On connaît depuis longtemps l’engagement écologiste du bassiste des Cowboys fringants, Jérôme Dupras, comme environnementaliste, scientifique et professeur d’université. Cet hiver, il pousse plus loin encore l’alliage entre les arts et la science en lançant un album instrumental inspiré de la crise climatique.

Solastalgie, titre de cet album qui sera lancé vendredi, signifie « une forme de nostalgie et de tristesse face aux éléments du passé qui sont perdus et ce qu’on entrevoit pour le futur », explique Jérôme Dupras. Ce concept, développé il y a 20 ans par un philosophe australien, est maintenant utilisé en psychologie pour décrire un des visages de l’écoanxiété. Pas celui paralysant des crises d’angoisse, mais plutôt celui du deuil « face à quelque chose qui se perd et qui s’en va », précise-t-il.

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Solastalgie n’est donc pas une œuvre tourmentée ou agitée. C’est plutôt un album doux et mélancolique, un appel d’air inspiré des « préoccupations croisées » de trois musiciens et jeunes pères de famille inquiets de l’héritage qu’ils laissent à leurs enfants.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Jérôme Dupras est aussi bassiste des Cowboys fringants.

L’idée a été de faire de la musique et de l’art sur un sujet important pour nous, dans une perspective plutôt organique et individuelle. C’est une capture actuelle de la situation à travers les yeux et les mains de trois musiciens qui voulaient créer un bel objet avec une belle démarche.

Jérôme Dupras

Exutoire thérapeutique

L’album a été composé, réalisé (avec Sébastien Blais-Montpetit) et joué presque entièrement par Jérôme Dupras, le multi-instrumentiste Jérôme Dupuis-Cloutier, qui accompagne les Cowboys sur scène depuis des années, et le pianiste et directeur musical Guillaume St-Laurent. Le projet a démarré il y a deux ans, en plein confinement, un peu comme un exutoire thérapeutique – « Dans un contexte de pandémie, avec trois jeunes enfants à la maison, la fumée me sortait par les oreilles ! » – et dans le but de continuer à créer.

« On a commencé, Jérôme et moi, et c’est lui qui m’a proposé d’appeler Guillaume. Son piano est plus élaboré que ce qu’on pouvait faire, et ça a cliqué tout de suite sur le plan musical. Pendant un an, on a travaillé à distance, on s’envoyait des bouts de pièce à gauche et à droite. L’album était construit à 95 % quand j’ai finalement rencontré Guillaume en vrai ! Et là ça a cliqué sur le plan humain aussi. »

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L’album est construit en huit tableaux très cinématographiques inspirés de thèmes liés à l’environnement, que ce soit la fonte des glaces, les baleines ou la forêt. La composition « en patchwork » lui donne une respiration et voyage entre le néo-classique – le piano de Guillaume St-Laurent y est pour beaucoup – et le jazz, avec une grande place laissée à l’improvisation.

« On dit que c’est de la pop instrumentale, à cause des structures avec des patterns qui reviennent. Cet alliage, c’est ce qui est venu naturellement. Notre trio fonctionne bien, le piano avec la section rythmique, la basse et la batterie ainsi que les cuivres. »

Respiration

On peut « lire entre les lignes musicales » de l’album une trame narrative qui ne se veut ni défaitiste ni trop optimiste, une approche apaisante et « un peu bouddhiste », souligne le bassiste. « On ne peut pas tout changer, mais on peut changer ce qui est à notre portée. Accepter le monde qui nous entoure, prendre une respiration et créer quelque chose qui reflète cet état d’esprit. »

Et ces quelque 35 minutes de musique sont là pour transporter l’auditeur dans un état plus sentimental et réflexif, estime-t-il. « Dans toutes les pièces, sauf une ou deux, il y a peu de relief. Ça passe doucement, ça laisse place à l’ouverture mentale. »

Cette structure ouverte laissera de l’espace pour encore davantage d’improvisation au cours des spectacles à venir. Pour les trois musiciens, ils seront le prolongement de la création avec une approche multidisciplinaire, se rapprochant de l’installation avec des montages vidéo pour « donner un côté cinématique à l’aventure ».

C’est une chance, une liberté d’avoir un véhicule comme ça et on va le garder bien actif. L’album n’est pas une finalité, c’est un chapitre du livre qui est en train de s’écrire.

Jérôme Dupras

Après plus de 20 ans de recherche scientifique et de musique, Jérôme Dupras est heureux de voir qu’il réussit à allier les deux pôles de sa vie autour de ce dénominateur commun qu’est l’avenir de la planète. « Quand j’étais au bac et que le groupe commençait, c’était vraiment deux univers différents. Mais j’ai vu toute la force que ça donne de croiser des mondes. Ça enrichit vraiment quand on dialogue de cette façon et ça peut porter le message sur une voie neuve et innovante. »

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Et pour l’environnementaliste qui passe sa vie dans son laboratoire à « observer des données inquiétantes », parler de deuil et de la fin d’un monde pour en faire de la beauté est aussi réconfortant. « De chaque choc peuvent naître des occasions. Il y a des paysages en transformation, des moments de beauté qu’on peut saisir. Et cette forme d’espoir, ça peut être porteur d’un changement individuel, de société, d’humanité », dit Jérôme Dupras.

Solastalgie

Instrumental

Solastalgie

Jérôme Dupras, Guillaume St-Laurent et Jérôme Dupuis-Cloutier

La Tribu

Rectificatif
Dans une version précédente de ce texte, nous avions écrit Jérôme Dupuis-Déry plutôt que Jérôme Dupuis-Cloutier. Nos excuses.