Même si on s’y adonne joyeusement en famille entre Noël et le jour de l’An, les jeux de société sont pour leurs éditeurs une affaire sérieuse.

Malgré leur très jeune âge – à peine 2 ans –, les Éditions Momentum ont bien joué leurs cartes : l’entreprise de Sainte-Agathe-des-Monts, fondée en 2021 par Stéphane Fournier, vient de placer ses pions en Europe.

« À l’heure actuelle, on est distribués chez l’équivalent français de Renaud-Bray, un groupe qui s’appelle la Fnac, informe-t-il. C’est un réseau d’environ 150 points de vente en Europe. Si on veut être à une place en Europe, c’est à la Fnac. C’est fait. »

Cas rarissime et peut-être unique, l’entreprise québécoise fabrique elle-même et entièrement ses jeux, depuis les pions jusqu’aux boîtes d’emballage.

Le début de la partie

Les dés ont été lancés durant la pandémie.

Pendant une partie de Grands Maîtres, plus précisément, ce vieux jeu d’enchères d’œuvres d’art que Stéphane Fournier avait sorti d’une armoire pour se distraire avec sa conjointe et sa fille de 12 ans pendant le confinement.

Imprimeur de cartes professionnelles et de papeterie d’entreprise, il voyait ses affaires péricliter et il cherchait une façon de tirer son épingle du jeu. Il a conçu une version améliorée du jeu d’enchères, qu’il a nommée La Récompense, avec l’intention de le fabriquer lui-même.

L’un des distributeurs à qui il a montré ses prototypes s’est immédiatement montré intéressé ; « mais la proposition qu’il me faisait ne me paraissait pas très équitable », raconte l’entrepreneur.

« Je suis parti avec mon jeu sous le bras et j’ai fait le tour du Québec en allant voir toutes les boutiques de jeux et de jouets, poursuit-il. Le fait de dire que c’est moi qui les fabriquais au Québec a créé une réceptivité très forte et ça m’a apporté à peu près 250 points de vente. »

Quelque temps plus tard, « le téléphone s’est mis à sonner parce que tous ces gens-là sont des passionnés du jeu ». « Ils connaissent tous des auteurs qui avaient un projet de jeu en tête qui m’ont demandé : “Est-ce que vous pourriez me faire mon jeu ?” »

Il s’est trouvé un associé, a fondé Les Éditions Momentum au début de 2021, puis a produit une série préliminaire de 2000 exemplaires de La Récompense avec la machinerie de son imprimerie.

Un article sur son jeu paru dans La Presse en juin 2021 a aidé à faire tomber les dominos. Devant l’intérêt qu’il a suscité, Stéphane Fournier a décidé d’acquérir de l’équipement spécifiquement destiné à l’impression de jeux de société.

À l’automne 2021, à l’approche des Fêtes, alors que plusieurs éditeurs québécois étaient paralysés par les retards de leurs fournisseurs chinois, Momentum produisait fébrilement dans son atelier de Sainte-Agathe.

Relisez l’article portant sur Les Éditions Momentum

Entièrement fait au Québec

Momentum fabrique entièrement ses plateaux de jeu.

L’appareil au laser avec lequel l’imprimeur découpait auparavant des lettres d’enseignes lui sert maintenant à tailler les pions de ses jeux dans des plaques de plastique.

« On a une machine qui nous permet d’imprimer les cartes des jeux et les règlements, décrit-il. C’est une machine qui imprime, coupe et agrafe en une seule étape. C’est un gain de temps fou. »

Il s’est également outillé pour tourner les coins ronds.

« On a acheté une machine pour couper les coins ronds des cartes. Avant, on avait une machine qui le faisait coin par coin. On arrivait à sortir 200 jeux de cartes par jour. Aujourd’hui, avec cette machine, on en sort 200 à la minute. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

L’équipement permettant de couper les coins des cartes

Quand le fournisseur qui fabriquait ses boîtes d’emballage a pris sa retraite, il lui a racheté son équipement. « Il nous a formés à faire des boîtes et maintenant, on est capables de produire un jeu de société de A à Z. »

Sauter dans le Taxi

Sa réputation s’est vite répandue dans le milieu.

« Le distributeur ÎLO307, qui est un gros acteur dans les jeux de société au Québec, nous a demandé si on pouvait fabriquer son best-seller, le jeu Taxi [de BOOM Éditions] », relate encore Stéphane Fournier.

« On en a livré 10 000 à ce jour. Pour arriver à ça, il a fallu agrandir les locaux. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Imprimante à jet d’encre UV pour les plateaux de jeux

Les travaux ont été lancés en juillet 2022 pour se terminer à la fin septembre, à temps pour le sprint d’automne.

« On arrive aujourd’hui à sortir entre 800 et 1000 exemplaires par jour, selon le type de jeu », assure l’entrepreneur.

Si ÎLO307 nous passe une commande pour 5000 exemplaires, on peut dire qu’en trois semaines, c’est livré. Si vous faites faire 5000 exemplaires par le réseau chinois, ça va être six mois.

Stéphane Fournier

Ça débloque avec Bloco

Stéphane Fournier a conclu en 2022 un partenariat avec le fabricant des jeux de construction Bloco, conçus par la Québécoise Nathalie Barcelo.

« J’ai tout de suite vu un gros potentiel dans les produits Bloco, explique-t-il. Ça me faisait aussi un tremplin parce que Bloco, c’est 1 million de pièces vendues dans les 10 dernières années. C’est un réseau qui est international. Pour moi, le savoir-faire de Nathalie tombait du ciel. »

Il prévoit lancer en 2023 la découpe des pièces des jeux Bloco, effectuée actuellement en Asie. Seules les plaques de mousse seront importées.

Bonne année 2023 !

Les Éditions Momentum emploient maintenant une douzaine de personnes.

« Ce qui est vraiment intéressant, c’est qu’on est à la fois éditeur, fabricant et distributeur », souligne Stéphane Fournier.

Quand on a commencé, on avait un petit catalogue avec deux ou trois références. Aujourd’hui, on a une quarantaine de références et une quinzaine de projets vont naître dans le premier semestre 2023.

Stéphane Fournier

Au Festival international des jeux de Cannes, en février 2022, il a conclu des ententes de distribution pour des jeux européens qu’il veut tester sur le marché nord-américain, dans l’objectif de les fabriquer lui-même au Québec.

« On a eu des commandes et on sait déjà que pour tel et tel jeu, on va lancer en 2023 une fabrication, qui cette fois-ci sera québécoise au lieu d’être chinoise. »

Pour un petit fabricant québécois, il est possible de faire jeu égal avec la Chine.