« Écrire, ce n’est pas vivre, c’est survivre », a déjà dit Blaise Cendrars. Cette envie d’avancer, de se remettre en selle, de braver le sablier qui se désemplit inexorablement est ce qui a poussé Yves Beauchemin, aujourd’hui âgé de 82 ans, à publier son neuvième roman.

Près de 50 ans après L’enfirouapé, roman qui l’a propulsé dans la galaxie restreinte des auteurs à succès, Yves Beauchemin lance Une nuit de tempête, une histoire bâtie autour de la rencontre improbable d’un jeune homme, Philippe, qui quitte sa ville natale, Joliette, pour s’installer dans le Vieux-Longueuil, un lieu que connaît bien l’auteur pour y habiter depuis 1976.

Ce garçon, doté d’un « regard vif » et d’une « bouche qui devait donner l’envie aux filles de l’embrasser », se retrouve à l’hôpital après une mauvaise chute sur un trottoir glacé. Quand il l’aperçoit, l’urgentiste Romain Bellerose est pétrifié : ce Philippe ressemble en tous points au frère qu’il a perdu à l’adolescence.

« Tout cela a commencé par une image : j’ai vu un jeune, l’hiver, rue Saint-Charles à Longueuil, qui glisse et se blesse assez gravement. Il se rend aux urgences, ce qui amène l’autre personnage. Après ça, il suffit d’écrire le roman », me confie tout bonnement Yves Beauchemin au cours d’une conversation fort chaleureuse.

Celui qui a vendu des livres par milliers n’est pas du genre à disserter des heures pour décortiquer sa démarche. Il a cette qualité qui l’a toujours caractérisé : savoir créer des personnages forts qu’il plante dans un récit prenant.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Yves Beauchemin

Pour mes premiers romans, je faisais des plans précis. Je me suis lassé de cela, car il y a un risque d’écriture mécanique. J’ai écrit mes derniers livres comme on se lance dans la mer pour y nager. Ça met plus de tension.

Yves Beauchemin

Comme c’est souvent le cas avec Yves Beauchemin, cette histoire a comme levier la bonté humaine. J’en ai fait part à l’auteur, qui a paru surpris par mon observation. « Vous me faites réaliser qu’il y a effectivement dans mes histoires un désir de venir en aide aux autres… C’est le cas dans Le marchand de café et Juliette Pomerleau. »

Ce nouveau roman de Beauchemin, dont certaines œuvres ont été adaptées pour le cinéma ou la télévision, a les allures d’un véritable scénario. On passe d’une scène à l’autre un peu comme si on était devant une série. D’ailleurs, il est étonnant de voir qu’on n’a jamais confié à ce conteur hors pair des projets de scénario.

« Des gens de Radio-Canada m’ont un jour invité à manger du temps du Matou. Ils voulaient que j’écrive un téléroman. Mon expérience à Télé-Québec m’avait permis de voir que les scénaristes avaient toujours quelqu’un au-dessus de leur épaule. Pour moi, l’écriture est un travail qui se fait en solitaire. J’ai refusé cette offre. »

Quand Yves Beauchemin se lance dans l’écriture d’un roman, il loue un bureau où il se rend tous les matins à 9 h. Pour ce projet, il ne l’a pas fait et il le regrette. Il a toutefois pu profiter du calme de son chalet. « Ma méthode est la suivante : je relis ce que j’ai fait la veille, je corrige et ça me permet d’entrer de nouveau dans l’histoire. J’avance à coup de trois pages par jour. Quand je fais quatre pages et demie, je suis très heureux. »

Après 18 ouvrages, si on rassemble les divers tomes de ses œuvres, ses romans jeunesse et ses autres livres, Yves Beauchemin n’a jamais tenté d’être différent de ce qu’il a toujours été. Et l’énorme succès qu’il a eu n’est pas un boulet. « Je considère que Le matou et Juliette Pomerleau ont été des chances extraordinaires. Mes autres romans ont eu un beau succès. S’ils avaient répété celui du Matou, j’aurais été malheureux, car ça serait devenu une obsession pour moi. »

L’écriture d’Une nuit de tempête, qui s’est étalée sur deux ans, a pu se faire grâce à une bourse du Conseil des arts de Longueuil. Quand Yves Beauchemin m’a dit ça, les deux bras m’en sont tombés. Comment un auteur qui a vendu un million d’exemplaires du Matou, un roman qui a été traduit en 17 langues, peut-il avoir besoin d’un soutien financier ?

« Contrairement à ce que vous pouvez croire, je ne suis pas millionnaire. Disons que les éditeurs font beaucoup plus d’argent que les auteurs », note-t-il.

Dites-vous que lorsqu’un livre est publié en Amérique du Sud, il est très difficile de récupérer ses droits d’auteur. Ça coûte plus cher en avocats pour faire ces démarches que les droits eux-mêmes.

Yves Beauchemin

La distribution de ses livres en France a toutefois été plus lucrative. « Cela dit, quand on passe par France Loisirs, ça rapporte environ 50 cents par livre. Les écrivains qui sont riches au Québec, il n’y en a pas beaucoup. Moi, j’ai la chance de pouvoir vivre de ma plume, c’est un privilège extraordinaire. J’aurais de la misère à chialer sur ma vie. »

Yves Beauchemin affirme qu’il a plutôt fait cette demande de bourse pour se « botter le derrière ». « Quand tu as un engagement, tu es obligé de le respecter. »

On dit de ce roman qu’il « pourrait être » le dernier de l’auteur. Avant de le quitter, je lui ai demandé ce qui déterminerait si ce sera le cas ou pas. « Ce qui aiderait beaucoup, c’est que je ne meure pas. À partir d’un certain âge, l’idée de la mort fait partie de notre quotidien. Je crois que c’est pour cela que j’ai écrit Une nuit de tempête. Si vous remarquez, cette idée n’est pas présente dans le livre. Ce sont des personnages qui vivent et qui vivent pleinement. »

En librairie le 26 septembre

Une nuit de tempête

Une nuit de tempête

Québec Amérique

304 pages