Dans son premier livre, Simon Roy mélange les formes de l'essai et du roman, en intégrant ses traumatismes personnels à son analyse du chef-d'oeuvre de Stanley Kubrick, The Shining. Avec pour résultat un récit inclassable et stupéfiant, qui nous plonge dans une lecture hypnotique, à la fois haletante et terrible. Ma vie rouge Kubrick est l'un des chocs de la rentrée qu'il ne faut pas rater.

Robert Lévesque, directeur de la collection Liberté Grande chez Boréal, présente Ma vie rouge Kubrick comme un «ovni» dans sa première version, puis comme un «essai-mémoire où la décortication première du film de Kubrick s'enchevêtre avec ce que l'on pourrait appeler le roman familial de son auteur», le «récit éclaté et percutant de la rencontre d'un film et d'un garçon».

Sans Robert Lévesque, ce grand lecteur, Ma vie rouge Kubrick n'aurait pas eu cette forme définitive, nous explique Simon Roy, qui lui a envoyé son essai «par respect pour sa rigueur, son intransigeance et son manque de complaisance». Aucun espoir de publication, seulement un besoin de «feed-back», dit celui qui n'avait jamais publié encore. Mais Lévesque a-t-il deviné le ver dans le fruit en lisant ce manuscrit d'un maniaque de Kubrick? C'est lui qui a suggéré à Simon Roy d'aller du côté de la mère et moins dans l'obsession du cinéphile...

Car un drame s'est produit pendant la rédaction de ce qui ne devait être qu'un essai en fragments sur The Shining: la mère de Simon Roy s'est suicidée. «Et quand j'ai commencé à réécrire l'essai, j'ai senti qu'il avait vu juste», dit-il.

Mais Simon Roy n'a pas seulement intégré ce traumatisme récent, il a ajouté d'autres éléments de sa «généalogie macabre», comme des poupées russes à l'intérieur d'une oeuvre cinématographique qui, elle-même, en contient beaucoup. Il y a une quantité phénoménale de «jack-in-the-box» dans Ma vie rouge Kubrick, qu'on lit d'ailleurs d'une traite.

«Ce sont des drames absurdes, j'ai fait un mashup avec tout ça pour donner un sens, même si c'est un faux sens. Ça marche, parce que ça m'a fait vraiment du bien, comme si le livre était un bouclier poreux qui avait absorbé le choc. J'ai pris des matériaux bruts de mon expérience personnelle pour les recomposer et les transformer, leur donner une nouvelle dimension, artistique. J'ai finalement esthétisé la réalité pour tenir à distance le choc. J'étais vraiment dedans pendant que j'écrivais. Et ce n'était pas évident, dans le sens où elle a raté son coup, maman. Elle a été deux semaines à l'agonie et notre famille a dû prendre la décision de la débrancher. Un poids énorme pour nous. Écrire, c'était aussi une façon de la garder avec moi plus longtemps.»

La présence du double

Comme Kubrick, Simon Roy est obsédé par la thématique du double, des miroirs. Et il est impossible de ne pas faire le lien entre lui et Danny Torrance, le petit garçon terrorisé du film, aux prises avec un père possédé dans l'hôtel Overlook hanté par le mal. Lui aussi semble affligé par une sorte de «shining», ce don de voyance qui lui permet de voir les messages cachés dans le film de Kubrick comme dans sa propre vie. Cette capacité qu'ont certaines personnes à révéler les étranges synchronicités dans nos existences, qu'un destin, qu'on ne sait malin ou bienveillant, semble écrire à notre place. Écrire, dans ce cas, ressemble vraiment à un combat contre ce qui s'écrit malgré nous.

Il est étonnant que Simon Roy, professeur de littérature au cégep Lionel-Groulx, n'en soit qu'à son premier livre, compte tenu de ses passions et, maintenant qu'il est publié, de son talent. Pourquoi maintenant? La faute à la grève étudiante de 2012 qui lui a laissé beaucoup de temps libre. «C'est l'ennui qui m'a amené à écrire. L'ennui et la tragédie. C'est peut-être le seul livre que j'écrirai jamais de ma vie. À la limite, je le souhaite presque...»

Simon Roy est lui-même ce bouclier poreux dont il parle. Il tente de filtrer l'horreur du monde, qui ressemble parfois à l'hôtel Overlook - s'immiscent dans le récit les tueries américaines, notamment celle de Sandy Hook, qui ciblait des écoliers - non seulement pour lui-même, mais pour ses propres enfants. Car au coeur de Ma vie rouge Kubrick, il y a cette lancinante question de l'héritage, cette réalité que le suicide dans une famille ouvre des portes séductrices vers le néant pour ceux qui restent.

«Il n'y a rien de simple dans ce que je raconte, dit-il, visiblement sensible encore à cette menace. J'avais de la peine pour ma mère, de la compassion. J'aurais aimé en faire plus pour l'empêcher d'arriver à ça, mais ça n'a pas marché. En même temps, il y a une part de moi qui la déteste, car en quelque part, mes enfants vont savoir qu'elle a fait ça, ce qui leur donne le message que c'est faisable. Elle me l'a fait.»

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Ma vie rouge Kubrick. Simon Roy. Liberté Grande, 163 pages.