En France, l’attribution à Sylvain Tesson du rôle de parrain de la 25édition du Printemps des poètes suscite une polémique sans précédent. Dans une lettre signée par 600 (1200 à l’heure actuelle) poètes, éditeurs, libraires, bibliothécaires, enseignants et acteurs, on ne demande rien de moins que l’exclusion de cet écrivain à succès.

Le dernier ouvrage de Tesson, Avec les fées, trône actuellement au sommet des ventes. Ce livre, dans lequel l’auteur nous fait découvrir la beauté des Cornouailles, du pays de Galles, de l’île de Man, de l’Irlande et de l’Écosse par voie de mer, occupait la première position du palmarès de la Fnac la semaine dernière.

La raison de cette levée de boucliers ? Les signataires voient en Sylvain Tesson une « icône réactionnaire ».

Dans la lettre publiée sur le site web du quotidien Libération le 18 janvier dernier (et reprise dans l’édition papier du 22 janvier), on affirme que Tesson est une figure de proue d’une « extrême droite littéraire » et qu’avec Michel Houellebecq et Yann Moix, il forme un trio « d’écrivains en vogue dont les prétendus accidents de parcours se révèlent, en réalité, les arcanes d’un projet d’une sinistre cohérence ».

Bref, le monde politico-culturel français est en émoi. À peu près tous les grands quotidiens et magazines, de gauche comme de droite, se sont exprimés sur le sujet. Le débat porte maintenant sur la défense de la liberté d’expression.

On verra quelle tournure prendra cette affaire au cours des prochaines semaines, mais pour le moment, les choses sont à l’avantage de Sylvain Tesson. « Que les bourgeois de gauche s’en prennent au grand écrivain Sylvain Tesson, avec des insinuations d’ordre politique, en dit long sur la déliquescence d’une certaine gauche française », a écrit Franz-Olivier Giesbert, du Point.

Interviewé par L’Express, l’écrivain Patrice Jean a dit que la tribune condamnant le parrainage du Printemps des poètes par Sylvain Tesson relève de la « bouffonnerie » et de la « bassesse ».

Dans un tweet, l’ancien ministre de la Culture Jack Lang a apporté son soutien à Sylvain Tesson. « Un tel crétinisme est une insulte à la poésie qui, par excellence, est libre et sans frontières », a-t-il écrit. Quant à la nouvelle ministre de la Culture, Rachida Dati, elle s’est éloignée de la politique et a écrit sur X qu’elle est heureuse que le Printemps des poètes célèbre « cette vision de la poésie, ouverte, libre et populaire ».

Le récipiendaire du prix Goncourt 2018, Nicolas Mathieu, aux idées nettement à gauche, a écrit sur Instagram : « J’ai durant toute ma vie admiré le travail d’auteurs de droite, de réacs, voire même de salauds, et n’ai jamais pensé qu’il fallait aligner ni la littérature ni mes goûts sur mon appétit de progrès. »

En riposte à la tribune de Libération, une trentaine d’intellectuels ont publié dans Le Point une autre lettre à l’initiative de Daniel Salvatore Schiffer, philosophe et écrivain, pour défendre Sylvain Tesson. On retrouve parmi les signataires Pascal Bruckner, Luc Ferry et Boualem Sansal, qui dénoncent « cet insidieux poison doctrinaire, sectaire et rétrograde, sinon réactionnaire au-delà même de ses louables intentions émancipatrices de départ, de ce que l’on appelle communément le wokisme ».

Comment les signataires qui exigent le retrait de Sylvain Tesson en sont-ils venus à faire ce geste avec autant d’aplomb ? En s’appuyant notamment sur l’ouvrage de François Krug Réactions françaises : enquête sur l’extrême droite littéraire publié l’an dernier. On y apprend que Tesson voue une admiration à Jean Raspail, auteur d’un livre de référence de l’extrême droite (Le camp des saints).

Que Sylvain Tesson ait des idées politiques plus à droite ou d’extrême droite, ça le regarde. Nous ne sommes pas obligés d’y adhérer. Et s’il tente de nous les faire avaler à la petite cuillère dans ses livres ou les entrevues qu’il accorde, il nous appartient de les régurgiter si nous voulons.

Encore une fois, on tente d’estampiller un artiste et son travail d’une idéologie dont on ne connaît pas les véritables bases. On essaye de nous faire croire que ce qui émane d’un créateur contient tout de lui. Or, rien n’est plus faux que cela.

Ceux qui demandent l’exclusion de Sylvain Tesson savent-ils qu’ils sont bourrés de contradictions quand ils écrivent à la fin de leur lettre que « la poésie est une parole fondamentalement libre et multiple » et « qu’elle ne saurait être neutre, sans position face à la vie » ?

Ils poursuivent en disant que « la poésie est en nous, elle porte nos douleurs. Elle est dans la masse […] Elle est aussi dans le queer, le trash, la barbarie, le vulgaire. Dans la colère qui rythme nos souffles ». Bref, pour les signataires, la poésie est là où ils veulent bien qu’elle soit.

La bonne nouvelle dans ce tintamarre qui annonce le réveil de la nature, c’est que Le Printemps des poètes n’aura jamais autant fait parler de lui. Alors, découvrons la parole des poètes. De tous les poètes.