Catherine Deneuve n’accordait qu’une seule entrevue à un média québécois lors de ce passage au Canada au milieu des années 1990. Cette entrevue avait lieu à Toronto.

Marc-André avait eu définitivement la piqûre du cinéma en découvrant Le dernier métro, de François Truffaut. Il était l’intervieweur tout désigné pour Catherine la Grande, a qui il vouait un culte. Il y avait pourtant un hic, voire deux…

Marc-André avait une peur bleue de l’avion et n’avait jamais pris un vol de sa vie. Aussi, l’entrevue avait lieu le lendemain. Il n’a fait ni une ni deux, pris le volant à deux mains et conduit jusqu’à Toronto : 11 heures aller-retour, pour une entrevue d’à peine 30 minutes.

Il était comme ça, Marc-André. Tout dévoué à sa passion du septième art et à son travail de critique. Discret, ne voulant pas attirer l’attention sur lui, mais sur les artistes qu’il interviewait. Un bourreau de travail, méticuleux, perfectionniste, au savoir encyclopédique.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Notre chroniqueur Marc Cassivi et son collègue – mais surtout son ami – Marc-André Lussier, en 2021

Il fallait presque le contraindre à prendre des vacances, ce qu’il faisait à contrecœur, en s’assurant que les cinéastes et artistes n’en pâtissent pas. Il prenait donc congé à des moments incongrus, alors que l’actualité cinématographique était moins foisonnante. Il a même décidé de subir un quintuple pontage coronarien pendant une période creuse, sur son temps de vacances, sans en dire un mot. Pour ne pas nuire à ses collègues ni aux artisans du septième art.

Il ne voulait pas déranger. Il m’avait fait promettre de ne pas parler aux collègues de son intervention. Il ne m’en a averti que tardivement, pour ne pas m’inquiéter, sachant que je serais à l’étranger. Je le lui ai un peu reproché, sachant que je ne pourrais pas être à son chevet pendant sa convalescence.

Je le soupçonne de l’avoir fait exprès, pour ne pas s’imposer. Il était comme ça, je vous dis.

Il m’avait écrit de l’hôpital, pour me rassurer. Puis de chez lui, il y a quelques jours, pour me dire que tout allait bien. On s’écrivait très souvent, quasi quotidiennement. De tout et de rien. Pas tellement de cinéma, plus souvent de politique américaine, dont il était féru. Il aurait rêvé secrètement d’être correspondant à Washington.

Je l’ai connu il y a 25 ans. Nous étions tous les deux critiques. Puis j’ai été, pendant quelques années, son chef aux pages Cinéma. Grâce à Christiane Charette – avec qui, à ce jour, nous allions dîner tous les ans –, nous sommes devenus les 2 Marc, à la radio, à la télé, à La Presse. Et dans la vie. C’était d’abord et avant tout mon grand ami.

C’était aussi un critique de cinéma comme il s’en fait peu. Un cinéphile boulimique, un érudit sans diplôme, lui qui avait dû se mettre au travail à 18 ans, comme commis à La Presse, où il travaillait depuis 45 ans. J’ai animé il y a à peine deux semaines, pour tous les employés de l’entreprise, une causerie sur la carrière de Marc-André. Il avait été gêné d’être le centre d’attention.

C’était un champion du cinéma québécois et français, en particulier. Il était toujours bien renseigné et donnait l’heure juste. Pour les plus jeunes, c’était un modèle de rigueur. Il était mon modèle. Je lui demandais toujours conseil quand j’avais un doute.

Il me faisait lire ses critiques et je lui faisais lire mes chroniques avant publication. Je n’arrive pas à croire qu’il ne lira pas celle-ci.

On s’entendait presque sur tout. Je suivais ses conseils les yeux fermés. Le cinéma, c’était sa vie, comme en témoigne son imposante DVDthèque, qui faisait l’envie des cinéastes qu’il interviewait par Zoom ces dernières années depuis son bureau à la maison. Il était si passionné par son métier qu’il ne s’imaginait pas le quitter. L’idée de la retraite le hantait. Il ne voulait pas y penser. De toute façon, comme je le lui répétais, La Presse ne pouvait pas se passer de lui.

Je ne sais pas comment je vais me passer de lui. J’écris cette chronique en essuyant mes larmes, dans une chambre d’hôtel. Nous en avons partagé quelques-unes pendant nos séjours à Cannes. Lui qui avait peur de l’avion était devenu un grand voyageur. J’ai appris sa mort dans un aéroport, en voyant les dizaines et dizaines de messages qu’on m’avait envoyés. J’essaie de me consoler en me disant qu’il était aimé, qu’il a pu le constater après avoir publié un statut Facebook sur son opération. Ou encore en entendant ce jeune employé de la publicité, à La Presse, qui avait conclu notre causerie en lui avouant que c’était grâce à lui qu’il était devenu un amoureux du cinéma.

Aujourd’hui, le cinéma québécois perd subitement un grand allié, La Presse, un pilier, et moi, une partie de moi-même. Adieu, mon cher.