À chaque scandale impliquant l’écrivain Michel Houellebecq, on se demande toujours si c’est arrangé avec le gars des vues. Dans une confession d’une centaine de pages sobrement intitulée Quelques mois dans ma vie, qui paraîtra à la fin de juin au Québec, il soutient plutôt avoir été victime d’un gars des vues, le réalisateur néerlandais Stefan Ruitenbeek, dans cette étrange affaire de film porno qui a fait les manchettes partout quand une bande-annonce a été diffusée sur le web.

Un des moments les plus sombres de sa vie, dit-il, mais beaucoup par sa faute, il le reconnaît, ayant stupidement signé un contrat sans en lire les détails (contrat reproduit intégralement dans le livre).

Mais qu’est-il allé faire dans cette galère ? Et pourquoi en faire un livre ? Surtout, pourquoi Houellebecq accepte-t-il maintenant une tournée des médias pour ce petit livre autobiographique gênant, alors que depuis des années, il refuse les entrevues pour ses romans ?

La réponse est dans sa relation avec les médias, justement. Alors qu’il avait renoncé aux « propos rapportés » des journalistes depuis un bout de temps, la fuite de quelques images de ce film a changé la donne. « Confronté à une catastrophe imprévue, il allait falloir que je me résigne à donner des interviews. » D’autant plus que sa situation médiatique en France, croit-il, s’est « dégradée ». « Mes ennemis avaient encore gagné en virulence, mes amis m’avaient pour partie trahi, mais surtout, il n’était plus question de me donner la parole. Les évènements me concernant pouvaient encore être relatés lorsqu’ils m’étaient néfastes ; mais mon point de vue n’intéressait plus personne. Là, pourtant, n’était pas encore le plus étrange. Le plus étrange était que ma présence publique n’avait en rien été modifiée. À peu près tout le monde avait tenté de me rassurer au sujet de ce film porno en me disant qu’une information en chasse l’autre, qu’il serait oublié. À peu près tout le monde se trompait : ce film porno ne serait jamais oublié. La honte, pour citer de nouveau Kafka, devait me survivre. »

La dernière chose que j’ai envie de voir, c’est bien un film porno avec Michel Houellebecq. Mais je lis tous ses livres, même celui-ci qui risque d’attirer encore plus l’attention sur son sex tape.

C’est l’écrivain français qui me fait le plus rire, avec San Antonio. On a tendance à le prendre beaucoup trop au sérieux, à le voir presque comme un prophète, alors qu’il ressemble plus à un Gaston Lagaffe qui trébuche dans les décombres postmodernes en marchant sur chaque mine. Je n’en reviens pas encore de cette synchronicité morbide de la sortie de Soumission le jour même des attentats de Charlie Hebdo.

Houellebecq est une perversion pour les médias. Je me sens obligée d’écrire sur lui, parce que tout le monde en parle, mais ça ne m’ennuie jamais. Ce n’est pas un écrivain maudit, c’est un Kardashian littéraire, qui semble maintenant nous faire le coup du revenge porn, en répliquant avec un livre qui va se vendre. Il fallait le voir sur tous les plateaux de télé en France, dans cette présence caractéristique du personnage, timide, maladroite et très lente, qui bouscule les codes de la télévision. Et, comme annoncé dans ce livre, où il dit qu’il est prêt à faire une exception médiatique pour l’euthanasie, « à condition que le débat soit animé par David Pujadas », il est effectivement allé chez Pujadas débattre avec Raphaël Enthoven sur ce sujet qui lui tient à cœur, thème important du roman Anéantir. C’est l’engagement le plus intéressant de l’écrivain ces dernières années : il est contre, pour des raisons touchantes et articulées.

Ce petit bouquin ressemble par moments à un long statut Facebook quand quelqu’un pris dans un scandale tente de rectifier le tir en donnant beaucoup trop de détails. Cela n’est pas un scandale, c’est un vaudeville. Au début, il règle rapidement une énième déclaration incendiaire sur l’islam, lors d’un long entretien avec Michel Onfray qui a mené à la publication d’un numéro hors série de Front Populaire – avec pour résultat une plainte de l’Union des mosquées de France. Houellebecq s’excuse platement à tous ceux qui auraient pu être heurtés, se trouve même stupide et dit avoir eu tort d’amalgamer le problème de la délinquance et l’islam, d’avoir évoqué la possibilité de « Bataclan à l’envers » de la part des « Français de souche ». Il croit plutôt invraisemblable une guerre civile en France. Mais il règle davantage ses comptes avec Onfray, qui a sèchement refusé de retirer la publication en question.

C’est l’affaire du porno qui l’intéresse et il refuse de nommer les protagonistes par leurs noms, les appelant plutôt le Cafard (c’est le réalisateur), la Truie et la Dinde. Houellebecq confie n’avoir jamais aimé la pornographie, mais il a une affection particulière pour la pornographie amateur, qui est de l’ordre de l’amour et du don, selon lui. Et d’expliquer longuement pourquoi il est difficile de filmer soi-même ses ébats selon certaines positions érotiques, d’où l’intérêt d’un réalisateur.

Il a dit avoir sincèrement pensé que les images n’allaient se retrouver que sur un site Onlyfans. C’est dur à croire, quand on est l’écrivain français vivant le plus connu sur la planète ; il faudrait y réfléchir à deux fois avant de parler, tout autant que de se faire filmer à poil. Difficile d’avoir pitié de Michel Houellebecq, quand même.

Mais toute cette affaire le met hors de lui.

Il était pour moi atroce de penser que la seule trace qui demeurerait de ma vie sexuelle, la partie la plus vivante de ma vie, soit un coït médiocre avec une truie inerte, filmé par un cafard dégénéré, l’ensemble à coup sûr d’une laideur totale. Je méritais mieux que ça ; n’importe qui mérite mieux que ça.

Michel Houellebecq

Toute cette entreprise, il le craint, n’était qu’une « excroissance de cet immense mouvement vers l’asexualité, qui caractérisait le début du XXIe siècle, lame de fond qui entraînait la modernité vers sa ruine » – l’écrivain n’allait certes pas nous épargner l’idée du déclin.

Houellebecq rappelle qu’il n’aime pas les féministes, ce qu’on savait déjà, mais admet que pour la première fois de sa vie, il pense comprendre un peu ce que vivent les victimes de viol. En même temps, il a de bons mots pour son ami Gérard Depardieu, dénoncé pour de multiples inconduites sexuelles, tout en démolissant au passage Picasso, qu’il traite de « crétin ithyphallique ».

Un vaudeville, je vous dis, mais qu’on ne peut s’empêcher de lire comme on regarde un accident de char au ralenti. Houellebecq arrive toujours à faire parler de lui, et affirme par ailleurs que le terme « populiste » est probablement ce qui le décrit le mieux, ce en quoi il n’a pas tort.

Quelques mois dans ma vie

Quelques mois dans ma vie

Flammarion

103 pages
En librairie à la fin de juin