Plus on est riche, moins les prix influencent nos décisions d’achat, on s’entend ?

Un couple qui fait 300 000 $ par année ne collectionne pas les coupons rabais pour faire son épicerie comme une famille qui gagne 30 000 $. Le billet d’avion qui augmente de 150 $ ? Bof ! Le plein d’essence qui fait grimper la facture de 50 $ par mois ? Et alors ?

Le couple riche s’offre des bouteilles de vin plus chères et des vêtements plus luxueux. Sa consommation est aussi bien plus importante, qu’il s’agisse de voitures, de voyages, de chalets, de bateaux, de tout-terrain et tutti quanti.

Cet effet distinctif des prix selon les revenus est incontestable. Et il s’amplifie au fur et à mesure que le revenu d’un ménage augmente.

Pourquoi discuter de cette évidence ? Parce que les principales mesures pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES), comme l’imposition d’un tarif sur le carbone, apparaissent peu efficaces pour contraindre les plus grands pollueurs, soit les riches. Les prix augmentent, mais les plus fortunés s’en soucient assez peu, cela n’influence pas beaucoup leur comportement.

D’où mon interrogation : faut-il instaurer une taxe progressive sur le carbone, comme l’impôt sur le revenu, qui frappe plus fort les plus grands pollueurs ?

Ce questionnement m’est revenu à l’esprit en lisant les conclusions d’une récente étude qui constate qu’aux États-Unis, les plus fortunés ont augmenté leurs émissions de GES, alors que les autres les ont diminuées.

L’étude a été faite par Jared Starr et quatre collègues de l’Université du Massachusetts à Amherst et de l’Université norvégienne de sciences et de technologie. Elle se base sur la consommation des ménages aux États-Unis.

Pour l’année 2019, ils ont estimé que les ménages américains appartenant au 0,1 % le plus riche émettaient 955 tonnes de GES par année, soit 23 fois plus que le ménage moyen et 57 fois plus que ceux appartenant aux 10 % les moins nantis.

La bonne nouvelle, c’est que les émissions de GES ont reculé de 16 % pour le ménage américain moyen entre 1996 et 2019. Le recul est semblable pour tous les déciles de la distribution. La mauvaise, c’est que les ménages faisant partie du 1 % le plus riche ont augmenté leurs émissions de 23 % durant cette période, et ceux qui font partie du 0,1 % le plus riche, de 50 % !

Bref, les riches sont non seulement les principaux responsables des GES émis, mais aussi les principaux responsables de leur croissance, selon l’étude. J’ai abordé ce sujet dans une précédente chronique.

Retour à ma question, donc : faut-il imposer une taxe qui augmente progressivement selon le niveau d’émissions de GES ? Par exemple, au troisième voyage annuel en avion, la hausse serait très élevée. Même chose pour les véhicules à essence et tout le reste, avec des considérations fiscales, bien sûr, pour le type de consommation (par plaisir ou pour le travail ?).

La mise en application d’une telle progressivité pose évidemment des problèmes de collecte de données et d’administration, puisqu’il faudrait que l’État puisse connaître le niveau d’émissions de GES de chaque personne ou ménage.

Un registre annuel de la Société de l’assurance automobile du Québec ou des billets achetés de compagnies aériennes devraient être mis en place, par exemple, mais il y aurait de nombreuses fuites. Quant à l’autodéclaration, comme dans le cas de l’impôt sur le revenu, elle devrait pouvoir être vérifiée minimalement, ce qui n’est pas évident.

Tout en soulignant cette difficulté, l’économiste François Vaillancourt, du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO), évoque l’idée relancée par l’économiste Nicholas Kaldor en 1955, soit un système d’imposition basé sur les dépenses et la consommation plutôt que sur les revenus.

Essentiellement, les contribuables auraient à déclarer leurs dépenses de toutes sortes – y compris leurs placements – et l’État percevrait un impôt progressif sur ces dépenses. Ce serait une révolution, d’autant qu’un tel impôt viendrait s’ajouter à la taxe de vente (ou la remplacer), et il n’est pas clair que l’objectif de cibler adéquatement les grands émetteurs de GES serait atteint.

Un quota maximum de pollution ?

Un autre économiste, François Delorme, de l’Université de Sherbrooke, milite plutôt pour un quota imposé à tous, soit une quantité maximale d’émissions de GES qui serait permise. Dès 2023, le gouvernement pourrait allouer un quota de 9 tonnes de GES par Québécois, soit le niveau d’émission actuelle.

Ce quota serait toutefois réduit d’une tonne par année, ce qui nous permettrait d’atteindre en 2030 l’objectif mondial pour limiter le réchauffement à 1,5 °C, qui est de 2 tonnes par habitant, fait-il valoir.

Cet objectif serait costaud pour les plus grands consommateurs de GES, mais ces derniers pourraient acheter la portion des quotas inutilisée de ceux qui n’utiliseraient pas la totalité des leurs, portion qui deviendrait de plus en plus chère avec le temps.

Selon M. Delorme, la très grande proportion d’utilisateurs de téléphone portable, jumelée à l’intelligence artificielle, est de nature à réduire les coûts d’administration et de surveillance.

« Le plus grand frein resterait l’acceptabilité sociale. Pourtant, comme l’écofiscalité ne suffit pas à ralentir les émissions de GES, a-t-on vraiment encore le luxe de ne pas l’essayer ? », écrit-il sur le site unpointcinq.ca.

Pour sa part, l’économiste Michel Poitevin fait valoir que la taxe carbone du gouvernement fédéral, imposée hors Québec, a déjà un effet progressif et redistributif, tout compte fait.

La taxe est imposée aux entreprises et aux producteurs d’énergie fossile et elle finit par toucher davantage les plus grands consommateurs-émetteurs de GES, par le truchement de leur consommation de produits et d’essence.

Or, le fruit de la taxe est retourné aux contribuables sur une base par habitant, si bien que les pauvres reçoivent autant que les riches, bien qu’ils polluent moins. Il reste à hausser le taux de la taxe, qu’il juge beaucoup trop bas, pour qu’il reflète le réel coût à long terme du réchauffement climatique.

Le Québec aurait avantage à imiter le fédéral, dit-il, plutôt qu’à verser l’argent dans un fonds vert aux résultats discutables.

La taxe carbone fédérale grimpera à 65 $ le 1er avril 2023, et au Québec, la toute récente mise aux enchères (16 février) s’est terminée avec un prix de 37,17 $, contre 35,62 $ le 16 novembre dernier.

Pas simple, ce problème à la fois écologique et économique, mais sinon, que faire pour réellement freiner l’appétit en carbone des ménages qui s’enrichissent ?

Consultez l’étude « Assessing U.S. consumers' carbon footprints reveals outsized impact of the top 1% » (en anglais) Lisez la chronique « Un budget carbone pour discipliner les riches » Lisez « Passeport carbone : la clé pour atteindre l’objectif de l’Accord de Paris ? » sur le site d’unpointcinq