Ceux qui l’ont connue savent qu’elle fait partie des grandes interprètes de la chanson québécoise. Sa voix était unique, incomparable. La chanteuse Emmanuëlle s’est éteinte le 3 mars dernier. Stéphane Venne, à l’origine de ses plus grands succès, a publié la nouvelle en disant qu’« une autre de [ses] chanteuses » avait déserté le navire.

Emmanuëlle serait morte des suites de la maladie d’Alzheimer selon une proche qui a écrit à l’auteur-compositeur. Triste ironie du sort, il s’agit du même mal qui a frappé il y a quelques années Renée Claude, elle aussi l’une des interprètes fétiches de Venne.

Renée Claude, Emmanuëlle et Isabelle Pierre ont formé un solide trio d’interprètes qui a porté très haut les chansons de ce créateur. Avec la mort d’Emmanuëlle, une autre porte se referme sur une époque folle, riche et fertile.

Stéphane Venne ne conserve que de bons souvenirs de cette artiste née en 1942. « Elle était d’une grande rigueur et avait une énergie hors du commun, m’a-t-il confié. L’énergie qu’elle m’insufflait me poussait à faire de bonnes chansons. »

Extrait d’Et c’est pas fini
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En effet, la collaboration du tandem a donné lieu à Et c’est pas fini et Le monde à l’envers, deux mégasuccès enregistrés le même jour, se souvient Stéphane Venne. Et puis, il y aura Ça commence doucement, J’parle pu, Le reel facile, Chanter pour vivre et Touche mes yeux, ma préférée d’entre toutes.

Cette chanson est d’ailleurs reprise par Catherine Sénart sur le disque et le spectacle L’amour selon Venne qui rassemble quelques-unes des grandes chansons de l’auteur-compositeur.

PHOTO JEAN-YVES LÉTOURNEAU, ARCHIVES LA PRESSE

Emmanuëlle en 1973

Parlant de reprise, il faut mentionner l’incroyable seconde vie que la chanson Et c’est pas fini a connue lors de l’édition de 2003 de Star Académie. C’est cet hymne tonique qui marquait l’ouverture de chacun des galas du dimanche soir.

Une nouvelle génération a alors découvert cette poésie qui, avec des mots simples et tellement justes, frappe en plein centre du cœur.

Et je dis
Sans même trembler
Que j’arrive
À te ressembler
Je suis toi
Et toi tu es moi
Et nous sommes le monde, nous sommes bientôt
Ce qu’il y a de plus beau dans le monde
Dans le monde 

Emmanuëlle, de son vrai nom Ginette Filion, a fait des études en chant classique à l’école de musique Vincent-d’Indy. « Elle avait une grande maîtrise qui m’a ébahi, dit Stéphane Venne. Elle était capable de puissance, mais aussi de nuances. Tout ce que j’aime d’une interprète. »

Mais c’est d’abord Luc Plamondon et François Dompierre qui s’intéressent à elle lorsqu’elle décide de quitter le monde de la musique classique pour celui de la chanson populaire. La chanteuse sera rapidement identifiée comme une candidate idéale pour les grands concours internationaux de la chanson qui abondent à cette époque.

Le trio crée Emmène-moi vers le soleil en 1972. Avec cette chanson, elle remporte haut la main le Yamaha World Popular Song Festival de Tokyo. Elle représentera ensuite le Canada au Festival de la chanson de Spa en Belgique.

C’est alors que François Dompierre, occupé par de multiples projets, la dirige vers Stéphane Venne. « C’était une femme colorée, très expansive, m’a-t-il dit hier soir. Tout le contraire de Renée. C’était quelqu’un de sociable qui aimait communiquer. » Tout en collaborant avec Stéphane Venne, elle restera fidèle à François Dompierre puisqu’en 1974, elle enregistrera un disque composé des premières chansons du compositeur.

Le 24 juin 1975 (Année internationale de la femme), elle fera partie des dix artistes féminines qui se réunissent autour de Jean-Pierre Ferland dans le cadre du spectacle Que sont devenues les femmes présenté au pied du mont Royal.

PHOTO RENÉ PICARD, ARCHIVES LA PRESSE

Emmanuëlle et Jean-Pierre Ferland sur scène pendant le spectacle Que sont devenues les femmes, en 1975

Elle partage la scène avec France Castel, Renée Claude, Andrée Boucher, Christine Chartrand, Lucille Dumont, Ghislaine Paradis, Véronique Béliveau, Shirley Théroux et Ginette Reno. C’est à cette occasion que Reno sacralise la chanson Un peu plus loin.

Extrait de Touche mes yeux
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En 1978, Emmanuëlle fait le disque Je vous aime à partir de chansons de Stéphane Venne, Diane Juster, Jean Robitaille et Luc Plamondon. Après cela, à l’instar de plusieurs artistes, le succès s’éclipsera, victime des nouveaux courants de l’époque et de l’usure du public.

Emmanuëlle trouvera son bonheur dans un restaurant qu’elle ouvrira dans les Laurentides et qui lui permettra de pousser de temps en temps la chanson.

En écrivant cette chronique, j’ai une pensée pour ma sœur et mes cousines qui se rassemblaient dans notre sous-sol pour imiter leurs idoles avec un bâton comme micro. Une était Emmanuëlle, les autres étaient Renée Claude, Anne Renée ou Sylvie Vartan.

Les chanteuses devraient toujours se rappeler qu’elles ont nourri l’imaginaire de petites filles (et aussi de certains petits garçons) avant de mourir. Et qu’elles laissent leur voix portant de fabuleuses chansons en héritage.