La voyant comme « une occasion d’être au cœur des discussions pour améliorer les mesures ESG », le milieu de la finance accueille à bras ouverts l’implantation de l’International Sustainability Standards Board (ISSB) à Montréal. Quel sera l’effet de son arrivée sur les directeurs financiers en entreprise ? Discussion avec trois acteurs du milieu.

La mission de l’ISSB, inauguré il y a près d’un an à Montréal, est ambitieuse. L’organisme entend en effet créer des normes de divulgations financières environnementales pour l’ensemble des entreprises du monde. Ce langage commun permettra notamment de mesurer facilement l’empreinte environnementale d’une société ainsi que son risque climatique.

« C’est surtout une question de réglementation », explique Iwan Meier, professeur titulaire au département de finance et titulaire de la Chaire en finance durable à HEC Montréal. Dans le même esprit, l’institution a lancé en 2022, en collaboration avec l’Université d’Oxford, le projet Measuring Beyond, visant à uniformiser les mesures Environnement, société et gouvernance (ESG).

Selon l’expert, les PME et les grandes entreprises ne devront pas faire face aux mêmes défis quand viendra le temps d’appliquer ces nouvelles normes. « L’ISSB se base sur des cadres existants, auxquels les grandes sociétés sont déjà habituées. Elles sont bien préparées à produire un rapport annuel intégrant les enjeux ESG. Plusieurs le font déjà », estime-t-il.

Détailler sa stratégie durable ou calculer sa résilience climatique risque d’être pas mal moins évident pour une PME, et encore moins pour une jeune pousse. « Certaines n’ont même pas de directeur financier, alors le changement sera parfois difficile à court terme, remarque Iwan Meier. Mais à mon avis, ça deviendra aussi standard que de produire les états financiers. »

Une nouvelle préoccupation

Monica Rocheleau, directrice générale de Financial Executives International (FEI) Canada, section du Québec, rappelle de son côté que les questions de développement durable concernaient traditionnellement peu les chefs de la direction financière. Leur travail était de s’occuper des chiffres, en laissant le soin à d’autres de gérer les enjeux d’ordre environnemental ou social.

Quand nous avons pour la première fois évoqué le développement durable et le rôle des dirigeants de la finance dans ses enjeux, en janvier 2014, plusieurs de nos membres m’ont dit qu’ils n’en avaient jamais entendu parler avant.

Monica Rocheleau, directrice générale de Financial Executives International Canada, section du Québec

« Il y a cinq ans, la réaction était encore mitigée, ajoute-t-elle. Aujourd’hui, ils savent que c’est nécessaire. » Les formations et les ateliers avec d’autres chefs de la direction financière sur le sujet sont d’ailleurs courus, selon elle.

Un défi complexe

On pourrait croire que l’adaptation à ces nouvelles règles passerait comme une lettre à la poste pour Lufa, une entreprise qui a les normes ESG au cœur de son modèle d’affaires. La réalité n’est pas si simple.

« On est déjà avancés en la matière, souligne le vice-président finances, Jean-Michel Vanier. L’environnement est l’une de nos priorités. » La production de légumes en serre sur les toits de la ville consomme par exemple moins d’eau et moins d’énergie qu’une serre traditionnelle, illustre-t-il. L’entreprise composte aussi sur place, réduit le gaspillage des produits, et sa livraison locale, principalement en véhicule électrique, minimise les émissions.

On a déjà des éléments ESG. On va maintenant devoir trouver comment refléter toutes nos actions dans nos états financiers.

Jean-Michel Vanier, vice-président, finances, chez Lufa

Si l’aspect environnemental reste à quantifier, l’impact du volet social est facile à voir. « On partage les données de notre programme de dons directs en temps réel sur notre site web. » Ce tableau de bord permet notamment de savoir le nombre de personnes soutenues par le programme et de suivre à la trace les contributions.

L’entreprise entend étendre cette façon de faire à ses volets environnemental et de gouvernance. « On suit déjà plein d’indicateurs. On ajoutera seulement d’autres indicateurs pour suivre notre performance environnementale au fil des ans. » Il ajoute toutefois que la transition ne se fera sûrement pas du jour au lendemain et qu’il aura probablement besoin de l’aide de l’ISSB.

Le vice-président, finances, espère devenir éventuellement un champion des normes ESG. « Je pense qu’on est déjà des leaders en environnement, en alimentation. J’aimerais ça qu’on puisse l’être aussi dans ce domaine. »