Nos vélos fabriqués en Chine. Nos voitures du REM en provenance de l’Inde. Nos téléphones portables.

Leur point commun ? Ces produits sont fabriqués dans des pays dont l’énergie est fortement émettrice de gaz à effet de serre (GES), notamment le charbon.

En les achetant, non seulement nous contribuons aux émissions de GES, mais nous favorisons aussi une concurrence déloyale envers nos entreprises, soumises à de coûteuses normes environnementales locales. D’où la proposition qui se répand rapidement dans le monde : une taxe carbone imposée aux importations de certains produits.

« C’est l’un des débats de l’heure, d’une très haute importance pour nous. Une sorte de taxe carbone aux frontières, ça va se faire, c’est certain, mais avec quelle échéance, à quel rythme ? », me dit Jean Simard, PDG de l’Association de l’aluminium du Canada.

Dans la foulée de la COP26 à Glasgow, le gouvernement canadien mène des consultations sur ce sujet délicat, qui se termineront fin janvier.

Visitez le site web du Gouvernement du Canada sur les consultations

Tous s’entendent pour dire que les produits de consommation courante seront les derniers ciblés par une taxe carbone aux frontières (ou par des droits de douane carbone), vu la complexité d’établir une mesure fiable pour les nombreuses pièces des produits transformés.

Quatre produits de base à forte intensité de carbone seront d’abord visés par un ajustement carbone aux frontières, si l’on se fie aux avancées de l’Union européenne : l’acier, l’aluminium, le ciment et les engrais.

De 2023 à 2025, les autorités européennes s’affaireront d’abord à mesurer l’empreinte carbone des importations de ces secteurs visés. Suivrait une taxe à partir de 2026, qui s’appuierait sur un prix équivalent à ce qui est imposé aux entreprises européennes, par l’entremise du Système d’échange de quotas d’émissions de l’Union européenne.

« Avec le temps, l’objectif est d’appliquer la taxe à d’autres secteurs », explique l’analyste géopolitique Angelo Katsoras, de la Banque Nationale, dans un récent rapport sur le sujet.

Lisez le rapport d’Angelo Katsoras (Banque Nationale du Canada)

Les écarts d’émissions de GES sont renversants. L’aluminium fabriqué au Québec avec l’hydroélectricité émet environ 2 tonnes de GES par tonne d’aluminium, indique Jean Simard. En comparaison, celui fait en Chine ou en Inde avec le charbon émet 17 tonnes de GES. Avec le gaz naturel ? Huit tonnes.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Jean Simard, PDG de l’Association de l’aluminium du Canada

L’enjeu est majeur. Surtout quand on sait que la Chine produit 60 % de l’aluminium mondial et que dans environ 80 % des cas, c’est avec de l’énergie tirée du charbon.

Aux États-Unis, l’idée d’un ajustement carbone à la frontière n’est pas aussi avancée qu’en Europe, mais elle fait son chemin, avec un appui de principe de Joe Biden.

Par exemple, le récent accord sur l’acier entre les États-Unis et l’Union européenne prévoit appliquer des mesures environnementales pour exclure, éventuellement, les importations d’acier de pays irrespectueux des normes environnementales. La Chine est particulièrement visée.

Des groupes américains favorables à une telle taxe carbone font valoir que les produits fabriqués aux États-Unis dans les secteurs des métaux, de la chimie, de l’électronique et de l’automobile émettraient 40 % moins de GES que la moyenne mondiale, selon le rapport de la Banque Nationale. Un droit de 43 $ la tonne réduirait même les importations d’acier de 50 % aux États-Unis.

Il y a loin de la coupe aux lèvres, néanmoins. C’est que les Américains n’ont pas de mécanisme généralisé de tarification du carbone, seulement des initiatives dans certains États, comme la Californie. Il leur serait difficile, en vertu des règles internationales, d’imposer aux étrangers une taxe qu’ils n’utilisent pas.

Ce n’est pas le cas du Canada. L’avocat Bernard Colas, de la firme CMKZ, croit qu’une taxe carbone imposée aux frontières du Canada serait conforme aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), si elle est conçue avec rigueur. « La taxe serait imposée de façon non discriminatoire, puisque nous imposons nous-mêmes une taxe carbone à nos entreprises nationales », explique-t-il.

Mais avant d’y arriver, il faudra s’entendre sur la mesure de l’empreinte carbone des produits étrangers, ce qui n’est pas une mince affaire, notamment en raison du manque de transparence de certains pays, comme la Chine. Et si les Américains ou les Européens tranchent sur une mesure des GES pour l’acier ou l’aluminium chinois, par exemple, il y a fort à parier qu’elle sera contestée par les Chinois.

Autre obstacle : l’objection des pays en développement. En vertu de l’accord de Paris, des objectifs environnementaux moins stricts peuvent leur être imposés. Or, une taxe carbone irait dans le sens inverse⁠1.

Bref, une taxe carbone aux frontières risque de se transformer en véritable guerre commerciale.

Il faudra pourtant y arriver, tôt ou tard, sans quoi la fabrication de produits pourrait être encore davantage déplacée vers des pays aux normes moins sévères, avant qu’ils ne soient réexpédiés ici, avec un effet néfaste pour l’environnement et la concurrence.

À moins que le Canada et ses partenaires « propres » ne choisissent plutôt de favoriser « des remises à l’exportation aux producteurs locaux afin que leurs produits puissent faire concurrence sur un pied d’égalité dans les marchés étrangers », note le document de consultation du gouvernement fédéral canadien. Mais dans un tel cas, l’environnement sera perdant.

En attendant, Jean Simard croit que le Canada a tout intérêt à suivre les politiques américaines sur le sujet. Non seulement les États-Unis sont notre principal partenaire commercial, mais le Canada pourrait difficilement mener une bataille internationale sur le sujet, avec ses possibles rétorsions, sans les Américains. À suivre.

⁠1. Parmi les pays en développement, dont la plupart jugent qu’une taxe européenne pénaliserait leurs produits exportés, mentionnons la Chine, l’Inde, l’Indonésie, le Brésil et l’Afrique du Sud.