À 42 ans, l’acteur et metteur en scène français Thomas Jolly possède une impressionnante feuille de route. Parmi ses grandes réalisations trône son adaptation-fleuve d’Henri VI de Shakespeare, où il a transformé le public en « peuple de Londres ».

Mais en pleine pandémie, alors que les théâtres étaient paralysés, ce surdoué doté d’une énergie hors du commun a joué pour ses voisins et les passants la scène du balcon de Roméo et Juliette sur… son propre balcon.

« Ce fut le spectacle le plus court de ma carrière, environ huit minutes, et avec zéro budget, mais on m’en parle encore », me confie Thomas Jolly dans une suite de l’hôtel Gault alors qu’il est de passage à Montréal pour faire la promotion de « son » Starmania, une production hors norme que j’ai eu le plaisir de découvrir en novembre 2022 à Paris et qui sera enfin offerte au public québécois au mois d’août prochain à la Place Bell, à Laval, devant 5800 spectateurs chaque soir.

L’anecdote du balcon témoigne formidablement bien de la trajectoire que connaît ce metteur en scène depuis ses débuts au théâtre. « Je voulais d’abord jouer, mais je n’avais pas d’offres. Je me suis dit que le musicien n’attend pas le chef pour jouer de son instrument. Je me suis donc mis à faire de la mise en scène. »

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Le metteur en scène Thomas Jolly

Tout ce que touche Thomas Jolly se transforme en or. De son Thyeste de Sénèque présenté dans la Cour d’honneur du Palais des Papes à un spectaculaire Roméo et Juliette à l’opéra Bastille (le directeur de l’institution a pris contact avec lui après l’épisode du balcon), en passant par une incursion dans l’univers sombre et burlesque d’Evgueni Schwartz, les succès s’enfilent comme des perles.

Pas étonnant qu’on ait pensé à lui pour redonner un nouveau souffle à l’œuvre de Luc Plamondon et Michel Berger créée à la scène en 1979, alors que Thomas Jolly n’était pas encore né. « Je crois qu’on a pensé à moi parce que j’avais la capacité de donner une dimension opératique à l’œuvre. Aussi, j’ai toujours pensé que les œuvres exigeantes peuvent être populaires, et inversement. »

Il y a eu plusieurs productions de Starmania au fil du temps, et chacune a eu sa propre vision. Thomas Jolly s’est rapidement rendu compte qu’on avait perdu de vue la trame de cette histoire shakespearienne. « Je me suis dit que les chansons avaient tellement pris le dessus qu’elles n’avaient pas besoin de metteur en scène. Mon travail a été de redonner l’écrin narratif à cette œuvre. »

En effet, on avait oublié qu’au cœur de Starmania se trouve un concours qui permet d’accéder automatiquement à la célébrité. Le visionnaire qu’est Plamondon avait compris il y a 40 ans que ce phénomène allait complètement nous dominer. Pour replonger dans cette fabuleuse histoire où il est aussi question de terrorisme et de dictature, Thomas Jolly a eu un accès privilégié aux archives de l’auteur.

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Thomas Jolly et Luc Plamondon annonçant par visioconférence le retour de Starmania au Québec, en novembre 2023

« J’ai eu entre les mains les toutes premières versions tapées à la machine avec des ratures de Luc. On a passé plusieurs jours ensemble. J’ai collé des papiers afin de recomposer un livret qui soit clair. »

Lancée en novembre 2022 à la Seine musicale, un théâtre de 3800 places situé à Boulogne-Billancourt, cette nouvelle production a obtenu un énorme succès. Depuis plus d’un an, elle est présentée aux Parisiens et en tournée dans toute la France. À ce jour, près de 280 représentations ont été offertes.

L’été prochain, on transportera les imposants éléments de décor pour les amener à Montréal, où le spectacle sera présenté à la Place Bell. Après de nombreuses négociations, c’est finalement La Tribu et evenko qui assurent cette opération chez nous.

« Le public montréalais verra exactement le même spectacle qui est offert aux Français, assure Thomas Jolly. Ce qui va peut-être changer, c’est que les interprètes québécois seront davantage mis en valeur. »

David Latulippe (Zéro Janvier), Miriam Baghdassarian (Sadia) tenaient déjà les rôles principaux en France. Quant à William Cloutier (doublure de Johnny Rockfort) et Gabrielle Lapointe (interprète de Cristal en alternance), ils seront plus présents sur la scène de la Place Bell. Du moins, on le souhaite !

Thomas Jolly continue d’accompagner l’équipe du spectacle et de veiller au grain. « Je trouve que le spectacle est arrivé à un niveau de qualité et d’appropriation des interprètes qui sont très à l’aise dans les chants et les rôles. Je continue de suivre le spectacle, malgré mes autres engagements. »

Maître d’œuvre des cérémonies des JO de Paris

Quand Thomas Jolly parle d’autres engagements, il fait notamment référence aux cérémonies d’ouverture et de fermeture des prochains Jeux olympiques de Paris, pour lesquelles il agit en tant que directeur artistique. Pour la première fois, cet évènement aura lieu en dehors d’un stade. Le public aura droit à une parade fluviale qui s’étendra sur six kilomètres. Des bateaux (une centaine) offriront des tableaux artistiques ou transporteront les délégations d’athlètes (environ 200).

Thomas Jolly a déjà calculé qu’une cérémonie de ce genre était normalement composée de 45 minutes de prestations artistiques et de deux heures de défilé d’athlètes. Il a décidé de révolutionner le genre. Les répétitions commenceront en mars prochain à l’abri des journalistes et du public.

Le spectacle sera répété dans un lieu secret, dans des hangars. À cet endroit, il y a une étendue d’eau qui nous permettra de répéter tout ce qui est relié aux choses aquatiques. Dans les derniers temps, on va tester certains morceaux sur la Seine. Mais jamais on ne pourra faire un grand filage du spectacle. À vrai dire, je vais découvrir ça en même temps que vous.

Thomas Jolly, au sujet de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris

J’ai demandé à quoi ressemblait son état d’esprit à quelques mois de cet évènement qui sera regardé par plus de 1 milliard de personnes partout dans le monde. « Moi, ce qui m’angoisse, c’est de faire à manger quand je reçois mes amis. J’ai tellement de travail que je n’ai pas le temps de penser à la pression. Cet évènement est un moment où l’humanité se regarde, où nous sommes ensemble. Tout ne va pas bien dans le monde, mais on peut aussi se dire que tout pourrait aller mieux. Ça me stimule plus que ça m’angoisse. »

Voilà à quoi ressemble une rencontre avec Thomas Jolly. Elle permet de conjuguer l’art au sort de l’humanité dans un même flot de mots. Elle permet surtout de rencontrer un être dont la passion est contagieuse. Et il réussit à faire cela sans se prendre la tête.

Consultez les dates du spectacle à la Place Bell

David Latulippe et Miriam Baghdassarian

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Les chanteurs québécois Miriam Baghdassarian et David Latulippe

En novembre 2022, j’ai assisté à la première de Starmania à la Seine musicale. La veille, j’avais rencontré deux des interprètes québécois, David Latulippe et Miriam Baghdassarian. Lors de cette entrevue, les deux artistes étaient tendus, mais persuadés de faire partie d’un spectacle dont on savait déjà qu’il était grand.

J’ai tenu à les revoir, 280 représentations plus tard. « En vérité, on vit encore une forme de stress, dit Miriam. Les émotions restent les mêmes. Il y a une responsabilité de monter sur scène. » David partage le point de vue de sa camarade. « On a de grandes chansons à défendre tous les soirs. Vocalement, c’est très dur. Ça nous garde toujours sur le qui-vive. »

Les deux artistes ont des doublures. C’est sûr qu’au fil des représentations, il faut parfois s’offrir une pause. « J’ai dû m’arrêter quelques fois, car j’ai été malade, dit David. Miriam détient le record de présence, elle n’a presque jamais manqué une représentation. » Les deux amis rigolent. « Oui, c’est vrai, ma doublure n’a pas beaucoup chanté, dit Miriam. David disait souvent qu’il ne pourrait pas chanter à cause de sa gorge. Il montait sur scène quand même et il avait les plus gros applaudissements du spectacle. »

En août prochain, David et Miriam chanteront devant le public québécois. Ils reconnaissent que l’expérience revêtira un caractère particulier. « Quand j’ai commencé à faire le spectacle en Europe, c’était la grosse affaire. Mais là, venir à Montréal, c’est devenu tout aussi gros. » Miriam appréhende une seule chose. « On risque d’avoir beaucoup de demandes de billets de nos amis et parents », dit-elle en riant.

Lisez l’entrevue de notre chroniqueur réalisée en 2022

Starmania en huit dates

1978 – Lancement du disque original

1979 – Création du spectacle au Palais des Congrès de Paris avec Diane Dufresne, Fabienne Thibeault, Nanette Workman, France Gall et Daniel Balavoine

1980 – Création de la première production québécoise avec Robert Leroux, Louise Forestier, France Castel, Martine St-Clair et Gilles Valiquette

1988 – Production au Théâtre de Paris et au Théâtre Marigny avec Maurane, Martine St-Clair, Norman Groulx et Richard Groulx

1992 – Sortie du disque Tycoon, version anglaise de Starmania, avec Kim Carnes, Céline Dion, Tom Jones et Cyndi Lauper

1993 – Production au Théâtre Mogador avec Luce Dufault, Isabelle Boulay, Bruno Pelletier, Marie Carmen et Patsy Gallant

2004 – Version opéra à Montréal, Paris et Séoul

2022 – Nouvelle production mise en scène par Thomas Jolly à la Seine musicale