Disons que l’idée n’est pas passée comme une lettre à la poste, provoquant l’ire de certains lecteurs. Tout de même, j’ai eu des réactions nombreuses et intéressantes à ma chronique sur les gaz à effet de serre (GES) des riches, publiée lundi dernier.

Le problème évoqué : puisque les gens qui s’enrichissent deviennent insensibles aux prix, les taxes sur les GES affectent peu leur surconsommation, ce qui rend ce genre de mesure inefficace chez ces grands pollueurs pour atteindre la carboneutralité.

Je suggérais donc l’idée d’une taxe progressive de plus en plus forte sur les consommateurs de GES. Un exemple : une très grosse taxe sur le 3e voyage annuel en avion1.

Certains lecteurs, choqués, m’ont lancé des insultes, jugeant qu’une telle taxe tuerait l’entrepreneuriat2.

« Arrêtez de démoniser les gens qui réussissent, ils méritent de se payer un peu de luxe. C’est une blague tellement que vous êtes à côté du problème. Le message : au Québec, si tu contribues par tes idées, ton intelligence, ta prise de risque et que tu fais beaucoup d’argent, sache que tu seras vu comme un paria, qui ne fait pas sa part pour l’environnement et ne devra pas se payer du luxe sans se faire écraser par les taxes », me dit l’un d’eux.

Un autre : « Arrêtez de vous regarder le nombril et allez voir ce qui s’est passé en Grèce, en Argentine et au Venezuela, où vos idées de fou sont appliquées. Votre solution de vouloir raser le mouton ne peut conduire qu’à une catastrophe. Quand on veut trop raser le mouton de près, on lui coupe la peau et il n’y a plus de laine à vendre. »

Bon, bon, bon, on va passer à un autre appel… mais avant, ai-je dit que je n’avais rien contre la richesse, mais tout contre les GES ?

Un riche qui se paie une bouteille de vin de 100 $ ne polluera guère plus qu’un pauvre qui achète une bouteille de 10 $. Même chose pour des vêtements haut de gamme.

Le lecteur Jonathan Dubeau, plus poli, dit douter d’une telle approche. « Si on taxe ainsi et qu’on décourage la consommation de ceux qui ont eu du succès, on risque de décourager la recherche du succès individuel à la base même de notre système. De plus, les plus riches continueront de polluer malgré une telle taxe », dit M. Dubeau, qui croit qu’il faut plutôt inciter les riches à utiliser les technologies vertes, d’autant qu’ils sont souvent des « early adopters ».

Un autre lecteur rappelle que les riches sont ceux qui ont les moyens d’acheter des voitures électriques, des systèmes géothermiques et des panneaux solaires. « Je ne crois pas aux mesures que vous énoncez. Plattsburgh attend à bras ouverts les Montréalais mécontents. »

Dans la même veine, certains jugent qu’une taxe ciblant surtout le 1 % les plus riches déresponsabiliserait la classe moyenne et serait administrativement trop coûteuse vu les bénéfices attendus.

J’en conviens.

Sauf que la classe moyenne jettera l’éponge si elle voit que les riches ne font pas leur part ou si, autrement dit, les inégalités de GES sont trop grandes.

Pour sa part, le professeur de socioécologie Jean-François Boucher, de l’Université du Québec à Chicoutimi, s’interroge sur la nécessité d’imposer un quota de GES par personne, suggéré par certains chercheurs.

« L’actuel marché du carbone couvre déjà 85 % de l’économie du Québec, avec des quotas sectoriels. Ces quotas touchent d’abord les grands émetteurs, mais également les consommateurs, par voie de conséquence. Le problème réside surtout dans l’application. […] il y a notamment trop d’allocations gratuites dans le système, venant gêner l’effet désiré et, indirectement, le prix de la tonne. »

Il faut mieux vulgariser les avantages

Hugo Cordeau, étudiant au doctorat en économie, me cite une récente étude selon laquelle en Europe, le marché du carbone ne frappe pas tant les emplois des secteurs à forte intensité en GES, mais davantage les commerces de proximité, par exemple, qui sont sensibles aux prix et où des gens à faibles revenus travaillent3.

Autre élément des recherches récentes : la grande importance de la communication des mesures sur le climat. Au Canada anglais, par exemple, peu de gens savent que 80 % des individus reçoivent davantage de crédit climatique qu’ils ne payent de taxe carbone.4 L’avantage atteint même jusqu’à 1200 $ par année pour une famille albertaine de deux enfants.

Or, selon une recherche, l’indice d’adoption de la taxe carbone augmente fortement quand elle est bien vulgarisée, alors que cet indice ne bouge pas quand les autorités parlent des désastres de la crise climatique, déjà bien connus.

Par ailleurs, un consultant me rappelle l’importance d’imposer à la frontière des taxes sur les produits importés qui ont une forte empreinte carbone et dont le prix n’a pas été majoré dans le pays où ils ont été fabriqués. L’idée chemine bien en Europe, mais la difficulté est de bien mesurer cette empreinte, entre autres.5

De son côté, l’économiste Jean-Marc Bergevin ramène l’idée d’une taxe sur les GES qui ressemblerait à la taxe sur les produits et services (TPS), imposée seulement sur les GES ajoutés. « La TGES serait perçue sur la quantité de dioxyde de carbone produit à chaque étape de la production et payée par l’acheteur au vendeur du produit. Tout comme pour la TPS, le vendeur serait remboursé pour les TGES déjà versées à ses fournisseurs et il verserait l’excédent au gouvernement », m’écrit-il.

Quoi qu’il en soit, tous les riches ne sont pas récalcitrants à payer davantage pour les GES qu’ils consomment.

« Étant propriétaire d’un ponton avec un moteur puissant, je trouverais normal de payer une conséquence. J’adore mon ponton, mais je suis parfaitement conscient de l’environnement. J’ai d’ailleurs une maison de type LEED et une Tesla », me dit le lecteur Jean Charlebois.

Tiens donc…

1. Lisez la chronique « Les riches, l’inflation et les GES »

2. Les propos écrits des lecteurs ont été remaniés par souci de clarté et de concision.

3. Consultez l’étude « The Unequal Economic Consequences of Carbon Pricing » (en anglais) 4. Consultez l’analyse « A Distributional Analysis of Federal Carbon Pricing Under a Healthy Environment and a Healthy Economy » (en anglais) 5. Lisez la chronique « Produits importés vers une taxe carbone pour les pays “sales” »