C’est facile et même tentant de blâmer les victimes de fraudes financières en présumant qu’elles ont été naïves ou imprudentes. Mais ceux qui ont perdu des milliers de dollars vous diront que ces préjugés font fi du contexte dans lequel les arnaques se produisent, du haut degré de sophistication des méthodes utilisées et de la psychologie humaine.

Voici une recette assez efficace pour prendre de mauvaises décisions : une bonne dose de pression, à peu près autant de stress, et deux ou trois émotions désagréables. Mélangez le tout et vous pourriez donner votre NIP à un fraudeur au téléphone ou même aller lui chercher une grosse pile de 20 $ au guichet automatique. Ça arrive tous les jours.

Une variante : l’escroc au bout du fil réussit à mettre sa victime dans un tel climat de confiance qu’elle finit par le remercier pour son aide, pendant que le compte de banque se vide.

Il n’existe aucun antidote à la fraude qui puisse être efficace à 100 %, mais la sensibilisation et l’information peuvent drôlement nuire aux efforts des voyous pour s’enrichir sur notre dos.

Un nouveau jeu immersif créé par l’Agence du revenu du Canada (ARC) permet justement d’apprendre à aiguiser ses réflexes et à identifier les véritables communications en provenance du gouvernement. Dans les prochaines semaines, il fera la tournée de centres commerciaux un peu partout au pays. Jusqu’à dimanche soir, il est installé au beau milieu de la Place Vertu, dans l’arrondissement de Saint-Laurent.

Je suis allée le tester, vendredi matin. Ce n’est pas tous les jours que l’ARC fait preuve d’autant de créativité pour sensibiliser la population à un fléau. Le concept qui s’inspire des populaires jeux d’évasion a donc piqué ma curiosité.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

La ministre du Revenu national, Marie-Claude Bibeau, teste un jeu d’évasion conçu pour sensibiliser la population à la fraude financière et aux arnaques.

Juste avant que je ne pénètre à l’intérieur de la grosse boîte qui ressemble à un conteneur, la ministre du Revenu national, Marie-Claude Bibeau, avait fait l’expérience. En sortant, après neuf minutes, on obtient sa note. « On m’a donné 87 %. Mon équipe pensait que j’aurais juste 70 %, alors c’est bon ! », m’a confié l’élue dans un grand éclat de rire.

Le jeu est très réaliste. Une fois dans la cuisine et dans le salon, on reçoit des textos, des courriels et des appels téléphoniques. Ne manquent que les enfants qui se chicanent et le son de la télévision. Chaque fois, il faut déterminer assez rapidement si les messages sont légitimes ou non. Il faut aussi évaluer l’authenticité de lettres signées par l’ARC.

Dans la vraie vie, on est parfois bousculé par le temps, on est moyennement attentif, alors dans le jeu, pour simuler cet état d’esprit, le compteur roule. Le temps pour prendre des décisions est limité.

En état d’hypervigilance, je cherchais bien sûr les indices évidents qui m’auraient permis de reconnaître les messages frauduleux, croyant que ce serait somme toute assez facile. Mais non ! En sortant de la fausse maison, on m’a transmis mon résultat : 80 %, avec quelques explications et des conseils. Un appel légitime m’a paru louche, ce qui est moins dangereux que l’inverse, ai-je pensé pour me consoler. J’ai aussi eu du mal à identifier les vrais courriels de l’ARC.

Avouez qu’il est facile de perdre le fil et de ne plus savoir comment communique chacune des organisations. Un jour, on nous dit que le gouvernement n’envoie jamais de textos, le lendemain Revenu Québec nous annonce qu’il utilisera cette méthode.

La logique veut qu’on se méfie au plus haut point de tout message contenant des fautes de français. Pourtant, deux personnes m’ont récemment raconté qu’elles avaient ignoré des notifications mal écrites… qui se sont avérées authentiques.

On ne nous facilite pas trop la vie, disons.

Ce qui m’inquiète particulièrement dans toutes ces histoires de fraudes qui font les manchettes, ce sont les cas où les personnes jurent n’avoir cliqué sur rien ni parlé à personne. Malgré tout, des milliers de dollars se sont évaporés de leur compte de banque.

La CBC rapportait il y a quelques jours que 140 clients de la Banque de Montréal (BMO) se seraient fait voler 1,5 million de dollars au moyen de virements frauduleux à partir de leur compte bancaire ou de leur marge de crédit. Ils prévoient poursuivre collectivement la banque qui refuse de les rembourser1.

Les virements, selon la BMO, ont été faits non seulement avec le bon mot de passe, mais aussi à partir de l’ordinateur des victimes, selon l’adresse IP. « Nos enquêtes montrent que le client a partagé, sans le savoir, des renseignements personnels ou y a donné accès », a dit la BMO à la CBC.

Mais un enquêteur en cybercriminalité de la police de Toronto croit que les appareils des clients touchés ont été infectés à leur insu par un logiciel malveillant capable de recueillir à distance leur mot de passe et leur adresse IP. Y a-t-il moyen de se prémunir contre ça et contre tous les autres progrès technologiques ? Comment prouver son innocence ? Quelle est la responsabilité des banques ? Que fait le gouvernement pour nous protéger ?

Hélas, le jeu de l’ARC ne répond pas à ces questions complexes qui devront, plus tôt que tard, être prises davantage au sérieux. L’an dernier, les fraudes ont privé 42 000 Canadiens de 569 millions de dollars.

1. Visionnez le reportage de la CBC (en anglais)