Quand on dit d’une femme qu’elle a un visage de madone, cela signifie qu’elle est d’une grande beauté, une beauté pure et chaste. Depuis l’apparition de Madonna au dernier gala des prix Grammy, où elle a introduit la performance de Sam Smith et Kim Petras qui a traumatisé la droite américaine, on ne parle que de son visage anormalement lisse et gonflé, « méconnaissable », disent certains.

Assez pour que la star réponde sur son compte Instagram à ses détracteurs : « Encore une fois, je me retrouve piégée par le regard empreint d’âgisme et de misogynie du monde dans lequel nous vivons. Un monde qui refuse de célébrer les femmes de plus de 45 ans et qui choisit de les punir si elles continuent d’être fortes, travaillantes et audacieuses. »

Entre la condamnation des abus de la chirurgie esthétique et les injonctions à respecter le droit des femmes à faire ce qu’elles veulent de leur corps, le moins que l’on puisse dire est que Madonna continue de faire jaser à 64 ans. Et malgré tout ce qu’on dit, les billets des spectacles à Montréal de sa prochaine tournée se sont envolés en une heure et quart.

Si je n’ai jamais été la plus grande fan de Madonna, je dois avouer que je la regarde vieillir avec fascination. Sa persistance force le respect.

Elle a toujours été une pionnière et elle le demeure en continuant à s’imposer sur scène et dans les médias à un âge où les vedettes de la pop féminine sont depuis longtemps confinées à des hommages par-ci, par-là, tandis que les Rolling Stones remplissent les stades malgré la mort de Charlie Watts.

À ce sujet, l’essai Madonna – Le déclin orchestré, de Lucas Prud’homme-Rheault, un véritable geek de l’icône, est éclairant. « Un jour, une femme m’a dit : “Le féminisme, c’est un clou qu’il faut frapper sans cesse” », écrit-il. Or Madonna ne cesse de frapper, de réitérer ; elle redit, rejoue, repense. La redite, l’autocitation, le tournoiement incessant des mêmes idées, des mêmes obsessions, relèvent ici du politique : « Tout redire plusieurs fois de suite et surtout ne pas avoir peur de se répéter, deux ou trois idées suffisent pour remplir une seule tête, pour orienter toute une vie », souligne-t-il en citant Nelly Arcan.

La « blonde ambition » est attaquée à tous les âges de la vie, qu’il s’agisse de Madonna, Nelly Arcan, Britney Spears ou même Pamela Anderson qui reprend le contrôle de son discours dans le récent documentaire Pamela : A Love Story, offert sur Netflix. C’est incroyable combien, depuis #metoo et la nouvelle vague du féminisme, nous revisitons le passé en constatant la violence que les femmes subissent dans l’espace public, qu’elles soient belles ou laides, minces ou grosses, jeunes ou vieilles. Hier, c’était carrément une norme, qu’on appliquait de manière tout à fait décomplexée ; aujourd’hui, on fait un peu plus attention, parce que les femmes répliquent, mais ça avance très lentement, il faut l’admettre.

PHOTO VALERIE MACON, AGENCE FRANCE-PRESSE

Madonna au 65gala des prix Grammy

En tout cas, Madonna se souvient de la façon dont elle a été traitée depuis Like a Virgin : « Je ne me suis jamais excusée pour aucun de mes choix artistiques ni pour ce dont j’ai l’air ou la façon dont je m’habille, et je ne vais pas commencer maintenant, a-t-elle dit sur Instagram. J’ai été dénigrée par les médias depuis le début de ma carrière, mais je comprends que tout ça est un test, et je suis heureuse d’ouvrir la voie pour que ce soit plus facile dans les années à venir pour les femmes qui viendront après moi. Dans les mots de Beyoncé : “Vous ne briserez pas mon âme.” »

De plus, elle se promet pour le reste de ses jours de rester dans la subversion, de repousser les limites et de jouir de sa vie.

Je serais prête à parier qu’elle sera toujours là à 80 ans, en la regardant aller sur son compte Instagram que je suis religieusement. Parfois, elle réussit à me choquer et ça me fait réfléchir sur mon côté prude. Il n’y a probablement rien de plus « impur » qu’une femme d’expérience, qui a perdu son innocence depuis longtemps, mère de six enfants, vivant sa « best life » – elle frenche encore en bas résille, gars ou filles.

J’étais persuadée qu’elle allait vieillir naturellement, en raison de la discipline de fer qu’elle a imposée à son corps toute sa vie – cette femme est en muscles depuis longtemps –, mais voilà, elle a choisi le recours aux interventions esthétiques, et comme Madonna ne fait pas les choses à moitié, j’y vois surtout une nouvelle performance, puisqu’elle est la reine de la réinvention. Bien sûr, je constate comme tout le monde que son visage a beaucoup changé, et elle aurait de toute façon des critiques si elle n’avait pas retouché ses rides, mais plus que son visage, je regarde davantage ceux et celles qui regardent Madonna pour la juger – c’est pratiquement devenu un sport à chacune de ses publications. Dans cette mise en scène d’elle-même, Madonna met aussi en lumière la cruauté du monde envers elle et je crois que nous sommes nombreuses à la suivre pour voir jusqu’où ça peut aller.

Elle se nomme Madonna, et même si ces dernières années son visage semble figé comme celui d’une madone, elle continue d’avancer en n’étant jamais figée par ce que l’on attend d’elle, cette pureté et cette innocence qu’on exige des saintes.

Elle ne se laissera pas enterrer vivante.