Au moment où la Voie maritime du Saint-Laurent est paralysée par une grève, les ports québécois sont confrontés à l’important défi de la concurrence internationale. Les sommes nécessaires pour moderniser les infrastructures, décarboner l’industrie et la faire entrer dans l’ère numérique sont considérables pour s’aligner sur les standards mondiaux. État des lieux.

Les ports du Québec bénéficient d’une vague d’investissements tous azimuts avec des rénovations de quais, des équipements électrifiés pour la manutention ou encore des bornes de recharge électrique. Depuis deux ans, la Stratégie maritime du Québec prévoit une enveloppe de 930 millions de dollars pour financer de tels investissements.

Mais cette somme est bien en dessous de ce qui sera nécessaire pour maintenir l’industrie maritime québécoise au niveau des standards mondiaux. « Les investissements actuels ne correspondent pas aux nécessités à moyen et long terme. Il faudrait doubler ces investissements », affirme Claude Comtois, professeur au département de géographie de l’Université de Montréal, affilié au Centre interuniversitaire de recherche sur les réseaux d’entreprise, la logistique et le transport (CIRRELT).

« Résolument tourné vers l’international »

La moitié des flux maritimes au Québec relève du commerce intercontinental, souligne Claude Comtois. Et 15 % supplémentaires sont des liaisons avec des ports situés en Amérique. « Le système portuaire et maritime du Saint-Laurent est résolument tourné vers l’international », résume ce spécialiste du transport maritime et des chaînes logistiques.

Or, l’activité internationale réclame que les infrastructures soient au niveau de celles qu’on peut trouver ailleurs dans le monde, poursuit Claude Comtois. Depuis une décennie, les ports du Saint-Laurent ont procédé à des investissements de 750 millions de dollars pour maintenir leur positionnement concurrentiel avec les ports des États-Unis, précise-t-il.

Aux États-Unis, les ports de la côte Est bénéficient d’investissements qui frisent les 10 milliards de dollars avec le plan Biden de mise à jour des infrastructures.

Claude Comtois, professeur au département de géographie de l’Université de Montréal

La promesse de 930 millions de dollars de la Stratégie maritime du Québec est un pas en avant. « Mais les besoins des ports du Saint-Laurent sont dans les 2 à 3 milliards de dollars », prévient Claude Comtois. C’est que les investissements ne doivent pas se résumer aux ports : l’entretien du réseau maritime, la mise en place d’ouvrages d’art pour prévenir l’érosion, la numérisation du système Saint-Laurent avec un ensemble de systèmes fournissant les conditions météorologiques, les données sur les mouvements des navires…

Tout cela demande de transformer le système Saint-Laurent en voie numérique, comme cela se fait le long du Rhin en Europe et du Yan en Chine. « Cela va bien plus loin que seulement penser à utiliser l’intelligence artificielle », illustre le chercheur.

Une multitude de paramètres doivent être numérisés, par exemple pour suivre les niveaux d’eau et indiquer ainsi à un navire venant d’Europe combien de tonnes il peut charger avant de se rendre dans un port québécois. Cela implique d’installer des capteurs partout et de créer des jumeaux numériques de nos ports. « Tout doit être interconnecté pour avoir une vue complète du système », pointe M. Comtois.

Décarbonation : coûteuse, mais nécessaire

La décarbonation fait partie des principaux chantiers des ports québécois. Engagées dans un processus qui doit les amener à la carboneutralité en 2050, les administrations portuaires sont en train d’intensifier leurs efforts. « Cela ne concerne pas seulement les grandes entreprises, mais aussi les plus petites, car toutes ont des cibles d’ici 2030 et 2050 », souligne Mathieu St-Pierre, PDG de la Société de développement économique du Saint-Laurent.

Il n’y aura pas de changement du jour au lendemain. C’est la somme de toutes les actions qui vont décarboner progressivement l’industrie.

Mathieu St-Pierre, PDG de la Société de développement économique du Saint-Laurent

Chaque acteur du transport maritime a son importance pour atteindre ces objectifs. Les armateurs ont besoin des ports pour avancer vers la carboneutralité, illustre M. St-Pierre. Pour fournir de l’électricité verte aux navires, les ports doivent se doter de bornes électriques. L’investissement n’est pas négligeable, puisqu’il faut compter entre 10 et 20 millions de dollars par borne à quai.

Le Port de Montréal a commencé ce travail d’électrification, notamment pour les bateaux de croisière. Mais globalement, les ports du Québec sont peu ou pas équipés. « Nous avons un peu de retard comparativement à ce qui se fait ailleurs, en particulier en Europe », indique Mathieu St-Pierre. Dans ce domaine aussi, les investissements devront monter en puissance.