Quatre mois après son arrivée à la tête du ministère de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe s’est offert une première grande tournée des médias. Enfin il a parlé des dossiers chauds qui sont sur son bureau.

Évidemment, la manière dont le Québec veut s’immiscer dans le projet de loi fédéral C-11 encadrant la diffusion en continu en ligne est sur le dessus de la pile. Opportunisme politique, ont clamé certains. Trop peu, trop tard, jugent les autres. Coup d’épée dans l’eau, pensent les pessimistes.

Mais pour un groupe d’observateurs dont je suis, le gouvernement du Québec a raison de faire valoir sa spécificité culturelle. Pour le moment, Mathieu Lacombe a droit au mutisme de Pablo Rodriguez, ministre du Patrimoine canadien, chargé de mettre en œuvre cette loi. Faut-il s’en étonner ?

J’avais hâte de rencontrer Mathieu Lacombe. En janvier, lors d’une demande d’entrevue, on m’avait demandé d’être patient. Mercredi, dans les bureaux de La Presse, le ministre a sorti son enthousiasme des grands jours pour répondre à mes questions.

Car il faut le dire, si sa prédécesseure Nathalie Roy a dû gérer une crise, Mathieu Lacombe est chargé de remettre le train sur les rails. Ça ne sera guère plus facile pour lui.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Mathieu Lacombe

Au sujet des Espaces bleus, concept controversé dont il hérite, il m’a juré qu’il croyait en son potentiel à 100 %. Permettez-moi d’en douter… Il refuse de parler de l’échéancier de son déploiement, mais on comprend que ce n’est pas demain la veille qu’on verra le réseau complet des 18 espaces.

Sur l’aide post-pandémique que le milieu culturel espère voir prolonger, il assure « qu’il ne la laissera pas tomber » après le budget du 21 mars prochain. Sur les gonflements de coûts dans les projets d’infrastructure, il reconnaît qu’une grande vigilance s’impose.

À cet égard, Mathieu Lacombe aura plusieurs chaudrons à surveiller : le Musée d’art contemporain (un dossier qu’il a littéralement sous les yeux de son bureau montréalais), le déménagement de la Maison Théâtre, la rénovation du Théâtre du Nouveau Monde, les projets d’Espace bleus… Tous ces projets pourraient être touchés par l’inflation dans le secteur de la construction.

Mais c’est au sujet de sa vision de la culture au Québec que j’avais le plus hâte de l’entendre. Mathieu Lacombe a levé la main pour obtenir ce ministère. Qu’est-ce qu’il souhaite en faire ? Quelles sont ses priorités ? Pour le moment, on l’a souvent entendu dire qu’il voulait donner le goût de la culture aux jeunes. Mais encore ?

« Au-delà du fait que j’aime nos artistes et ce que nous produisons, je crois que la culture est le ciment de la société québécoise, plus que la langue. Qu’est-ce qui fait de nous des Québécois ? C’est notre culture, sinon on peut devenir des Parisiens ou des Belges. Je pense que mon rôle est de faire en sorte que notre culture puisse affronter l’avenir. Ça peut paraître général, mais je dois avoir cet objectif en tête chaque fois que je prends une décision. »

Mathieu Lacombe a raison de dire que la culture est la « fondation sur laquelle tout le reste se bâtit ». Mais comment un ministre peut-il couler ce ciment en quelques années ? À l’instar d’autres ministères, celui de la Culture est un jeu de chaises musicales. Retournez voir la liste des ministres qui se sont succédé à la Culture depuis 1961 au Québec et vous allez être étourdi.

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Mathieu Lacombe

Les séjours de deux ans ou de quelques mois sont fréquents. Ce n’est pas pour rien que lorsqu’on cite des « legs » en exemple, ils proviennent surtout de ministres qui ont fait un mandat complet (Mathieu Lacombe a d’ailleurs évoqué la Société de développement des entreprises culturelles, ou SODEC, un héritage de Liza Frulla). À ce « long règne », on peut ajouter ceux de Georges-Émile Lapalme (le tout premier), Clément Richard, Lise Bacon, Agnès Maltais, Line Beauchamp, Christine St-Pierre et Hélène David.

On observe la même chose en France. Avez-vous remarqué qu’on revient toujours sur les réalisations historiques d’André Malraux et de Jack Lang, deux ministres qui ont occupé les fauteuils de la Culture pendant… une dizaine d’années ?

Tant au fédéral qu’au provincial, le ministère de la Culture est trop souvent considéré comme un prix de consolation, un poste intermédiaire en attendant d’avoir mieux. Il y a eu des ministres de la Culture solides et visionnaires et d’autres qui sont passés à l’histoire pour des raisons peu reluisantes.

En 2017, j’ai rencontré Jean-Noël Tremblay, qui a tenu ce rôle de 1966 à 1970. Cinquante ans après la création des Belles-sœurs, il m’a dit sur un ton digne des Frères des écoles chrétiennes que cette pièce de Michel Tremblay n’était pas du « vrai théâtre ». Je n’en croyais pas mes oreilles.

Le passage éclair (février 1972 à février 1973) de Claire Kirkland-Casgrain (parodiée par Dominique Michel dans Bye Bye 72) a donné l’idée à la revue littéraire Jeune Théâtre de lancer un concours : « Trouvez le nom du prochain (ou de la prochaine) ministre/sse des Affaires culturelles ! »

Rares sont les cas où des spécialistes du monde de la culture sont recrutés lors des campagnes en prévision de ce rôle comme on le fait avec des candidats qui ont des connaissances solides en droit, en économie, en santé ou en éducation.

Et puis, quelques jours avant l’annonce de ceux qui détiendront un ministère, on se demande qui se tirerait le mieux d’affaire en culture et en communications. Soixante ans après la création de ce ministère par Jean Lesage, il serait grandement temps que l’on commence à voir les choses en amont.

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Mathieu Lacombe

Quelques mois après son arrivée au ministère de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe reconnaît que la vision « très romantique » qu’il avait de son nouveau rôle a changé. « Au quotidien, je me rends compte qu’il y a des enjeux de tuyauterie. »

En disant cela, il cerne la grande particularité de ce ministère. La culture est un monde de rêve, de créativité, d’innovation et de glamour. Mais c’est aussi une industrie qui vit des crises, qui connaît des hauts et des bas et dont les requêtes sont aussi nombreuses que diverses.

Le danger est de privilégier l’un de ces univers pour négliger l’autre. Un ministre de la Culture doit savoir rêver et faire rêver. Mais il doit aussi se préoccuper des vis et des boulons. Et Dieu sait si le monde de la culture a pris des allures de kit à monter ces dernières années.

Mathieu Lacombe est le 29e ministre de la Culture que le Québec a connu. Souhaitons qu’il prenne connaissance du mode d’emploi très rapidement afin qu’il puisse couler allègrement son ciment durant un mandat complet.