(Québec) Cette grosse baisse d’impôts, elle rebutait bien des observateurs, craintifs de ses effets sur nos services publics. Elle était contestée, même si les Québécois sont au troisième rang des plus imposés au monde. En avons-nous les moyens, vraiment ?

Or, le gouvernement du Québec y parvient tout en augmentant considérablement les dépenses de programmes. Sa recette : il repousse de deux ans l’atteinte du déficit zéro et, surtout, il laisse la dette relative augmenter pour la première fois depuis 10 ans, en réduisant ses versements au Fonds des générations.

Le ministre des Finances, Eric Girard, est aussi plus optimiste pour la croissance économique que le secteur privé.

Voyons voir. Au cours de l’année qui vient (2023-2024), les sommes prévues pour la santé, l’éducation et les autres secteurs croîtront de seulement 1,2 % par rapport à l’année qui se termine (2022-2023), à 138,4 milliards. C’est très peu, direz-vous, mais ça s’explique parce que la base de comparaison comprenait des dépenses pour la COVID-19 et pour le bouclier anti-inflation – les chèques de 400 $ et 600 $ – qui ne reviennent pas cette année.

En retranchant ces éléments exceptionnels, la hausse des dépenses de programmes sera plutôt de 5,1 %, ce qui est nettement plus important que l’inflation moyenne de 3,5 % prévue cette année. Pas d’austérité en vue, bref.

La plupart l’ont oublié, mais le Québec se dirigeait vers un surplus de 1,7 milliard dès cette année (2023-2024), selon la mise à jour faite par le ministère des Finances au début de décembre. Ce solde budgétaire, dont la méthodologie est comparable à celle des autres provinces, exclut les versements au Fonds des générations, qui servent à réduire la dette.

Avec ce budget d’Eric Girard, ce surplus de 1,7 milliard se transforme en un déficit de 1,6 milliard. Ce déficit passera à 597 millions l’an prochain avant de revenir à un surplus de 544 millions dans deux ans, en 2025-2026. Pas d’austérité en vue, vous disais-je.

Si l’on inclut les versements à faire dans le Fonds des générations, il faut attendre l’année 2027-2028 pour retrouver l’équilibre budgétaire, dans 5 ans. Mais encore là, on peut parier que ce sera plus tôt, puisque le gouvernement s’est inscrit une réserve annuelle variant entre 1 et 1,5 milliard en cas d’imprévus.

C’est la dette qui absorbera le coup, quoique modestement. Chaque année, le gouvernement réduira les versements prévus au Fonds des générations d’une somme équivalente à la baisse d’impôts, soit de 1,7 milliard1. Ce faisant, il reporte de 5 ans le nouvel objectif qu’il s’est donné de ramener sa dette nette (37,4 % du PIB) à la moyenne des provinces canadiennes (30 % du PIB), a expliqué Eric Girard durant le huis clos budgétaire.

Avant les réductions de versements, cette cible de 30 % du PIB pour la dette nette aurait été atteinte dans 10 ans, en 2032-2033, et maintenant, c’est 15 ans, soit en 2037-2038. Au 31 mars 2023, la dette nette s’élèvera à 206,8 milliards.

Autre impact : pour la première fois depuis 2013 – excluant l’exceptionnelle année pandémique –, la dette nette relative augmente au Québec, passant de 37,4 % du PIB l’an dernier à 37,7 % au 31 mars 2023.

Non seulement les baisses d’impôts en sont responsables, mais également le rehaussement de l’enveloppe pour retaper les infrastructures du Québec, comme les écoles et les routes. L’enveloppe sur 10 ans passe de 142,5 milliards à 150 milliards, ce qui a un impact de près de 560 millions sur la dette dès cette année.

Enfin, Eric Girard est aussi plus optimiste que le secteur privé dans ses prévisions économiques. Selon le budget, la croissance réelle du PIB sera de 0,6 % cette année, soit davantage que ne le prévoit le secteur privé (0,3 %). Le Mouvement Desjardins, par exemple, voit l’économie décroître de 0,2 %, ce que les libéraux ont bien fait valoir dans leurs critiques, comme les conservateurs.

Cet écart avec le privé, Eric Girard le justifie par la stimulation économique qu’auront les baisses d’impôts, entre autres, non seulement par les dépenses des contribuables, mais aussi par l’incitation au travail qu’aura cette mesure (16 000 travailleurs de plus).

Pour un contribuable qui gagne 70 000 $, la facture d’impôts est de 36 % plus élevée au Québec qu’en Ontario, soutient M. Girard (qui omet de mentionner les nombreux services additionnels au Québec, comme les CPE, les faibles droits de scolarité ou l’assurance médicaments).

Au Québec, le poids des impôts sur le revenu est le plus élevé des provinces canadiennes, à 14,7 % du PIB, ce qui est aussi loin de la moyenne des pays industrialisés (9,5 %). Avec la baisse d’impôts, le poids reste au sommet canadien, mais il passera à 14,3 % du PIB (l’Ontario est à 14,1 %).

Certains sont d’avis, comme les libéraux, qu’en réduisant les versements au Fonds des générations, le gouvernement se prive des bons rendements que lui offrent les placements faits à la Caisse de dépôt et placement. Des économistes jugent toutefois que ce rendement s’accompagne de risques – comme on l’a vu cette année avec le rendement de -7,9 % du Fonds des générations – et que le gouvernement est mieux avisé de rembourser directement sa dette.

La CAQ a d’ailleurs choisi de puiser dans le Fonds des générations cette année pour rembourser 5 milliards de dettes d’ici 2 ans, en plus de diminuer ses versements annuels au Fonds.

Chose étonnante, malgré la baisse des impôts sur le revenu des particuliers, les recettes tirées de ces impôts grimpent de 1 % cette année. Et quand on ajoute l’ensemble des revenus, la hausse est de 1,8 %, avant de remonter à 3,4 % l’année suivante.

On ne vivra pas d’austérité, vous disais-je, à moins que l’économie mondiale vacille, avec les problèmes de certaines banques et la guerre…

1. La baisse viendra de trois sources, entre autres. La contribution d’Hydro-Québec au Fonds diminuera de 310 millions en 2023-2024, et cette somme tirée des dividendes de la société d’État ira plutôt au fonds général du gouvernement, comme les revenus miniers (409 millions) et la portion des taxes sur les boissons alcooliques (500 millions) qui était destinée au Fonds.