La pandémie, la pénurie de main-d’œuvre et la nouvelle organisation du travail ont bousculé le monde de la finance, créant au passage des avancées pour les femmes qui œuvrent dans le milieu. La parité n’est néanmoins pas encore au rendez-vous et de nombreux défis subsistent. État des lieux avec trois expertes.

Pertes d’emplois, isolement, tâches qui s’accumulent : la pandémie a durement touché les femmes. Alors qu’on revient tranquillement à la normale, le secteur de la finance doit jongler avec 33 % de postes vacants depuis plus de 90 jours. Pas étonnant, donc, que l’Association des femmes en finance du Québec (AFFQ) observe une hausse des cas d’épuisement professionnel. « Plusieurs femmes affirment aussi vivre plus de stress qu’avant la pandémie », souligne la présidente du conseil d’administration, Manuelle Oudar.

Celle-ci voit quand même l’avenir d’un bon œil. « Selon une étude, les femmes occupent présentement le tiers des postes d’administrateur dans les conseils d’administration des sociétés formant l’indice boursier composé S&P/TSX. Et la bonne nouvelle, c’est qu’aucun C.A. n’est exclusivement masculin », remarque-t-elle.

Elle ajoute que parmi toutes les sociétés inscrites à la cote de la Bourse de Toronto, 11,6 % des conseils d’administration ne comptent aucune femme, contre 47,1 % en 2015. Les équipes de la haute direction comptent également davantage de femmes.

Des études prouvent d’ailleurs que les entreprises dont l’équipe de gestion tend vers la parité sont les plus performantes. Le danger maintenant, c’est de croire à tort que tout est acquis.

Manuelle Oudar, présidente du conseil d’administration de l’Association des femmes en finance du Québec (AFFQ)

Il reste notamment un écart salarial d’environ 10 % au Québec, rappelle Manuelle Oudar. « Mais de grands pas ont été franchis. »

Les filles manquent à l’appel

Marie-Claude Beaulieu n’est pas aussi optimiste. La professeure au département de finance, assurance et immobilier de l’Université Laval et titulaire de la Chaire RBC en innovations financières constate que certaines femmes en finance, particulièrement les mères, se sont désengagées de leur travail au cours de la pandémie, souvent en raison de la lourdeur de la tâche.

« On parle beaucoup du fait qu’il y a plus de femmes dans les postes de direction et dans le milieu financier en général. Pourtant, bon an, mal an, il n’y a que 15 % de filles dans mon cours sur les produits dérivés. Ce chiffre reste stable depuis 30 ans. » La réalité est la même dans l’industrie, selon elle.

Les femmes qui œuvrent au cœur de la finance, en évaluation de produits ou en gestion du risque, par exemple, sont peu nombreuses.

Marie-Claude Beaulieu, professeure au département de finance, assurance et immobilier de l’Université Laval et titulaire de la Chaire RBC en innovations financières

Pour remédier à la situation, Marie-Claude Beaulieu estime que ça prend des modèles et un environnement de travail plus diversifié. L’éducation financière est également une piste de solution. « Si on fait plus d’éducation financière, et plus tôt, on pourra peut-être éveiller la conscience des filles aux réalités financières et les amener à opter pour la profession. »

Bénéfique flexibilité

En tant que première vice-présidente et cheffe, Québec, à la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), Kim Thomassin est aux premières loges des changements qui s’opèrent en finance.

Elle estime que certains défis demeurent pour les femmes du secteur, malgré le chemin parcouru.

PHOTO FLORIAN LEROY, COLLABORATION SPÉCIALE

Kim Thomassin, première vice-présidente et cheffe, Québec, à la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ)

On n’a pas encore trouvé la recette magique pour la conciliation travail-famille. Les femmes sont aussi fort sollicitées. Chacune des institutions qui œuvrent en finance cherche à avoir plus de femmes dans ses rangs. Il y a énormément d’efforts qui sont faits partout pour améliorer la diversité.

Kim Thomassin, première vice-présidente et cheffe, Québec, à la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ)

La pandémie aura permis de prendre conscience du fait que la flexibilité est bénéfique pour tous, selon elle. « Il faut faire attention, par contre, à ce que certaines femmes ne s’éclipsent pas de notre radar parce qu’elles sont moins présentes aux activités en dehors du bureau. »

Un vent de solidarité

Kim Thomassin sent qu’après avoir été longtemps un bastion masculin, la finance est mûre pour son club de femmes. « On traverse une belle période. Il faut célébrer les modèles que l’on a, comme Bicha Ngo chez Investissement Québec, Isabelle Hudon à la BDC, Janie Béique au Fonds de solidarité FTQ ou Marie-Hélène Nolet chez Desjardins », dit-elle.

Ces femmes, toutes à la tête de portefeuilles à impact au Québec, confèrent entre elles depuis la pandémie. « On échange des pratiques, des dossiers. Comme on est interpellées par les mêmes questions, on s’est un peu créé un groupe pour pouvoir discuter rapidement. » Cette synergie a aussi rapproché leurs équipes. Et la solidarité se poursuit encore aujourd’hui. « J’espère qu’on pourra ainsi inspirer les jeunes femmes à choisir la finance. »

Afin d’aider la relève, l’AFFQ lance cette année la Bourse AFFQ. En plus de 1500 $, celle-ci offrira aux jeunes femmes qui désirent étudier la finance une cotisation gratuite, de l’accompagnement, des dyades, du mentorat et plusieurs activités.

Un gala en présentiel

Pour la première fois depuis la pandémie de COVID-19, l’Association des femmes en finance du Québec présente son gala annuel en présentiel. Sur le thème « Les Talentueuses en lumière », la soirée se tiendra le jeudi 11 mai prochain au Palais des congrès de Montréal. Cette année, le conseil d’administration de l’AFFQ a décerné le prix Alter Ego à Denis Ricard, président et chef de la direction de iA Groupe financier, pour son engagement à promouvoir la place des femmes dans son entreprise.

Voyez qui sont les autres finalistes et lauréates de cette année