(Paris) Le public l’admirait pour ses frasques, la profession s’accommodait de ses débordements : les révélations sur le comportement de Gérard Depardieu envers les femmes jettent une lumière crue sur la prise de conscience du cinéma français en matière de lutte contre les violences sexistes et sexuelles.

Icône nationale au même titre qu’Alain Delon ou Brigitte Bardot, connu dans le monde entier, il a longtemps semblé bénéficier d’une certaine indulgence. Et, ce, même après sa mise en examen pour viols, en 2020, à la suite d’une plainte d’une comédienne alors âgée d’une vingtaine d’années, Charlotte Arnould.

Six ans après le début de l’affaire #metoo à Hollywood, et la chute du producteur Harvey Weinstein, les temps seraient-ils en train de changer en France ?

Depuis la diffusion début décembre, sur la chaîne de télévision France 2, d’une séquence tournée cinq ans plus tôt en Corée du Nord, le monstre sacré semble radioactif. Sur ces images, l’acteur, qui conteste les accusations le visant, multiplie propos misogynes et insultants en s’adressant à des femmes, n’épargnant pas une fillette de ses propos obscènes.

Concomitamment, une deuxième plainte pour agression sexuelle a été déposée contre lui par la comédienne Hélène Darras, pour des faits a priori prescrits, remontant à 2007 sur un tournage.

Le vent tourne

Depuis, de rares mea culpa se sont fait entendre. « Nous sommes tous un peu coupables » a reconnu sur France 2 le président du syndicat des producteurs de cinéma, Marc Missonnier. « Il y avait une tolérance [à l’égard de Depardieu] qui est une erreur ».

L’actrice Anouk Grinberg, qui le connaît depuis 30 ans et n’a pris que récemment la parole pour épauler Charlotte Arnould, a dénoncé à nouveau lundi, sur la radio France Inter, la « monstruosité » de Depardieu.

« C’était un monstre sacré du cinéma mais tout le monde l’a autorisé à être un monstre tout court », a-t-elle insisté, appelant à mettre fin à « l’autre monstruosité, […] celle des gens du cinéma qui sont indifférents au mal qu’on fait aux femmes, aux humiliations qu’on leur inflige ».

Mais le vent tourne : boulimique des tournages, Depardieu a dû mettre fin octobre sa carrière en pause, renonçant à prêter sa voix au prochain film d’animation de Michel Hazanavicius, le réalisateur de The Artist. Et il a été écarté de la promotion d’Umami, au printemps dernier. Avec 50 000 entrées, le film a été un cuisant échec.

France Télévisions, dont un responsable a jugé qu’il ne fallait plus « célébrer » Depardieu, se garde toutefois de censurer les œuvres d’une figure majeure du patrimoine cinématographique national. Le groupe de télé publique a précisé lundi sa position à l’AFP : « des films avec Gérard Depardieu continueront d’être achetés et diffusés », dont plusieurs « chefs-d’œuvres ».

Sortie en catimini

La prise de conscience autour de l’interprète de Cyrano de Bergerac fait suite à plusieurs affaires qui marquent un changement d’ambiance dans le 7e art tricolore.

Nicolas Bedos, qui a fait tourner le gratin du cinéma de Guillaume Canet à Isabelle Adjani, sera jugé début 2024 pour des attouchements dans une discothèque – geste involontaire selon lui. Il est visé depuis juillet par une enquête pour viol et agressions sexuelles après trois plaintes distinctes.

Dans ce contexte, c’est en catimini que la plateforme Amazon Prime a sorti en octobre sa série, Alphonse, à la distribution de luxe : Jean Dujardin, Charlotte Gainsbourg, Nicole Garcia…

Plus largement, sous la pression de militants, comme le collectif 50/50, et des autorités, la prévention progresse. Les formations en la matière sont devenues obligatoires, tandis que le recours à des coordinateurs d’intimité, pour les scènes de sexe, commence à se banaliser.

Mais le cinéma français a déjà connu des périodes d’introspection sur le sujet, avant qu’il ne retombe dans un relatif oubli. En 2019, l’actrice Adèle Haenel avait dénoncé « l’emprise » du réalisateur Christophe Ruggia alors qu’elle était adolescente, conduisant à sa mise en examen pour « agressions sexuelles sur mineur ». Quatre ans plus tard, elle a quitté un milieu dont elle dénonce la « complaisance ».

Et tout n’est pas réglé. En témoigne la fureur des féministes lorsque Dominique Boutonnat, le président de l’organisme public de tutelle du secteur, censé œuvrer contre ces violences, le CNC, a été renouvelé à son poste par l’État. Malgré une affaire, pas encore jugée, d’agression sexuelle présumée sur son filleul de 21 ans, qu’il conteste.