Des PME des Laurentides ont décidé de revoir leurs façons de faire afin de réduire le gaspillage alimentaire pour être plus profitables.

Lorsqu’ils ont ouvert leur petit café Nook, au cœur du village de Sainte-Adèle, Elaine Bellefleur et Jonathan Khamisse savaient déjà qu’ils voulaient faire des affaires de manière durable, en mettant en lumière des produits locaux et bio dans la cuisine. Une année après avoir lancé Nook, soutenu par des organismes locaux, le couple a poussé plus loin la réflexion afin de réduire le gaspillage alimentaire (déjà assez bien contrôlé) pour ne pas jeter une partie des profits à la poubelle, en même temps que le restant de salade.

« Ça faisait un an qu’on était ouvert et on était à se demander comment on pouvait sauver des coûts et être plus efficaces », explique Elaine Bellefleur, attablée au rez-de-chaussée du café où l’on offre aussi des cours de yoga, à l’étage.

C’est à peu près au même moment qu’elle a entendu parler d’une initiative de l’organisme Synergie économique Laurentides. « On est dans une période où c’est particulièrement difficile de changer les pratiques : post-pandémie, c’est très dur pour les restaurateurs. On manque de main-d’œuvre, tous les coûts ont augmenté », dit Jean-Michel Archambault-Cyr, directeur de projets chez Synergie économique Laurentides, un OBNL qui aide les entreprises à amorcer ou à poursuivre un virage écoresponsable.

Dans ce projet d’accompagnement, parmi les thèmes abordés, il y avait le gaspillage alimentaire qui l’est peut-être moins souvent lorsque l’on parle de développement durable – car on imagine bien que les propriétaires de restaurants et de cafés et autres gestionnaires d’institutions où l’on prépare des repas ne veulent pas jeter les ingrédients qu’ils ont achetés, à prix de plus en plus élevés.

Synergie économique Laurentides a mandaté la spécialiste de la lutte contre le gaspillage alimentaire Florence-Léa Siry afin de permettre aux PME participantes d’élaborer des stratégies simples et faciles à appliquer, mais qui allaient augmenter leur rentabilité.

« Notre souci n’était pas de dire aux cuisiniers d’utiliser tout l’aliment. Ils le savent, dit Marie-Christine Rhéaume, de la SADC des Laurentides, qui a financé le projet. Florence-Léa part des canevas de recettes et des façons de cuire les aliments. Elle planifie les menus pour arriver à faire une étape qui permet de se retrouver avec trois items. Elle a apporté une structure de travail. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

« Nous voulions aider les entreprises à augmenter leur performance économique, leur performance d’affaires », dit Marie-Christine Rhéaume, de la SADC des Laurentides qui a fourni le financement, avec la SADC d’Antoine-Labelle.

On ne voulait pas juste être sur le gaspillage et conseiller de faire la rotation des stocks. Notre intervention auprès des commerçants devait être plus profonde que ça.

Marie-Christine Rhéaume, de la SADC des Laurentides

Première étape, un webinaire auquel ont participé une quarantaine d’entreprises, suivi d’un accompagnement spécialisé de Florence-Léa Siry pour sept d’entre elles, dont Nook.

Le café Balançoire créative de Saint-Sauveur faisait également partie de la cohorte. « Je n’avais jamais pensé congeler mes gaufres », dit le cuisinier belge Matthieu Neuhengen, qui admet que dans le tourbillon de la cuisine, on manque parfois de recul pour trouver des solutions faciles à appliquer. Comme de faire de la crème glacée avec les restants de crème fouettée, au moment où la crème coûte une fortune. Le romarin qui a un peu de vécu devient maintenant du sirop et le gâteau aux pommes du jour, une bagatelle le lendemain.

Dans ce café de Saint-Sauveur, on peut aller peindre une assiette et repartir avec sa création. Mais on ne peut pas repartir avec un café dans un verre en carton : Balançoire a cessé de servir des cafés à emporter, à moins que le client arrive avec sa tasse.

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« Au début, on n’a pas fait ça dans un but économique, mais plus d’un point de vue écologique. La nourriture, c’est précieux », dit Nina Peyron, ici avec son partenaire d’affaires et de vie, Matthieu Neuhengen.

« On a tous le temps de s’asseoir pour prendre un café », dit la copropriétaire Nina Peyron. Depuis cette mesure, 80 % des clients qui demandent un café pour emporter et qui n’ont pas de tasse décident plutôt de s’attabler quelques minutes.

L’idée de poser des gestes écoresponsables était déjà bien ancrée dans ce café créatif, mais l’étude du menu par Florence-Léa Siry a permis aux propriétaires de passer à l’étape suivante dans ce cheminement en entrepreneuriat durable.

Valoir le coût

On pourrait croire que donner une deuxième et une troisième vie à des ingrédients est une économie de bout de chandelle, mais il s’agit plutôt d’un investissement à moyen terme, explique Elaine Bellefleur. La copropriétaire de Nook planifie mieux ses achats désormais. Le temps qu’elle y investit elle-même réduit son coût en main-d’œuvre parce que ses employés gagnent en précision pour l’exécution des recettes, par exemple.

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« Ça devrait faire partie de la façon dont on travaille maintenant, poursuit la proprio de Nook, Elaine Bellefleur, de la même façon que le compost qui est maintenant largement accepté. »

« On gagne du temps », dit-elle. Et aussi de l’argent, en utilisant l’intégralité des ingrédients, en les recyclant et en adaptant l’espace de travail pour éliminer les pertes.

Cette introspection lui a permis de développer de nouveaux réflexes. En absorbant le coût des ingrédients dans une première recette, la deuxième devient très payante, dit l’entrepreneure. « On n’absorbe pas les coûts deux fois. »

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Le café Nook a une vingtaine de places à l’intérieur, un peu plus à l’extérieur lorsque le printemps s’installe pour de bon.

Preuve que le café Nook s’en tire fort bien, il ne peut même pas adhérer à une application antigaspi, car la valeur de la nourriture restante à la fin de la journée est négligeable – moins de 25 $. Les restants, lorsqu’il y en a, finissent donc au comptoir alimentaire local, et bientôt dans un frigo communautaire qui doit être installé à Sainte-Adèle.

Qui est Florence-Léa Siry ?

Consultante auprès des entreprises et conférencière, Florence-Léa Siry tient une chronique à l’émission Moi j’mange de Télé-Québec où elle donne des conseils pour réduire le gaspillage alimentaire à la maison. Elle est l’autrice des livres Défis Zéro Gaspi et Ma planète fait de la fièvre.