Pratiquement aucun automobiliste n’a respecté la limite de vitesse maximale autorisée en zone scolaire lors de deux séances d’observation au radar à Montréal et à Longueuil, a pu constater La Presse. L’un des secteurs qui a fait l’objet de notre attention est celui où la petite Mariia Legenkovska a été fauchée par un automobiliste en se rendant à l’école la semaine dernière. Un rappel criant que les comportements qui mettent en danger les enfants sont aussi courants qu’impunis.

Montréal : À 60 km/h près d’une école

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

La présence policère se fait sentir dans le secteur où la petite Mariia Legenkovska a été fauchée par un automobiliste la semaine dernière.

Arrêts obligatoires non respectés, feux jaunes et rouges grillés, vitesse excessive, demi-tours : les comportements qui mettent en danger les enfants en zone scolaire sont aussi courants qu’impunis. Et les rares automobilistes qui respectent la limite se font souvent klaxonner ou dépasser.

Voilà ce que La Presse a pu constater avec un appareil radar lors de deux séances d’observation menées les 20 et 21 décembre à Longueuil et à Montréal.

En ce mercredi matin de décembre, c’est l’heure d’arrivée des 280 élèves de l’école primaire Jean-Baptiste-Meilleur à Montréal, endeuillée depuis mardi dernier quand un chauffard a percuté et tué la jeune Mariia Legenkovska, une élève de 7 ans, avant de prendre la fuite et de se livrer plus tard aux policiers.

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Des enfants se rendent à l’école en passant par l’intersection des rues Parthenais et de Rouen.

Les trottoirs sont remplis de poussettes et de dizaines d’enfants emmitouflés qui traînent leur boîte à lunch : l’école est située dans Ville-Marie, un arrondissement où résident plus de 89 000 personnes avec 5397 habitants par kilomètre carré, soit une plus grande densité de population qu’Amsterdam (4439 habitants par kilomètre carré), Stockholm (5200) ou Berlin (4127). Nous nous sommes postés à l’angle des rues Fullum et de Rouen, à l’entrée de la zone scolaire de l’école primaire Jean-Baptiste-Meilleur.

Un véhicule noir pesant plus de 2000 kg de verre et d’acier dévale la rue Fullum à 62 km/h, deux fois la limite maximale autorisée. Son conducteur franchit la zone sans ralentir, et poursuit sa route sans être inquiété.

Pour protéger les enfants, la vitesse maximale autorisée pour les automobilistes devant l’école est pourtant limitée à 30 km/h. Mais la rue en pente est large, et aucune mesure physique, comme des dos d’âne, ou encore la présence de radars photo, n’incite les automobilistes à ralentir. Au contraire, beaucoup accélèrent afin de griller un feu jaune, voire un feu rouge, directement devant l’école.

« C’est tous les jours comme ça », explique Stéphanie Rocher, mère de deux enfants, qui habite le quartier.

Ça roule beaucoup trop vite. Récemment, deux voitures ont fini sur le trottoir après une collision près d’ici.

Stéphanie Rocher, résidante du quartier

Au lendemain de la mort de Mariia Legenkovska, le premier ministre François Legault affirmait que « la majorité des Québécois respectent les limites de vitesse dans les zones scolaires ».

Vitesse excessive

Or, lors du passage de La Presse, aucun véhicule ne circulait à 30 km/h : la vitesse moyenne adoptée par les automobilistes devant l’école était de 47 km/h, soit près de 60 % supérieure à la limite de vitesse. Chaque minute, des véhicules ont été enregistrés circulant à plus de 60 km/h, dont une camionnette rouge de la Ville de Montréal conduite par un homme qui a ensuite grillé le feu rouge à l’angle de Fullum et de Rouen, directement devant l’école.

Notre observation nous a aussi permis de constater que les mesures physiques permettant de faire respecter la limite de vitesse maximale, comme des dos d’âne, sont absentes de la zone scolaire. Les citoyens en réclament depuis des années et disent se buter à la lenteur de la machine municipale. Un radar pédagogique qui indique la vitesse des automobilistes devant l’école est en panne depuis sept mois – malgré les plaintes répétées faites à l’arrondissement par de nombreux citoyens.

« En 2021, l’arrondissement avait installé quelques dos d’âne temporaires en caoutchouc dans le quartier, pour ensuite les retirer sans explication, dit Chris McCray, un résidant qui a cofondé avec des voisins le Collectif apaisement pour Sainte-Marie. On sait que des gens se sont plaints du bruit du passage des voitures sur le caoutchouc, c’est pourquoi on demande d’avoir des dos d’âne permanents en asphalte, comme ça se fait ailleurs à Montréal. »

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Philippe H. Bouchard, Chris McCray, qui a cofondé avec des voisins le Collectif apaisement pour Sainte-Marie, et Carl St-Denis

M. McCray déplore que les rues résidentielles étroites du quartier soient utilisées matin et soir par des milliers d’automobilistes en raison de la proximité du pont Jacques-Cartier, ce trafic de transit augmentant la dangerosité pour les résidants et leurs enfants. Les fonctionnaires de l’arrondissement de Ville-Marie priorisent la fluidité des transports motorisés, et semblent peu enclins à répondre rapidement aux besoins de sécurité des usagers de la route les plus vulnérables du secteur, allègue-t-il.

Des applications comme Waze et Google Maps suggèrent aux automobilistes de passer par ici, alors ils le font. Toutes les rues connectent, c’est une vraie passoire. Il faut mettre des sens uniques pour que les rues résidentielles redeviennent des endroits sécuritaires pour les gens, et que le transit reste sur les artères.

Chris McCray, un résidant qui a cofondé avec des voisins le Collectif apaisement pour Sainte-Marie

« Des bollards aux intersections, c’est bien, mais on n’arrivera à rien si on ne réduit pas physiquement ce trafic de transit », poursuit M. McCray.

Rage au volant en zone scolaire

Tout près de là, à l’angle des rues Parthenais et de Rouen, là où la petite Mariia a été fauchée mortellement au matin du 13 décembre, nous avons vu de nombreux automobilistes passer et s’engager à la sauvette dans leur virage sans faire d’arrêt obligatoire. Un automobiliste a même dû freiner au dernier instant, faisant crisser ses pneus, car il n’avait pas vu un père qui traversait la rue avec son enfant.

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Un policier remet un constat d’infraction au conducteur d’une minifourgonnette qui sert au transport scolaire.

Depuis le drame, les policiers du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) font le guet le matin rue Parthenais, et distribuent constat d’infraction après constat d’infraction. Mercredi matin, ils en ont même donné un à un conducteur d’une minifourgonnette qui sert au transport scolaire, avec un écriteau « écoliers » posé sur le toit.

Pour Carl St-Denis, un résidant du secteur, la présence des policiers est une bonne chose. « Mais ça ne règle pas le problème à la source. Les infractions continuent même quand ils sont là, et elles vont continuer quand ils vont partir. On revient toujours à la case départ. »

Le Collectif apaisement pour Sainte-Marie doit rencontrer la mairesse Valérie Plante le 12 janvier, et fait des démarches pour inclure le ministère des Transports dans la rencontre.

Durant notre observation, nous avons vu le conducteur d’un véhicule descendre la rue Parthenais en respectant les 30 km/h. Le conducteur du véhicule derrière lui s’impatientait et le collait de si près que moins de 50 centimètres séparaient les deux véhicules.

Arrivé à l’intersection, le conducteur du premier véhicule est sorti dans la rue.

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Un conducteur respectant la limite de vitesse s’en est pris à un autre qui le suivait de trop près.

« Pourquoi tu me colles comme ça ? a-t-il crié à l’autre conducteur. Il y a quelqu’un qui est mort ici ! Ralentis ! » Puis le premier conducteur a repris le volant, et les deux véhicules sont partis.

Philippe H. Bouchard, un résidant qui réclame depuis des années des mesures d’apaisement de la circulation dans le quartier, a lui-même interpellé le conducteur d’un VUS Porsche qui ne s’était immobilisé qu’après avoir dépassé la ligne d’arrêt sur la rue de Rouen, à l’angle de la rue Parthenais.

« Fais ton stop ! lui a-t-il crié. Il y a une petite fille qui est morte juste là ! »

Irrité, l’homme qui conduisait le VUS a baissé sa vitre et semblait vouloir sortir pour s’en prendre à M. Bouchard.

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Des citoyens interpellent le conducteur d’un VUS Porsche qui ne s’était immobilisé qu’après avoir dépassé la ligne d’arrêt rue de Rouen, à l’angle de la rue Parthenais.

« Viens-t’en, sors de ton char, la police est juste là ! »

La situation est demeurée tendue. Puis l’homme a décidé de remonter sa vitre et de poursuivre sa route.

Selon Piétons Québec, les VUS sont 2,5 fois plus impliqués dans des collisions par rapport aux voitures, en raison de leur hauteur, de leur grosseur et d’angles morts plus importants que ceux d’une voiture de type berline.

Une « préoccupation majeure » pour le CSSDM

Sophie Mauzerolle, responsable du transport et de la mobilité au comité exécutif de la Ville de Montréal et conseillère dans Ville-Marie, appelle toute la population à « faire preuve d’une grande vigilance » pour rendre la voie publique plus sûre pour tous.

« C’est absolument désolant de remarquer autant de délinquance dans nos rues, et surtout près des écoles. Nous sommes en lien avec le SPVM et on nous assure qu’on va redoubler d’efforts pour assurer le respect du Code de la route. Dès aujourd’hui, le poste de quartier enverra des effectifs pour effectuer une opération à la sortie des classes. Parallèlement à la présence policière accrue, nous sommes en train d’évaluer la mise en place de mesures de sécurisation et d’apaisement supplémentaires dans ce secteur, y compris dans cette rue. »

Alain Perron, porte-parole du centre de services scolaire de Montréal (CSSDM), dit que la sécurité des enfants est une « préoccupation majeure » pour le centre.

Le CSSDM dit travailler avec ses collaborateurs pour trouver des solutions constructives, et que les abords de bon nombre d’écoles de Montréal ont été mis à niveau de manière à apaiser le trafic motorisé, notamment près de l’école primaire Armand-Lavergne, où une rue a été transformée en sens unique avec une piste cyclable et des saillies de trottoir. « Il s’agit là de pistes innovantes, efficaces et qui peuvent sans aucun doute en inspirer d’autres. »

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Des bollards ont été installés au coin des rues Parthenais et de Rouen, là où la petite Mariia Legenkovska est morte.

Des bollards ont rapidement été ajoutés à l’intersection où est morte la fillette, ce qui empêche les automobilistes de stationner leur véhicule à moins de cinq mètres de l’intersection, comme l’exige le Code de la sécurité routière.

Pourtant, de nombreux véhicules étaient stationnés à moins de cinq mètres des intersections ailleurs dans le quartier. L’Agence de mobilité durable promet d’y voir. « Nous nous assurons de faire des rappels régulièrement à nos équipes », note la porte-parole Alicia Lymburner.

Selon le SPVM, le poste de quartier n’avait jamais reçu de demande pour une traverse scolaire avec brigadier à l’intersection des rues de Rouen et Parthenais. Il y en a eu depuis et le processus d’évaluation est en cours, affirme le corps policier municipal.

Avec la collaboration d’Isabelle Ducas, La Presse

Longueuil : une route qui inquiète

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Chemin Tiffin, à Longueuil

La veille, le 20 décembre, nous nous étions rendus dans la zone scolaire du chemin Tiffin, à Longueuil. S’y côtoient bon nombre d’établissements, dont l’école primaire Félix-Leclerc, le collège Notre-Dame-de-Lourdes, le campus Longueuil du collège Charles-Lemoyne, le collège Durocher Saint-Lambert, de même que des salles de spectacles.

La vitesse maximale autorisée en semaine, de 7 h à 18 h, de septembre à juin, est de 30 km/h sur le chemin Tiffin. Mais le chemin est large, rectiligne et dépourvu de mesures physiques d’apaisement de la circulation, comme des bollards ou des dos d’âne.

En quelques minutes d’observation au radar, nous avons vu bon nombre d’automobilistes dépasser les 60 km/h, soit le double de la limite permise. Beaucoup d’automobilistes ne faisaient pas non plus leur arrêt obligatoire au coin de la rue Patenaude, située entre le collège Notre-Dame-de-Lourdes et le campus Longueuil du collègue Charles-Lemoyne.

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Autobus scolaire passant devant le collège Notre-Dame-de-Lourdes

Parmi les véhicules qui dépassaient la limite se trouvaient des autobus scolaires.

Gloria Mejia, qui habite sur le chemin Tiffin, note que la limite de vitesse est rarement respectée dans la zone scolaire. Elle voit des policiers faire des opérations radar et distribuer des constats d’infraction de temps en temps, mais cela ne semble pas avoir d’effet durable sur les comportements.

« Quand je roule à 30 km/h, je me fais souvent klaxonner et engueuler par des gens derrière qui veulent aller plus vite », dit Mme Mejia.

Beaucoup de travail à faire

Nos constatations s’apparentent à celles de CAA-Québec : selon les observations de l’organisme, 96 % des automobilistes ne respecteraient pas la limite de 30 km/h en zone scolaire.

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Panneaux de signalisation dans la zone scolaire
 du chemin Tiffin, à Longueuil

Marjolaine Mercier, conseillère municipale du district siégeant également à la commission de la mobilité et de la circulation, note que « Longueuil a été bâti autour de l’automobile », et qu’un grand travail d’apaisement de la circulation motorisée reste à réaliser. L’administration entend prendre dès 2023 des mesures pour sécuriser les déplacements actifs et assurer la sécurité des usagers de la route les plus vulnérables.

« Dès l’été prochain, nous serons en mesure de faire des aménagements temporaires pour sécuriser le chemin Tiffin, que ce soit pour les piétons, les cyclistes ou les automobilistes. » Une réfection complète du chemin en 2025 sera l’occasion de pérenniser ces nouveaux aménagements, dit-elle.

Parmi les changements à l’étude, on compte les saillies et les avancées de trottoir, les dos d’âne et les bollards, notamment. « Nous faisons une analyse des 60 écoles sur notre territoire afin de trouver les meilleures façons de les sécuriser », dit-elle.

Les radars photo en zone scolaire efficaces, selon une analyse

Une analyse réalisée par la Ville de London, en Ontario, a montré que la présence de radars photo automatisés dans les zones scolaires réussissait à faire réduire la vitesse des automobilistes. Après avoir fait l’acquisition de deux radars photo mobiles et les avoir déployés dans six zones scolaires en tout en 2022, la Ville a vu la vitesse moyenne dans les zones scolaires passer de 60 km/h à 40 km/h, soit la limite maximale adoptée par la Ville. « Des impacts positifs ont été enregistrés rapidement, et ont même duré dans le temps, même lorsque le radar photo avait été déplacé ailleurs », explique en entrevue Shawn Lewis, conseiller d’arrondissement à la Ville de London. Il note que trois autres appareils sont en attente de livraison. « Nous avons aussi 10 caméras placées aux intersections pour surveiller les feux rouges, et ça a un très bon effet sur les comportements », dit-il, ajoutant que les excès de vitesse des automobilistes constituaient le sujet de plaintes le plus fréquent auprès de la Ville.

PHOTO TIRÉE DE TWITTER

Une campagne menée aux Pays-Bas en 1972 a permis de sécuriser les routes pour les usagers les plus vulnérables, dont les enfants.

Simone Langenhoff, la fillette qui a transformé les Pays-Bas

Les Pays-Bas sont souvent vus comme un chef de file en matière d’aménagement urbain visant à apaiser la circulation automobile et à sécuriser les quartiers résidentiels. Or, ils n’ont pas été épargnés par la vague du « tout à l’auto » au siècle dernier, quand les villes étaient d’abord pensées pour favoriser la fluidité des déplacements motorisés. Le 14 octobre 1971, Simone Langenhoff, 6 ans, a été tuée par un chauffard alors qu’elle se rendait à l’école à vélo dans la petite ville de Helvoirt. Le conducteur a reçu une amende d’environ 60 $. Après la mort de la fillette, son père, Vic Langenhoff, un journaliste, a publié une lettre ouverte intitulée « Stop de Kindermoord » (Arrêtez de tuer les enfants), dans laquelle il appelait à la création d’un groupe de pression pour inciter les élus et les fonctionnaires du gouvernement à faire des rues des endroits sûrs pour les citoyens. Cela a déclenché un mouvement national qui a mené à l’apaisement de la circulation dans les quartiers résidentiels et au déploiement d’un réseau national de pistes cyclables protégées de la circulation motorisée.