Reconnue et célébrée comme actrice, Sandrine Kiberlain a ressenti l’envie viscérale de passer derrière la caméra pour raconter l’histoire d’une jeune fille vivant plusieurs passions de front, dont celle du théâtre, à une époque où le XXe siècle traversait ses heures les plus sombres. Entretien.

Avec le recul, Sandrine Kiberlain se rend maintenant compte à quel point son premier long métrage à titre de réalisatrice parle d’elle. Une jeune fille qui va bien évoque en effet le parcours d’Irène, une jeune fille de 19 ans dont le désir le plus ardent est de devenir actrice. Celle que l’on a vue récemment dans Chronique d’une liaison passagère, d’Emmanuel Mouret, a d’évidence pu s’identifier à la passion qu’éprouve son héroïne pour l’art dramatique.

PHOTO JÉRÔME PRÉBOIS, FOURNIE PAR AD VITAM DISTRIBUTION

Rebecca Marder est la tête d’affiche d’Une jeune fille qui va bien, film de Sandrine Kiberlain.

« Quand on écrit un scénario de long métrage pour la première fois, on ne se rend pas compte à quel point on parle de soi, même si l’on ne raconte pas sa propre vie », confie Sandrine Kiberlain au cours d’un entretien en visioconférence accordé à La Presse plus tôt cette semaine.

PHOTO YOHAN BONNET, AGENCE FRANCE-PRESSE

Une jeune fille qui va bien est le premier long métrage qu’écrit et réalise Sandrine Kiberlain.

Quand je vois Une jeune fille qui va bien aujourd’hui, je réalise que je parle de moi encore plus que je ne le soupçonnais en l’écrivant. Inévitablement, j’ai fait d’Irène une actrice en devenir parce que je voulais parler de la jeunesse, de l’émoi des premières fois. À cet âge, j’ai moi-même eu l’impression d’une renaissance en découvrant ma passion du théâtre.

Sandrine Kiberlain

Le plus beau de la jeunesse

Au thème de la jeunesse s’oppose pourtant l’époque dans laquelle Irène vit ses jeunes années. Sandrine Kiberlain n’a d’aucune façon voulu se lancer dans une reconstitution historique, mais il reste qu’en cette année 1942, alors que les nazis occupent Paris depuis deux ans, le destin d’une jeune fille juive est forcément marqué par l’un des chapitres les plus sombres de l’histoire de l’humanité.

« Je crois que pour aborder de nouveau cette période au cinéma, il faut avoir une idée singulière », indique celle qui, en 2014, a obtenu le César de la meilleure actrice grâce à sa performance dans 9 mois ferme, d’Albert Dupontel. « Dans ce cas-ci, il s’agissait de faire écho à la joie de vivre d’une jeune fille que rien ne devrait arrêter, à un moment où survient pourtant l’inimaginable. »

Opposer la jeunesse dans ce qu’elle a de plus beau à la pire tragédie du monde. Quand j’ai eu cette vision et que des plans très précis sont apparus dans mon esprit, je me suis dit que j’avais un vrai film en tête. Et qu’il fallait que je le fasse.

Sandrine Kiberlain

Très librement inspirée par sa propre histoire familiale – ses grands-parents juifs ont fui la Pologne –, Sandrine Kiberlain a cependant tenu à faire des membres de sa famille de cinéma des Juifs français afin de prendre quand même une certaine distance. Dès le départ, la réalisatrice a fait le choix délibéré de ne tenir aucun rôle à titre d’actrice.

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Anthony Bajon, Rebecca Marder, André Marcon et Françoise Widhoff dans Une jeune fille qui va bien

« C’est d’ailleurs peut-être ce qui explique l’absence de la mère, un personnage que j’aurais pu jouer, soutient-elle. Je ressens bien sûr en moi très fort cette tragédie, mais j’ai fait un pas de côté pour ne pas tomber dans l’histoire intime de ma propre famille. Faire de mes personnages des Juifs français me permettait aussi d’évoquer l’état d’esprit de ces gens qui se sentaient moins vite menacés que les autres. Et de rappeler comment la France s’est positionnée à cette époque. »

Un souvenir atroce

Utilisant les outils du cinéma pour suggérer plutôt que montrer, dans un vrai travail de mise en scène, Sandrine Kiberlain a très vite su comment orchestrer le dernier plan, très fort, de son long métrage.

« Adolescente, j’ai gardé un souvenir atroce du Journal d’Anne Frank, explique la réalisatrice, également autrice du scénario. À la fin de la lecture, je me souviens très bien avoir cherché la page qui aurait dû suivre, laquelle, évidemment, n’existe pas. J’ai voulu faire ressentir cinématographiquement au spectateur le même genre de choc. Il fallait trouver une façon d’interrompre Irène en plein élan, sans que ce soit démonstratif. »

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Rebecca Marder et India Hair dans une scène du film

L’Irène de son histoire est Rebecca Marder. Cette actrice, nommée pour le César du meilleur espoir féminin grâce à sa prestation, a été choisie au fil d’un long processus au cours duquel Sandrine Kiberlain a rencontré une trentaine de jeunes comédiennes.

« Pour que le film existe, il fallait que j’aie envie de filmer cette fille de dos, de face, de tous les côtés, qu’elle ait du charme et que tout le monde ait envie de s’identifier à elle. J’ai franchement eu peur de ne jamais la trouver. Puis Rebecca, que je ne connaissais pas, est arrivée et ce fut immédiat. Dès qu’elle est entrée dans la salle, je me suis dit : “Ça y est. Je l’ai, c’est elle !” »

En attente d’une idée miraculeuse

L’expérience du premier long métrage ayant été concluante, Sandrine Kiberlain ne compte pourtant pas enchaîner les longs métrages à titre de réalisatrice, même si elle espère bien pouvoir retourner derrière la caméra.

« Je suis en train de réfléchir à quelque chose qui commence à se dessiner dans ma tête, mais je ne serai pas de ces metteurs en scène qui font un film tous les ans. Il faut attendre la venue d’une idée miraculeuse qui vous obsède au point de vouloir la partager. Que ce film ait pu être lancé à la Semaine de la critique au Festival de Cannes m’a comblée de joie. Cela m’a indiqué que mon travail a été pris au sérieux, et non vu comme un simple caprice d’actrice. Ce fut pour moi très important et émouvant. Une jeune fille qui va bien est l’une des plus belles expériences artistiques de ma vie. »

Une jeune fille qui va bien est actuellement à l’affiche.

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