Avec le prix du panier d’épicerie qui grimpe en flèche et la hausse vertigineuse de l’immobilier, subvenir aux besoins de sa famille coûte de plus en plus cher. Et ça peut être ardu pour des gens ni riches ni pauvres, constate Isabelle Maréchal dans son éclairant documentaire Les moyens de la classe moyenne.

S’intéresser à la classe moyenne, tout le monde le fait : les politiciens la courtisent, les publicitaires la ciblent et c’est cette tranche de la population qui fait tourner l’économie. Or, ces familles ni riches ni pauvres, qui constituent la majorité de la population, commencent à tourner en rond. Avec la hausse des coûts de l’immobilier et le choc inflationniste, nombre d’entre elles sont prises dans une spirale qui mène de moins en moins souvent à l’enrichissement.

« L’argent ne coûtait rien », souligne Isabelle Maréchal, parlant des bas taux d’intérêt qui ont été la règle pendant des années. « Là, on se rend compte que l’argent a un coût, que le crédit coûte cher. C’est une espèce de mur qui frappe certaines personnes plus que d’autres, notamment la classe moyenne un peu fragile, qui est sur le point de basculer dans la pauvreté. »

Qui sont ces gens dont il est question dans Les moyens de la classe moyenne ? Des familles nucléaires et d’autres monoparentales, à un coup dur d’être pauvres ou à un bon coup de l’aisance financière, ainsi que toutes celles entre les deux. Des gens qui travaillent à temps plein, qui cumulent parfois les emplois et qui sont tellement occupés à s’occuper de la maisonnée qu’ils n’ont ni le temps ni l’énergie pour vraiment s’intéresser à la politique ou remettre en question le système.

« Parler de la classe moyenne est une erreur, parce que ça englobe beaucoup de gens et bien des réalités différentes », souligne la journaliste, animatrice et productrice. Son documentaire vise justement à en montrer la complexité et à mettre un visage sur cette « majorité silencieuse » dont tout le monde parle, mais dont peu de gens se soucient vraiment.

Isabelle Maréchal a constaté au cours de ses recherches qu’il y a peu d’études consacrées à la classe moyenne, en effet. La définir en chiffres a été difficile, mais elle a pu établir, avec l’aide de l’économiste François Delorme, que la classe moyenne québécoise correspond à ceci : un salaire net de 62 000 $ à 123 000 $ pour une famille de quatre, ou de 39 800 $ à 62 000 $ pour une personne seule.

Notez ce détail : les chiffres avancés représentent le salaire après impôts. Un choix qui témoigne du souci de rendre les choses intelligibles au téléspectateur, car chacun sait qu’on ne fait pas son budget avec son salaire brut si on aspire à boucler ses fins de mois…

Se loger, se nourrir

Isabelle Maréchal s’intéresse beaucoup au logement et à la nourriture, pour des raisons qui lui semblent évidentes. « La sécurité, c’est d’avoir un toit sur la tête et d’être capable de se nourrir, dit-elle. Ce sont aussi deux éléments cruciaux quand on parle de la classe moyenne. La preuve : quand tu es riche, tu ne regardes pas le prix des aliments, alors que quand tu es pauvre, tu ne fais que ça… »

Elle illustre la difficulté de se loger à un coût raisonnable à travers l’histoire d’Elyse, chef de famille monoparentale de Villeray, à Montréal, qui ramasse des canettes vides dans l’espoir d’avoir une mise de fonds pour acheter quelque chose dans son quartier. D’ici là, elle craint d’être évincée de son logement et forcée de déraciner sa petite famille…

La journaliste raconte aussi l’histoire d’une autre mère seule de Mascouche qui cumule deux emplois pour payer son logement et les petits luxes qui lui font du bien. Elle rencontre aussi une famille qui a quitté la ville pour s’installer à la campagne où elle fait un potager, et un groupe de jeunes agriculteurs qui se sont rassemblés au sein d’une coopérative.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

La journaliste Isabelle Maréchal anime le documentaire Les moyens de la classe moyenne, réalisé par Guillaume Sylvestre.

Il est question de surconsommation dans Les moyens de la classe moyenne, mais avec beaucoup de nuance. « Il est facile de montrer les gens du doigt en leur disant qu’ils vivent au-dessus de leurs moyens ou qu’ils sont incapables de faire un budget. Il y a tellement de raisons qui font en sorte que les gens n’ont pas trois mois de coussin devant eux, estime Isabelle Maréchal. C’est trop facile de dire au consommateur que c’est sa faute, alors que tout le système travaille pour le faire dépenser. »

Isabelle Maréchal voulait que les téléspectateurs soient touchés et saisissent l’urgence de la situation. Les moyens de la classe moyenne est en effet traversé d’une inquiétude : les choses ne vont pas s’améliorer si on ne met pas l’accent sur des initiatives collectives comme les coopératives (d’habitation, entre autres) et si on oublie l’impact inévitable des changements climatiques sur l’accès au logement et à la nourriture, notamment.

« [On a] un seul gâteau au chocolat, il est plus petit qu’il ne l’était. On donne un couteau à chacun et bonne chance », dit Jacques Nantel, professeur émérite à HEC Montréal, pour illustrer son inquiétude. Il croit que les décisions prises dans les prochaines années vont définir la société québécoise pour des décennies et permettront d’éviter une importante crise sociale. Ou pas.

Le mercredi 15 mars, 20 h, à Télé-Québec