On découvre des arguments très convaincants dans le rapport présenté mercredi par un comité d’experts chargé d’étudier une meilleure découvrabilité de nos contenus culturels dans le paysage numérique.

On trouve également beaucoup d’ambition dans ce document qui formule 32 recommandations divisées en trois sphères : le partenariat que le Québec souhaite négocier avec le fédéral, les alliances qu’il doit renforcer avec des alliés internationaux, particulièrement la France, et les actions législatives qu’il aura à faire pour adapter ses lois aux nouvelles réalités.

Commandé par le ministre de la Culture et des Communications du Québec, Mathieu Lacombe, en février 2023, le rapport intitulé La souveraineté culturelle du Québec à l’ère du numérique : rapport du comité-conseil sur la découvrabilité des contenus culturels est le travail de l’ancienne ministre péquiste de la Culture et des Relations internationales Louise Beaudoin, de l’ancien délégué général du Québec à Paris et administrateur de l’Organisation internationale de la Francophonie Clément Duhaime, de la professeure à la faculté de droit de l’Université Laval et titulaire de la Chaire de recherche UNESCO sur la diversité des expressions culturelles Véronique Guèvremont, ainsi que de Patrick Taillon, codirecteur du Centre d’études en droit administratif et constitutionnel de l’Université Laval.

Les quatre experts arrivent avec des recommandations qui sont à la hauteur de la situation alarmante que nous connaissons. On le sait, le français est en déclin au Québec. Le phénomène est observable dans plusieurs domaines. À titre d’exemple, une étude réalisée par l’Observatoire de la culture et des communications a démontré qu’en 2022, les interprètes québécois comptaient seulement pour 8 % des écoutes faites par le public québécois dans les services de musique en continu.

« L’un des principaux effets de la numérisation de la culture est de détourner le public québécois de sa propre culture », a déclaré Mathieu Lacombe, en avril 2023, lors d’un discours prononcé devant le Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM).

C’est dans ce contexte et avec le mandat de « défendre la spécificité linguistique québécoise » que le comité a établi un plan stratégique qui nécessite « une prise d’actions le plus rapidement possible ».

Avant d’aller plus loin, intéressons-nous au sens du mot « découvrabilité », un terme très prisé depuis quelque temps. Ce concept renvoie « à la disponibilité d’un contenu et à sa capacité d’être repéré parmi un vaste ensemble d’autres contenus, en particulier par une personne qui n’en faisait pas précisément la recherche ».

Comme son titre l’indique, l’idée de la souveraineté culturelle est au cœur de la réflexion du comité qui rappelle que « le Québec a toujours recherché à défendre le respect de ses compétences, au premier chef, dans le domaine de la langue et de la culture ».

« On ne peut imaginer un gouvernement québécois, quel qu’il soit, qui ne réclame pas sa part de souveraineté culturelle et qui l’exerce, a dit Louise Beaudoin, en entrevue avec La Presse. On le fait déjà par des lois sur la langue, le Conseil des arts et des lettres du Québec, par nos politiques culturelles […] La souveraineté culturelle existe depuis une cinquantaine d’années au Québec et on voit bien que c’est quelque chose de transpartisan. »

Un partenariat avec Ottawa

Le Canada s’est doté d’un outil pour mieux protéger ses créateurs et son industrie culturelle. Le projet de loi C-11 vise à mettre à jour la Loi sur la radiodiffusion afin d’obliger les plateformes numériques à promouvoir le contenu canadien et à y contribuer. Le cadre de cette loi est à définir.

La commande de ce rapport par Mathieu Lacombe est clairement un geste qui vise à permettre au Québec de mettre un pied dans la porte. Précisons que trois résolutions ont été adoptées à l’unanimité au cours des derniers mois à l’Assemblée nationale pour dénoncer l’absence de « droit de regard » du Québec sur les orientations qui seront mises en œuvre par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC).

Le comité recommande donc de « développer une pratique du fédéralisme qui reconnaît le Québec comme meilleur juge de l’état de sa langue et de sa culture » et de lui permettre de participer à l’élaboration du nouveau cadre réglementaire qui découle de l’adoption du projet de loi C-11.

Une alliance avec les États francophones

La protection de la souveraineté culturelle du Québec passe par une stratégie internationale, croient fermement les auteurs du rapport. Une concertation avec d’autres États francophones est primordiale. Les auteurs visent une découvrabilité des contenus culturels d’expression originale de langue française plutôt que la protection de la culture locale.

Le Québec s’inscrirait dans un registre différent et complémentaire de celui qui est préconisé par le fédéral. En favorisant les contenus culturels d’expression originale de langue française, la culture québécoise en ressortirait renforcée.

PHOTO NINON PEDNAULT, ARCHIVES LA PRESSE

« Je persiste à croire que si notre culture est plus facilement repérable et accessible, il y aura des résultats », affirme Louise Beaudoin, ancienne ministre péquiste de la Culture et des Relations internationales.

« Pierre Bourgault aimait répéter que le français nous isole en Amérique du Nord et nous ouvre sur le monde parce qu’on parle français sur les cinq continents, dit Louise Beaudoin. Pour l’internationaliste convaincue que je suis, je pense qu’il faut combattre cette idée que tout doit passer par le monde anglo-saxon. »

Le rapport insiste sur une alliance avec la France qui devrait s’inspirer de celle qui a été scellée en 2005 par des membres de l’UNESCO dans le but de s’engager en faveur de la découvrabilité des contenus culturels de langue française. Par ailleurs, les ministres français et québécois de la Culture ont créé en 2019 une autre alliance qui, cette fois, vise à se positionner face à l’évolution rapide et massive des plateformes numériques dans le monde de la culture.

Le comité recommande donc de rehausser sur le plan politique l’alliance franco-québécoise en créant un nouveau groupe de travail présidé par les deux ministres de la Culture.

Un projet de loi adapté à la nouvelle réalité

Pour parvenir à ses objectifs, le Québec doit aussi faire des gestes destinés à adapter ses lois et sa réglementation aux transformations numériques dans le domaine de la culture. « Le législateur québécois ne peut rester inactif face à des pratiques et des modèles d’affaires […] qui vont à l’encontre des droits fondamentaux des Québécois », peut-on lire dans le rapport.

Le comité recommande d’élaborer un projet de loi garantissant « le droit fondamental des Québécois à l’accès et à la découvrabilité des contenus culturels d’expression originale de langue française » qui pourrait inclure une modification à la Charte québécoise des droits et libertés afin d’y ajouter des « droits culturels pleinement opposables et justiciables devant les tribunaux ».

« Notre constitutionnaliste [Patrick Taillon] démontre très bien que ce sont des compétences partagées et que le Québec a le droit d’agir dans ce secteur sur le plan international et sur le plan national », souligne Louise Beaudoin.

Le rapport aborde la question du jeune public peu séduit par le contenu francophone sur les plateformes numériques. En rendant davantage visible Ariane Moffatt plutôt que Taylor Swift, est-ce que les consommateurs seront tentés d’abandonner la seconde pour se tourner vers la première ?

« C’est le pari, dit Louise Beaudoin. Sinon, effaçons-nous et écoutons tous Taylor Swift. Je persiste à croire que si notre culture est plus facilement repérable et accessible, il y aura des résultats. »

Les 32 recommandations du rapport n’aboutiront sans doute pas toutes à une réalisation. Mais retenons pour le moment du travail qui a été fait une volonté d’agir promptement, de faire bouger les choses avant qu’il ne soit trop tard.

Un rapport, aussi pertinent et solide soit-il, demeure un rapport. Il faudra maintenant voir ce que l’on fera avec ça. Et comment on accueillera ces grandes ambitions, particulièrement à Ottawa.