Arnold Schwarzenegger n’a jamais été aussi convaincant que dans son propre rôle. Le personnage charismatique, crâneur et irrésistible révélé par Pumping Iron, fascinant documentaire de George Butler et Robert Fiore sur le sacre du « chêne autrichien » au concours de culturisme M. Olympia.

Soulever de la fonte me procure autant de plaisir que l’orgasme, prétendait Schwarzenegger dans ce film présenté au Festival de Cannes en 1977, qui mettait en scène sa rivalité avec l’Américain Lou Ferrigno (devenu par la suite l’Incroyable Hulk au petit écran).

Le futur gouverneur de la Californie y apparaissait détendu, sympathique, souriant ; tout le contraire des personnages menaçants et robotiques de tueurs impassibles qu’il a souvent interprétés au cinéma.

C’est ce même Schwarzenegger, enjôleur, sympathique et plus grand que nature, que l’on retrouve dans la nouvelle série documentaire de Lesley Chilcott (An Inconvenient Truth), Arnold, sur Netflix.

Un être de paradoxes qui fait le bilan de sa vie à 75 ans, dans le but évident de cimenter son propre mythe.

Comme Schwarzenegger l’avait fait dans son autobiographie, Total Recall, en 2012, la série de Netflix est divisée en trois épisodes soulignant sa reconversion d’athlète à acteur et à politicien.

Élevé par une mère obsédée de propreté et un père policier, violent et alcoolique, brisé par la défaite des nazis pendant la Seconde Guerre mondiale après l’Anschluss, le jeune Arnold n’a qu’un rêve (américain) : fuir l’Autriche pour les États-Unis, qu’il idéalise.

Bande-annonce du documentaire Pumping Iron

C’est par le culturisme qu’il y parviendra, quittant son service militaire pour participer au concours de M. Univers, puis se rendant en Californie dès l’âge de 22 ans pour parfaire son entraînement et devenir M. Olympia. À 25 ans, sous l’aile du magnat du culturisme Joe Weider et grâce à de judicieux investissements immobiliers, il est déjà millionnaire. Et il n’a pas encore tourné le moindre film.

Ses débuts dans le cinéma hollywoodien ne se font pas sans heurts. En raison de son fort accent autrichien, sa voix a été doublée dans le film de série B Hercule à New York. Un critique a dit d’un de ses premiers rôles au cinéma que le cheval qui l’accompagnait dans une scène avait un visage plus expressif que le sien…

La culture populaire flamboyante, tonitruante et grandiloquente qui a coïncidé avec le Make America Great Again de la présidence de Ronald Reagan a permis à Arnold Schwarzenegger de faire sa niche à Hollywood. Les grands studios venaient de découvrir le potentiel commercial des films d’action à explosions.

Arnold Schwarzenegger, promu au rôle principal de Conan le barbare, parfaitement adapté à sa carrure, deviendra l’une des vedettes du cinéma les plus en vue dans le monde grâce à James Cameron et au rôle-titre de Terminator. Pendant les années 1980, il a rivalisé avec Sylvester Stallone, l’un des intervenants de la série documentaire, pour le titre de roi du film d’action.

IMAGE TIRÉE DU FILM

Edward Furlong et Arnold Schwarzenegger dans Terminator 2 : Judgment Day, de James Cameron

L’acteur a aussi eu le flair de faire quelques pas de côté dans l’humour, tournant avec un autre réalisateur canadien, Ivan Reitman, les comédies Twins et Junior. Mais ce sont les répliques cultes – et comiques – de Terminator et de sa suite, « I’ll be back ! » et « Hasta la vista, Baby ! », qui lui resteront à jamais collées à la peau.

On ne peut pas dire que la série documentaire perce la carapace de Schwarzenegger. L’acteur prétend qu’il joue un personnage quand il bombe le torse ou fait des déclarations chocs (sur le culturisme et le sexe, par exemple). Mais ce personnage n’est jamais très loin. On le reconnaît au volant d’un tank ou d’un Hummer à six roues sur sa vaste propriété, constamment un cigare cubain au bec, lorsque Schwarzenegger déclare que les garçons ne se lassent jamais de leurs jouets. Il aime ses jouets gros.

Il est manifestement capable d’introspection et d’autodérision. Il reconnaît que ses échecs en politique, surtout pendant son premier mandat, s’expliquent par son impatience et ses manières rustres d’ancien conducteur de char d’assaut dans l’armée autrichienne. Il a notamment traité certains de ses adversaires de « girlie-men » (femmelettes).

C’est dans le compromis que ce républicain « vert », qui fut marié pendant 25 ans avec la journaliste progressiste Maria Shriver, nièce de John F. Kennedy, s’est démarqué pendant ses années en politique.

PHOTO ALEX HALADA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Arnold Schwarzenegger était présent à l’ouverture du Sommet autrichien sur le climat, le 16 mai dernier.

Sous sa gouverne, de 2003 à 2011, la Californie a été à l’avant-garde de la réduction des émissions de gaz à effet de serre et du combat contre le réchauffement climatique. Ce qui est paradoxal pour un homme qui a encouragé la commercialisation du Hummer.

Sans épanchements – on comprend vite que la vulnérabilité et l’émotion ne sont pas son genre –, mais en baissant la garde à quelques occasions, l’homme se livre dans ce qu’il a vécu de plus et de moins glorieux.

Arnold n’évite pas les parts d’ombre du parcours de Schwarzenegger. Lesley Chilcott revient sur les accusations d’attouchements sexuels de l’ex-gouverneur sur une quinzaine de femmes, révélées par le Los Angeles Times à la veille de son élection en 2003. L’acteur s’était excusé du bout des lèvres à l’époque, en ne reconnaissant qu’une partie des faits.

« J’étais sur la défensive, dit-il dans la série documentaire. Avec le recul, je peux dire que ça n’a pas d’importance à quelle époque ça s’est passé. Que ce soit à Muscle Beach ou il y a 40 ans, c’était mal. Oubliez toutes les excuses. C’était de la bullshit. »

Il reconnaît le tort qu’il a fait à sa famille – il a eu quatre enfants avec Maria Shriver –, mais n’a reconnu qu’en 2011 l’existence d’un fils né de sa liaison extraconjugale avec sa femme de ménage, dont il a gardé le secret pendant 15 ans.

« Les gens vont se souvenir de mes réussites, mais aussi de mes échecs », dit Arnold Schwarzenegger, philosophe, après avoir cité Nietzsche (« Ce qui ne tue pas rend plus fort »). Aveux sincères ? Recadrage du discours à la lumière du mouvement #metoo ? Difficile à dire. En introduction de la série, on entend une voix hors champ dire de Schwarzenegger qu’il est « calculateur ». On préfère croire que cette fois-ci, il a joué franc jeu.