L’exclusion de l’industrie de l’aluminium du congé d’impôts pour grands projets a été l’une des surprises du budget. Or, j’apprends que les ministres Eric Girard et Pierre Fitzgibbon avaient des divergences de vues sur cette question, qu’a finalement tranchée le ministre des Finances.

Dans son budget, Eric Girard a remodelé le congé d’impôts offert aux entreprises qui ont des projets d’investissements d’au moins 100 millions. Le ministre des Finances a cependant exclu l’industrie de l’aluminium, chose que n’aurait pas faite Pierre Fitzgibbon, selon deux sources non autorisées à parler publiquement.

Selon mes informations, Eric Girard a fait valoir que le secteur de l’aluminium bénéficiait d’un niveau très important d’aide de l’État, si l’on ajoute aux mesures fiscales les bas tarifs électriques payés par ces entreprises. Le prix de l’électricité des alumineries, rappelons-le, varie en fonction du prix de l’aluminium, et non des coûts d’Hydro-Québec.

Dans sa nouvelle mouture, le congé fiscal permet à une entreprise d’économiser l’équivalent de 15 % à 25 % de son investissement en impôts et taxes sur la masse salariale sur une période de 10 ans.

Le gouvernement espère que cette mesure fera naître 100 projets d’ici 2032. Le congé fiscal coûtera 373 millions au Trésor public d’ici 5 ans, prévoit-on au budget.

Ces dernières années, le rabais sur l’électricité pour les alumineries a été supérieur aux 373 millions que prévoit dépenser le gouvernement pour les dizaines d’autres projets d’ici 5 ans.

Depuis 2015, les 5 alumineries qui ont un contrat avec Hydro-Québec ont économisé 1,4 milliard de dollars, ou quelque 178 millions par année⁠1.

En plus, trois autres alumineries, du producteur Rio Tinto, sont alimentées par l’énergie produite par l’entreprise elle-même, grâce à des droits hydrauliques très bon marché qu’elle a obtenus du gouvernement pour les rivières Saguenay et Péribonka. Ces droits lui permettent de produire de l’électricité pour à peine 2 cents le kilowattheure, estime-t-on.

Selon Rio Tinto, le coût de production de l’aluminium ici se classe dans les 10 % moins chers de ses alumineries dans le monde.

Dans le budget, le ministre des Finances dit poursuivre sa réflexion pour l’inclusion ou non des entreprises d’aluminium dans le congé d’impôts. « Le gouvernement poursuit ses analyses à l’égard de ce secteur d’activité. Le statut de ce dernier pourrait être réévalué au terme de ces analyses », est-il écrit.

Des rabais seulement pour l’aluminium vert

Selon mes renseignements, Québec veut une discussion franche et factuelle avec l’industrie, dans le contexte de la rareté énergétique, de la transition énergétique et de la décarbonation de notre économie. Il sera question de ces enjeux pendant le sommet sur l’énergie, attendu au cours des prochains mois.

Les alumineries sont parmi les plus grands émetteurs de gaz à effet de serre (GES) au Québec. Le gouvernement caquiste considère encore l’industrie comme une filière d’avenir, mais il aimerait offrir ses meilleurs tarifs électriques aux projets sans GES – avec la fameuse technologie Elysis – et pas aux autres. Il faudra voir, en cours de négociation, s’il faudrait y amalgamer un congé d’impôts ou non, en tenant compte de l’ensemble du portrait de l’aide de l’État.

À terme, Québec estime que l’industrie pourrait n’avoir pas besoin de plus d’énergie qu’actuellement, vu la fin prévue du contrat d’Arvida, en 2025, notamment.

À l’automne, le patron de la division aluminium de Rio Tinto, Ivan Vella, avait précisé qu’il serait difficile de rentabiliser la technologie Elysis dans les vieilles alumineries, qu’il envisageait plutôt cette technologie pour augmenter la production dans de nouvelles installations.

Au cours des dernières années, Rio Tinto a bénéficié à six reprises du congé d’impôts du Québec pour les grands projets, est-il indiqué dans le « Taxes Paid Report » de l’entreprise. En plus, la multinationale a bénéficié de l’amortissement accéléré offert par Québec et Ottawa aux entreprises qui investissent.

Tout pris en compte, Rio Tinto n’a pratiquement pas payé d’impôts au Québec ces dernières années, en plus de bénéficier de tarifs électriques avantageux⁠2.

Outre Rio Tinto, l’autre principal propriétaire d’alumineries au Québec est Alcoa, qui possède, entre autres, la vieille aluminerie de Baie-Comeau.

Ces deux multinationales ont formé une coentreprise avec le gouvernement du Québec et Apple en 2018 pour développer la technologie Elysis, qui promet d’éliminer totalement les GES du procédé de fabrication de l’aluminium. Québec et Ottawa financent 53 % du projet de 228 millions.

L’industrie de l’aluminium n’est pas la seule à se voir imposer des restrictions au nouveau congé d’impôts du Québec. Les entreprises informatiques ou de multimédia, qui bénéficient déjà d’un crédit d’impôt (sur les salaires), comme celles qui font du biocarburant, ne pourront jumeler les deux avantages fiscaux, est-il indiqué au budget.

Le porte-parole de Pierre Fitzgibbon, Mathieu St-Amand, m’écrit dans un courriel que le ministère de l’Économie cherche constamment à développer des aides adaptées à la réalité complexe du marché de l’aluminium, comme la tarification de l’électricité en fonction du prix de l’aluminium.

« Des échanges entre les ministres et les ministères sur les dossiers complexes sont courants et ne sont pas nécessairement indicateurs de divergences d’opinions », m’écrit-il.

En réaction, l’Association de l’aluminium du Canada, qui défend les entreprises du secteur, s’est dite déçue de l’exclusion de son industrie du congé d’impôts. Son porte-parole, Jean Simard, soutient dans un communiqué que le Moyen-Orient et l’Asie planchent aussi sur une production d’aluminium à faible empreinte carbone, comme on le fait actuellement au Québec avec l’hydroélectricité (autre qu’Elysis). Son association entend continuer de faire pression sur le gouvernement pour que ses membres bénéficient du congé d’impôts.

1. Entre 2015 et la fin de septembre 2022, les cinq alumineries qui ont un contrat avec Hydro-Québec ont payé en moyenne 3,87 cents le kilowattheure pour leur énergie, nettement en deçà du tarif L offert aux grandes industries, de 4,6 cents, m’avait confirmé Hydro-Québec. Les 5 alumineries ont ainsi économisé 1,4 milliard de dollars, ou quelque 178 millions par année. Vu le prix actuel de l’aluminium, certaines alumineries paient cependant aujourd’hui un tarif électrique près du tarif L d’Hydro-Québec, celui que la société d’État juge rentable.

Lisez la chronique « Aluminerie : le manque à gagner est de 1,4 milliard pour Hydro » 2. Lisez la chronique « Le Québec, paradis fiscal des alumineries »