La comédienne et ex-sénatrice Viola Léger s’est éteinte samedi à l’âge de 92 ans. L’Acadie, le village de Bouctouche et le monde du théâtre pleurent la mort de l’irremplaçable interprète de la Sagouine, personnage créé par Antonine Maillet.

Son décès a été confirmé en fin de soirée par son attachée de presse, Carol Doucet. Victime d’un accident vasculaire cérébral à la fin du mois de janvier 2017, Viola Léger (prononcez Légère) avait annoncé le 23 février suivant qu’elle se retirait de la vie publique.

« L’Acadie perd un monument », a souligné en entrevue Monique Poirier, codirectrice générale du Pays de la Sagouine. « C’est une nouvelle qui ébranle, même si on savait que la fin approchait. Elle était une artiste authentique, proche du monde, avec un talent extraordinaire », a-t-elle soufflé.

Jeune artiste, elle l’a rencontrée à la fameuse attraction de Bouctouche au milieu des années 1990. « Elle était très généreuse. Elle aimait passer du temps avec les jeunes artistes. C’était un privilège de pouvoir la côtoyer », a déclaré Mme Poirier.

Longue carrière

Au terme d’une carrière bien remplie de plus de 45 ans, Viola Léger aura joué non seulement le personnage de la Sagouine de 2000 à 3000 fois, mais aussi plusieurs autres personnages au théâtre comme à la télévision.

Elle a en outre créé sa propre compagnie de théâtre, a été sénatrice de 2001 à 2005 à Ottawa et a mis sur pied une fondation à son nom destinée à promouvoir le théâtre en Acadie.

« Viola était un trésor national, rien de moins », a résumé le réalisateur Phil Comeau, qui a eu la chance de travailler avec elle sur trois productions, dont la série de fiction La Sagouine.

C’était une femme très concentrée lorsqu’elle travaillait. Elle se mettait dans un état d’esprit absolument incroyable. Tu disais “action”, et tu n’avais pas besoin de faire de deuxième prise.

Phil Comeau, réalisateur

En 2017, une soirée d’hommage à la grande comédienneavait été organisée au Théâtre Capitol de Moncton, au Nouveau-Brunswick. Malgré sa santé fragile, Mme Léger avait assisté au spectacle, se souvient Monique Poirier. « Sa réaction avait été tellement émouvante. On sentait qu’elle ressentait vraiment l’amour du public », a-t-elle raconté.

En entrevue à Radio-Canada, la romancière et dramaturge Antonine Maillet a souligné l’œuvre de celle qui a donné vie à son personnage pendant des décennies. « Elle l’a rendu avec une telle conviction et un tel talent que maintenant, la Sagouine est connue à travers le monde », a-t-elle déclaré.

« La Sagouine devenait vivante à cause de cette comédienne qui incarnait plus qu’un personnage, qui incarnait un peuple », a ajouté Mme Maillet.

Enseignement du théâtre

Depuis toujours associée à l’Acadie, c’est pourtant aux États-Unis qu’est née la comédienne. Ses parents et grands-parents étaient des Franco-Américains, ces Canadiens partis trouver une vie meilleure en allant travailler dans les usines de textile de la Nouvelle-Angleterre. Deuxième de sept enfants, elle voit le jour à Fitchburg, dans le Massachusetts, le 29 juin 1930.

Plus tard, sa famille revient s’installer au Nouveau-Brunswick, où elle étudie notamment au collège Notre-Dame d’Acadie. C’est dans cet établissement qu’elle rencontre Antonine Maillet et se lie d’amitié avec elle.

À 18 ans, Mme Léger entre chez les religieuses Notre-Dame du Sacré-Cœur sous le nom de sœur Andréa-Marie. Elle enseigne le théâtre et la littérature durant des années dans la province.

Après le décès de son père, en 1968, elle part étudier à l’Université de Boston où elle obtient une maîtrise en enseignement du théâtre. Puis on la retrouve à Paris, où elle parfait sa formation auprès du célèbre metteur en scène, comédien et chorégraphe Jacques Lecoq. C’est là, en 1970, qu’elle reçoit un texte d’Antonine Maillet : La Sagouine.

Un an plus tard, la vie de Viola Léger change pour toujours. Le 20 février 1971, Antonine Maillet présente sa nouvelle pièce de théâtre en lecture publique à la Bibliothèque nationale du Québec à Montréal dans le cadre d’une activité du Centre des auteurs dramatiques. L’auteure offre à Mme Léger d’incarner le personnage. Cette dernière quitte alors sa communauté religieuse.

La pièce est créée au théâtre Les Feux chalins de Moncton le 24 novembre 1971. Issue d’un autre texte d’Antonine Maillet, Les crasseux, monté en 1968, La Sagouine, 72 ans, est fille et femme de pêcheurs devenue laveuse de planchers.

À travers ses monologues, ses soliloques, elle évoque avec couleur et chaleur la beauté de son pays, mais aussi la misère et les souffrances de ses habitants.

Avec son personnage, elle « a touché la mémoire collective de tout un peuple », dit-on d’elle sur le site de l’organisme Le pays de la Sagouine. « À travers des mots vieillis, rares et poétiques, elle nous ramène à une chose primordiale : la dignité humaine », ajoute-t-on.

Première montréalaise

Le lundi 9 octobre 1972, la pièce est jouée pour la première fois au Théâtre du Rideau Vert à Montréal. Le lendemain dans La Presse, le chroniqueur Martial Dassylva signe un texte rempli d’éloges, tant à l’égard du personnage que de son interprète.

« La Sagouine n’est pas belle, mais elle est fine, de cette finesse que ne donnent ni les diplômes ni les bonnes manières », écrivait alors notre ancien collègue. Il qualifie la performance de Viola Léger de « tout simplement renversante », avec une composition du personnage « remarquable à tous égards ».

Dans les années subséquentes, la pièce est jouée partout au Canada, aux États-Unis et en Europe francophone.

Depuis 1993, elle est jouée tous les étés, au Pays de la Sagouine, destination touristique de Bouctouche au Nouveau-Brunswick où est reproduit le village de pêcheurs sorti de l’imagination d’Antonine Maillet.

Lorsque Viola Léger reçoit, en 2013, le prix du Gouverneur général pour la réalisation artistique (théâtre), sa biographie indique qu’elle l’a interprétée plus de 2500 fois. La pièce a été adaptée deux fois pour la télévision : en 1976 par Jean-Paul Fugère et en 2006 par Phil Comeau.

Malgré ce côtoiement quasi quotidien entre l’interprète et son personnage, Viola Léger a toujours travaillé avec sérieux en répétitions, comme on peut le voir dans l’excellent documentaire Simplement Viola de Rodolphe Caron.

« Je connais La Sagouine de l’intérieur mais pas de l’extérieur », y dit-elle, peu intéressée à se voir sur scène.

Autres rôles

Bien sûr, la Sagouine aura été le personnage de toute une vie pour Mme Léger. Au point que, en juillet 2013, la comédienne avouait, en entrevue au journal L’Acadie nouvelle, avoir ressenti un léger choc après avoir appris que les administrateurs du Pays de la Sagouine lançaient un appel à candidatures pour trouver de nouvelles comédiennes pouvant incarner son personnage. Mais elle reconnaissait qu’il fallait assurer la relève.

« Trois comédiennes avaient été retenues, mais l’expérience n’a pas été jugée concluante et Viola Léger est revenue seule, l’été dernier, dans ce rôle », disait-on dans un reportage de Radio-Canada Acadie le 22 janvier 2016.

Cela dit, Viola Léger a défendu plusieurs autres rôles dans sa carrière. À la télévision, on l’a vue entre autres dans la comédie de situation Libre-échange (Aline Robichaud) de Christian Fournier, Ginette Tremblay, Bernard Dansereau et Annie Piérard et dans Bouscotte (Gabrielle Lévesque) de Victor-Lévy Beaulieu.

Au théâtre, elle a joué dans des pièces de Michel Tremblay, Tennessee Williams, Frederico García Lorca et plusieurs autres.

Elle obtient en 2001 le Masque de la meilleure actrice (ex æquo avec sa partenaire de jeu Linda Sorgini) pour son rôle de Grace dans Grace et Gloria de Tom Ziegler.

Cette grande carrière a été émaillée de nombreux prix et distinctions, dont quatre doctorats honorifiques, l’Ordre du Canada, l’Ordre du Nouveau-Brunswick, l’Ordre des Arts et des Lettres de France, l’Ordre des Francophones d’Amérique et l’Ordre de la Pléiade.