Le prix du Grand malaise de la semaine est attribué sans l’ombre d’un doute à la bande-annonce du film porno mettant en vedette l’auteur français Michel Houellebecq.

Pour ceux qui auraient loupé cette nouvelle, rappelons que l’écrivain a été invité par un collectif de cinéastes des Pays-Bas, KIRAC (Keeping It Real Art Critics), à prendre part à un court métrage pornographique dont il est le centre d’attention.

Comment l’un des auteurs les plus en vue de son époque s’est-il retrouvé dans cette galère ? Tout cela remonte à la lune de miel que Michel Houellebecq et sa femme, Qianyun Lysis Li, devaient passer au Maroc. L’épouse attentionnée avait préparé ce voyage pendant un mois. Elle avait notamment prévu d’offrir de « jolies prostituées » à son mari.

Mais ce dernier s’est retrouvé la quéquette entre les deux jambes lorsque le voyage a été annulé à cause d’une menace terroriste.

Qu’à cela ne tienne ! Houellebecq a plein d’amis prêts à lui venir en aide. Stefan Ruitenbeek, réalisateur de films d’art et membre de KIRAC, lui a alors dit de venir à Amsterdam, car il connaissait « plein de filles » qui accepteraient de coucher avec lui « par curiosité ». Il y avait toutefois une condition à cette invitation : que les ébats soient filmés.

En moins de deux, Houellebecq et sa femme ont accepté cette proposition. Aux rôles de romancier, d’acteur, de réalisateur, de chanteur, de poète et d’essayiste, voilà que le lauréat du prix Goncourt 2010 (La carte et le territoire) ajoute maintenant celui d’acteur porno.

J’avoue que j’ai d’abord cru à un canular. Mais lorsque j’ai visionné la bande-annonce du film qui sera offert à compter du 11 mars, j’ai compris que ce projet était sérieux. Et qu’il suscitait chez moi une foule d’interrogations.

Regardez la bande-annonce (sans nudité)

Dans le film KIRAC 27 (c’est le 27e film du collectif), dont on ne sait s’il relève de la fiction ou du docuréalité, il est question de l’arrivée du premier enfant du réalisateur et des appréhensions que cela provoque chez lui. Que vient faire Houellebecq là-dedans ? Et comment est née cette idée ?

Ruitenbeek et Houellebecq, qui correspondent depuis 2019, ont convenu d’un rendez-vous à Paris. L’auteur ne s’est pas présenté, mais Lysis Houellebecq est venue. Elle a expliqué que son mari était déprimé et que la seule chose qui le rendait heureux était de coucher avec beaucoup de femmes.

C’est ainsi que l’idée de ce film a pris forme. Le tournage qui a eu lieu à Amsterdam et à Paris a duré six jours (mettons qu’on est loin de Dune ou d’Avatar). En tout, Houellebecq a couché avec quatre femmes. Le réalisateur a été impressionné par sa performance.

« Au lit, il est très bon, il baise comme un fou, il est vraiment viril avec les femmes, a dit Ruitenbeek dans une entrevue accordée à Vice. Je pensais qu’il allait jouir en trois minutes, mais il a baisé pendant des heures. C’est un vrai mec. »

Il y a une tonne de façons de voir ce coup d’éclat de Michel Houellebecq. D’abord, il y a l’idée d’une performance artistique audacieuse qui cache un message d’une portée plus grande qu’on ne le pense. Toujours dans cette entrevue accordée à Vice, Stefan Ruitenbeek fait part du lien qu’il établit entre cet homme « devenu immortel grâce à ses livres » et ce « vieux corps qui va bientôt mourir ».

« Même si son corps est proche de la fin, il lui réclame du sexe, d’être touché, des orgasmes et du bonheur. Tu peux être le plus grand auteur de littérature, tu peux marquer l’histoire, mais à la fin tu restes ce petit corps, ce petit bout de chair qui ne vivra plus très longtemps. Ce film parle donc d’intimité, d’amour et de ce que cela veut dire d’être un vieil homme de 66 ans dépressif. »

Selon Ruitenbeek, l’auteur des Particules élémentaires et d’Anéantir n’était pas intéressé par la question du sexe dans cette expérience. Ce qui comptait pour lui, c’était « la signification de cette performance ».

Mais d’autres pourraient voir dans ce projet l’occasion de placer judicieusement un paravent sur les dérives récentes de l’auteur reconnu pour ses prises de position controversées. Lors d’une discussion-fleuve avec Michel Onfray publiée fin novembre dans la revue Front populaire, Michel Houellebecq a affirmé des choses profondément choquantes sur les musulmans : « Le souhait de la population française de souche, comme on dit, ce n’est pas que les musulmans s’assimilent, mais qu’ils cessent de les voler et de les agresser. Ou bien, autre solution, qu’ils s’en aillent. »

La Grande Mosquée de Paris a décidé de porter plainte contre l’écrivain. Mais le recteur Chems-Eddine Hafiz a finalement décidé de retirer sa plainte après une rencontre de six heures avec l’auteur de Soumission. Houellebecq a reconnu que « les paragraphes concernés sont ambigus » et s’est engagé à les revoir dans un ouvrage à venir.

Mais le 13 janvier dernier, voilà que l’Union des mosquées de France a décidé de porter plainte contre l’auteur, Michel Onfray et le directeur de la revue. Houellebecq n’est pas au bout de ses peines.

Et puis, je ne peux m’empêcher de voir dans cette affaire un formidable exemple de l’insatiable soif de certains à vouloir tenir le haut du pavé. Nous vivons dans un monde où le regard des autres est une drogue dure. On veut être remarqué, reconnu, admiré, aimé pour ce qu’on est. Ou ce qu’on n’est pas.

Michel Houellebecq a-t-il vraiment besoin de se faire filmer en pleins ébats avec des femmes alors qu’il vend ses romans par centaines de milliers d’exemplaires ? Que fait-on après cela pour attirer l’attention sur soi ? Parce qu’il faut savoir que ce jeu est une spirale.

En tout cas, on peut dire que Michel Houellebecq assume ses propres contradictions. Lui qui dénonce remarquablement bien la décadence de l’Occident à laquelle nous assistons fait la démonstration qu’il en est aussi la parfaite incarnation.