Comme le décor est très criard, il fallait d’ailleurs que les acteurs n’en fassent pas trop.

Peut-on dire que Bungalow est un film de genre ? Il y a quand même certains éléments qui en relèvent…

Je dis plutôt que je fais du cinéma fusion. Je ne peux pas vraiment entrer dans une case. Je suis moi-même une fuckée complètement flyée, je suis TDAH, je ne me gère pas, je fais tout cuire à broil, et mon cinéma me ressemble. J’ai plein d’idées, comme une pizza all dressed extra bacon, je sacre tout ça là-dedans en me disant que ça va marcher. Ma démarche n’est pas du tout intellectuelle. Je suis mon instinct, mes envies.

PHOTO FOURNIE PAR LES FILMS OPALE

Sonia Cordeau est l’alter ego de la réalisatrice dans Bungalow, un film de Lawrence Côté-Collins.

Dans les communications faites aux médias, on vous définit comme une artiste queer. Est-ce important pour vous de vous définir ainsi ?

On arrive à une époque où l’on fait comme s’il était nouveau de parler de diversité. On milite pour le iel, la non-binarité et le transgenre, mais moi, une bisexuelle dont les films parlent souvent des dualités hommes-femmes, j’ai toujours revendiqué ma bisexualité dans ma vie privée et dans mon cinéma, même à une époque où c’était très mal vu. Aujourd’hui, on veut savoir si un artiste a un diagnostic de santé mentale, quelle est son orientation sexuelle, s’il a des racines autochtones ou s’il est handicapé, et on inscrit la diversité dans des formulaires. Si elle est devenue à la mode, ben je vais la flasher, ma diversité !

C’est une bonne chose d’après vous ?

Oui, parce que la société a longtemps été patriarcale, trop blanche, trop peu à l’écoute des autochtones et des minorités. Là, on vit une période où on cherche dans l’autre extrême. Personnellement, je trouve que pour les demandes de financement, les projets devraient être présentés de façon anonyme.

Vous avez fait partie de Kino Montréal pendant 15 ans. Bungalow marque votre entrée dans un cinéma destiné à un plus large public. Quel est votre sentiment à la veille de la sortie de votre film ?

C’est merveilleux ! Je veux infiltrer le système en gardant mon style. Je ne veux pas me faire avaler ni me faire formater. Quand je fais de la télévision, je suis au service de la machine et quand je fais du cinéma, je veux que la structure serve ma propre machine. Mon pari est de proposer quelque chose de différent. Je souhaite que mon cinéma d’auteur parle aussi au public d’Un souper presque parfait.

Bungalow est maintenant à l’affiche.