L’écrivain Simon Roy est parti le samedi 15 octobre à 15 h, entouré de ses enfants, Romane, Colin et Corail, ainsi que de sa conjointe, Marianne Marquis-Gravel.

Atteint d’un cancer du cerveau incurable, il avait choisi cette date pour l’aide médicale à mourir. Il voulait que ça se fasse après l’anniversaire de Marianne, qu’il a célébré lors d’une petite escapade il y a quelques jours, où il a mis toutes ses forces, qui déclinaient de plus en plus. Il était si heureux, après avoir publié en mai son ultime livre, Ma fin du monde, d’avoir pu assister en septembre au lancement du premier livre de son amoureuse, Dans la lumière de notre ignorance, qui raconte leur amour et ce mauvais coup du destin.

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J’ai passé la semaine à penser à Simon et Marianne, parce qu’ils m’avaient prévenue. Penser à leur fin du monde, pendant que je restais planquée dans la lumière de mon ignorance. On ne peut (et ne veut) rien savoir vraiment de la mort quand elle n’est pas à notre agenda. Et si je suis tout à fait pour l’aide médicale à mourir, mon esprit est terrifié par cette idée de connaître d’avance l’heure précise du grand saut dans le néant.

Pourtant, Simon me disait qu’il se trouvait chanceux de voir venir, au contraire de quelqu’un qui meurt subitement. Dès qu’il a su qu’il était condamné, il s’est mis à orchestrer sa sortie. Et donner à tous en même temps une leçon de vie, soutenue par l’amour indéfectible de celle qu’il aimait. « Il a été professeur jusqu’à la fin », fait remarquer Marianne, elle aussi professeure de littérature, qui a bien voulu me parler des derniers instants de Simon.

Je m’inquiétais beaucoup plus pour elle, en fait, et Marianne m’a appris qu’elle avait la COVID. Que le projet que ses amis viennent la soutenir avait dû être reporté. La vie a de ces ironies, parfois, puisque Marianne et Simon ont vécu pendant deux ans avec la maladie en pleine pandémie.

À l’annonce de la mort de Simon, beaucoup de ses anciens élèves du collège Lionel-Groulx lui ont rendu hommage, ce qui ne m’étonne pas. Car dès ma première rencontre avec lui, pour la sortie de Ma vie rouge Kubrick en 2014, j’ai découvert un homme passionné par la littérature. Un vrai de vrai. Ça devait paraître en classe.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Simon Roy en 2018, lors d’un cours de littérature au collège Lionel-Groulx

Dany Laferrière a raison lorsqu’il dit que personne n’attend votre premier livre. Ma vie rouge Kubrick était écrit par un parfait inconnu, et il m’était rentré dedans à un point tel que je l’avais lu en entier sans sortir de mon bain, que je réchauffais une fois de temps en temps. J’ai émergé de ma lecture profondément marquée (et ratatinée). Cette manière qu’il avait de mêler le film The Shining de Stanley Kubrick à son drame personnel – le suicide de sa mère – était incroyable. Je ne connais personne qui n’a pas aimé Ma vie rouge Kubrick, un livre plein de prémonitions, quand j’y pense.

Il me fallait rencontrer cet auteur. Voici ce que ça a donné.

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Dans les derniers temps de sa vie, Simon n’était plus capable de lire, mais Marianne lui faisait la lecture quatre heures par jour. Son programme était imposant : Peter Handke, Yvon Rivard, Françoise de Luca, Dominique Fortier, Siri Hustvedt, Sophie Bienvenu, et beaucoup d’autres. Il a même pu finir l’énorme somme de Karl Ove Knausgaard, puisque Marianne lui a lu le dernier tome d’environ 1500 pages, intitulé Fin de combat, alors qu’elle n’avait même pas lu les précédents. Si ce n’est pas de l’amour, entre eux et pour les livres, je ne sais pas ce que c’est, moi qui n’ai pas lu une ligne de Knausgaard.

« Ça l’a maintenu en vie, affirme Marianne. Comme s’il y avait une magie dans sa relation avec la littérature, jusqu’à la fin. »

Simon Roy croyait à ce pouvoir de transformer le réel par la lecture et l’écriture, de le décomposer et le recomposer, pour y voir peut-être une hyperréalité. Il a écrit sur le suicide de sa mère, sur son père mythomane, sur sa maladie et sur sa mort, en y mêlant Kubrick et Orson Welles, le destin d’un faussaire des arts visuels, la généalogie macabre de sa famille et mille autres affaires. Chez lui, le faux était vrai et le vrai était faux. Quelle unique et étrange façon il avait de voir le monde : profondément terre-à-terre, mais éclatée dans son interprétation, dans sa lecture des choses.

Il voyait des liens et des signes partout. Je me demande parfois si son cancer du cerveau ne provient pas d’une surcharge hallucinante de ses neurones toujours en ébullition.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Simon Roy, en 2014

Simon a soigneusement écrit sa fin de vie. C’est un écrivain, après tout. Chaque spectacle, chaque sortie, chaque rencontre, chaque réunion où il a pu se rendre était un chapitre dans son combat contre la mort, et il a en plus publié deux livres – Fait par un autre et Ma fin du monde – avant de tirer sa révérence. Il disait à qui voulait l’entendre qu’il n’avait jamais été plus heureux dans son existence.

Trois semaines avant la date fatidique, il a dicté un message à Marianne, à partager après son départ : « Cet après-midi, le docteur Daigle et l’infirmière Desbiens viendront à la maison pour procéder à l’aide médicale à mourir. Je partagerai un dernier repas avec Marianne et mes enfants, boirai une dernière coupe de vin à la vie que j’ai menée et écouterai, avant de rendre mon dernier souffle, une chanson qui m’est chère. Durant ces dernières minutes, les enfants poseront une main sur mes joues et Marianne se blottira la tête contre mon cœur. J’espère être pleinement conscient, les yeux grands ouverts pour pouvoir les regarder une dernière fois et leur sourire à pleine bouche. Avant de partir, les beaux moments de ma vie défileront certainement dans ma tête, puis je fermerai les yeux doucement, sereinement, heureux de cette vie qui m’aura tant donné. J’espère un jour vous revoir si cela est possible, qui sait ? Voyons maintenant s’il y a quelque chose qui nous attend de l’autre côté… »

Jusqu’à la fin, cette gratitude et cette curiosité. On veut tous le savoir, s’il y a quelque chose après la mort, non ? Il a dit à Marianne que si oui, il allait essayer d’envoyer des signes.

Mais pour son dernier jour sur terre, Simon avait tout planifié et ça s’est passé exactement comme ce qu’il a écrit, me dit Marianne, à la fois étonnée et dévastée. Il avait choisi son repas, son vin, et sa bande sonore, car c’était un maniaque de musique. Ça s’est passé dans le petit garage de sa maison qu’il avait façonné comme une chambre d’ado, avec ses disques, ses posters, ses jeux de société, là où il aimait recevoir. « C’est le genre de mort qu’on voudrait tous, dit Marianne. Il n’a pas été hospitalisé, il était dans son garage, entouré de l’univers qu’il s’était créé. »

C’était doux et serein, il était prêt. J’étais couchée sur son cœur, j’ai vraiment entendu ses derniers battements…

Marianne Marquis-Gravel

Simon est parti sur Perfect Day de Lou Reed et a envoyé à tous ses amis, en guise de message d’adieu, We’ll meet again de Johnny Cash.

J’étais au chalet quand j’ai appris la mort de Simon par le récit de Marianne sur Facebook. Je suis allée couper des légumes pour le souper, le cœur gros. J’ai mis Perfect Day de Lou Reed sur mon iPhone, pour être au diapason, car je suis certaine que beaucoup de gens qui ont lu la nouvelle ont fait la même chose. Les larmes coulaient sur mes joues et ce n’était pas la faute des oignons.

Mais quand Lou Reed s’est tu, l’algorithme d’Apple Music m’a envoyé ensuite Brain Damage de Pink Floyd, le groupe de mon adolescence, que je n’ai pas écouté depuis très longtemps.

Quelles étaient les chances que Brain Damage de Pink Floyd arrive juste après avoir écouté la toune choisie par Simon ? Lui qui est mort d’un cancer du cerveau ?

J’étais dans un roman de Simon Roy, pendant que le refrain disait : I’ll see you on the dark side of the moon…

Bien sûr que c’était un signe, lui qui espérait manquer à tout le monde quand il ne serait plus là. Il insistait là-dessus : il ne voulait pas que sa mort soit un soulagement pour nous, mais une perte.

C’est réussi, Simon. On se reverra du côté sombre de la lune.

Dans une version antérieure de ce texte, le nom d'une des filles de Simon Roy, Corail, était omis. Il a été ajouté. Nos excuses.