On ne veut pas le savoir, on veut le voir ! Je repensais au fameux dicton d’Yvon Deschamps en constatant la réaction aux images virales de Gérard Depardieu sur les réseaux sociaux, tirées de l’émission Complément d’enquête, diffusée jeudi sur la chaîne France 2.

Dans l’épisode intitulé « Gérard Depardieu : La chute de l’ogre », le géant du cinéma français parle constamment des « chattes », des « moules » et des « clitos » des « grosses salopes » qui l’entourent, voire d’une fillette d’environ 10 ans. Il parle aussi à son interprète, une femme, de la « poutre dans son caleçon », sa « bite » qui, soi-disant, pèse à elle seule deux kilos en érection. Il grogne, mime des actes sexuels, dit qu’il aimerait être un cheval qui accueille de multiples cavalières.

Gérard Depardieu se sait filmé, en 2018, pendant le tournage d’un documentaire jamais diffusé de l’écrivain, réalisateur et ex-polémiste de l’émission On n’est pas couché Yann Moix en Corée du Nord. Et il se trouve drôle. De nombreux Français, manifestement, le trouvent moins drôle ces jours-ci.

Ils sont beaucoup, depuis jeudi, à prendre leurs distances avec « Gégé ». Des cinéastes, des producteurs, des comédiens qui, ironiquement, étaient pour la plupart restés cois lorsque Depardieu a été mis en examen pour viol, en 2020, à la suite de la plainte de la comédienne Charlotte Arnould.

On ne les a pas davantage entendus, en avril dernier, lorsque Mediapart a révélé que 13 femmes avaient accusé Depardieu de les avoir harcelées, touchées ou agressées sexuellement. L’une des rares à avoir pris la défense de Charlotte Arnould, il y a trois ans, est Anouk Grinberg, qui a joué aux côtés de Depardieu notamment dans Merci la vie de son ex-compagnon, le cinéaste Bertrand Blier, un proche de l’acteur depuis Les valseuses.

« Ça ne m’a pas étonnée parce qu’il est comme ça tout le temps. Il n’a pas attendu d’être en Corée pour être aussi vulgaire, aussi grossier, aussi agressif avec les femmes », a déclaré Anouk Grinberg lundi, sur les ondes de France Inter. « Il est comme ça parce que tout le monde lui permet d’être comme ça », dit la comédienne, que l’on a vue récemment dans La nuit du 12 et L’innocent. Elle condamne le milieu du cinéma français, « indifférent au mal qu’on fait aux femmes ». Tout le monde connaissait « la crapule » qu’était Gérard Depardieu sur les plateaux de tournage, rappelle-t-elle.

Il mettait à sa guise sa main dans les culottes des comédiennes, maquilleuses ou assistantes, qui n’osaient rien dire de peur de perdre leur job, dit Anouk Grinberg. La comédienne Sarah Brooks a accusé en mai dernier Depardieu d’avoir fait exactement ça sur le plateau de tournage de la série Marseille. Lorsqu’elle a protesté, il lui aurait répondu : « Je croyais que tu voulais réussir [dans le cinéma]. » Bref, en France, on en est encore à la « promotion canapé » et au droit de cuissage des vedettes.

Selon Complément d’enquête, il y a désormais 16 femmes qui accusent Gérard Depardieu d’inconduite sexuelle. Ce n’est fort probablement que la pointe de l’iceberg.

Combien de vies et de carrières brisées ? Combien de femmes ont subi les humiliations ou les attouchements de Depardieu dans le silence ? Combien d’autres ne se sont-elles pas senties épaulées lorsqu’elles ont osé dénoncer leur célèbre agresseur ?

Beaucoup, manifestement. Les langues se délient grâce à une jeune génération de femmes qui n’acceptent plus l’omerta. Et parce que devant les images de France 2, on n’a plus le choix de croire que les comportements sexistes de Depardieu ne relèvent pas que de la banale goujaterie. « Moi, je suis un grand chasseur, je vais toujours voir ce qui ne veut pas se faire voir, se montrer », dit-il à son interprète, qui préfère se faire discrète. Elle est mal tombée, lui dit-on. En effet.

Combien y a-t-il d’autres Gérard Depardieu dans le cinéma français ? Combien d’autres prédateurs sexuels dont tout le monde ou presque, à l’exception des victimes, s’accommode tant bien que mal, en excusant non seulement ses commentaires déplacés, mais aussi ses agressions ? « Gégé, c’est Gégé ! On ne peut pas le changer », semblent-ils tous dire en chœur. On connaît la chanson. C’est la rengaine de l’hypocrisie collective face aux violences sexuelles subies (surtout) par les femmes. Et c’est sans compter les indéfectibles alliés de Depardieu, qui préfèrent accabler les victimes présumées en disant qu’elles sont en mal de lumière et cherchent par tous les moyens à faire parler d’elles.

Une centaine de femmes, dont Catherine Deneuve – proche de Depardieu, avec qui elle a tourné une dizaine de films –, ont signé en janvier 2018 une lettre défendant « la liberté d’importuner » des hommes qui « n’ont eu pour seul tort que d’avoir touché un genou, tenté de voler un baiser, parlé de choses “intimes” lors d’un dîner professionnel ou d’avoir envoyé des messages à connotation sexuelle à une femme chez qui l’attirance n’était pas réciproque ». Dire les années de retard de la France en matière de consentement sexuel…

À l’époque, même le mouvement #metoo et son pendant français #balancetonporc n’ont pas eu raison de Depardieu, qui a continué à tourner comme à son habitude.

Alors que Harvey Weinstein tombait à Hollywood, le roi des porcs français n’a pas été balancé. Sans doute parce que trop de gens qui ont fermé les yeux sur ses comportements, qui l’ont laissé faire ou qui ont minimisé ses actes, savaient qu’ils n’étaient eux-mêmes pas sans reproches. Coupables par association d’indulgence, de complaisance, de négligence.

Plusieurs autres ont préféré ne pas croire que Gérard Depardieu était le personnage abject décrit par les jeunes femmes qui l’ont dénoncé. Parce qu’il est un porte-étendard du cinéma français, l’une des images que l’on s’en fait à l’étranger. Celle du jeune premier du Dernier métro de Truffaut, de Rodin et de Cyrano. Aujourd’hui, il y a d’autres images qui éclipsent celles du cinéma.

Ce qui est malheureux, c’est qu’il faille ces images incontestables pour que plusieurs prennent enfin la mesure du personnage et des dommages qu’il a pu causer. Pour que la débandade de Gérard soit inéluctable. Comme il a fallu des images de Derek Chauvin assassinant George Floyd pour que le mouvement #BlackLivesMatter trouve un ancrage indiscutable. Nous sommes tous atteints de ce même mal de l’époque. Une bande de Thomas qui ne croient pas les victimes en l’absence de preuves vidéo irréfutables. On ne veut pas le savoir, on veut le voir…