Depuis quelque temps, la conversation collective sur l’impact des écrans et des réseaux sociaux sur les cerveaux en développement des jeunes s’est animée. Pas juste au Québec. La publication d’un livre aux États-Unis soulève débats et réflexions1.

Plus tôt cette semaine, le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, a laissé flotter l’idée de, peut-être, légiférer sur le temps d’écran des enfants. Il n’a donné aucun détail.

Quelques jours plus tard, son patron a nuancé l’idée du ministre : il n’a pas voulu s’avancer sur un projet de loi2. François Legault a rappelé que les parents avaient aussi un rôle à jouer dans l’utilisation des écrans par leurs enfants.

Le premier ministre a tout à fait raison. Les parents ont un rôle à jouer.

Mais l’angle mort de son observation, à mon avis, est le suivant : pour les jeunes, le temps passé devant les écrans, l’impact de ce qu’on trouve dans les écrans sur le développement des neurones, des habiletés sociales et de la personnalité sont un problème collectif.

Et comme pour tous les problèmes collectifs, la solution n’est pas individuelle.

Maintenant, je ne vais pas cracher dans la soupe. Je suis content de voir que l’idée de réfléchir – et d’agir – à propos de l’impact des écrans sur le cerveau des jeunes fait son chemin à Québec. Je suis content que Paul St-Pierre Plamondon porte ce dossier. Je suis content que le PM y réagisse.

Je ne sais pas quelle voie législative pourrait être utile pour limiter le temps d’écran des jeunes dans la sphère privée. Des États américains ont imposé des limites d’âge strictes pour accéder aux réseaux sociaux, encore faut-il voir si ces lois passent le test du réel.

Il y a un aspect que le gouvernement du Québec contrôle en revanche totalement, quand il est question du numérique : l’école.

On sait que le gouvernement a interdit l’utilisation du cellulaire en classe. C’est une bonne chose, quoique mes échos du terrain laissent entendre que beaucoup de profs sont épuisés de se battre avec les élèves qui contestent ce règlement.

L’autre aspect contrôlé totalement par l’État, c’est l’utilisation des outils numériques dans les classes. Je parle de la prise de notes sur écran, je parle de la vénération des ordinateurs et des tablettes, de tableaux numériques, etc.

L’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) a analysé les données, compilant des études sur le lien entre le numérique et l’apprentissage chez les 12 à 25 ans, et le constat de l’INSPQ est inquiétant : le numérique en classe nuirait à plusieurs sphères d’apprentissage.

La Dre Mélissa Généreux parlait récemment dans le cadre de cette chronique3 de cette synthèse de l’INSPQ qui donne à penser qu’on a fait entrer les outils numériques dans les écoles, au nom du progrès, sans se poser une question de base… Est-ce bon pour l’apprentissage ?

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

La Dre Mélissa Généreux

Je cite un bout de la synthèse de l’INSPQ4 :

« [L]es résultats appellent à être vigilant avant de substituer le support numérique au papier et crayon pour lire et prendre des notes en classe. Alors que le support numérique ne semble apporter aucune valeur ajoutée à l’apprentissage, il risque même de nuire à la compréhension de texte. En recensant des études comparant le support numérique au papier et crayon, les méta-analyses indiquent deux principaux résultats. D’une part, la compréhension est significativement plus faible lorsque le texte se présente sous forme numérique plutôt que sur papier. D’autre part, aucun effet positif de la prise de notes numériques sur l’apprentissage ne ressort des études (notes scolaires et score à un questionnaire de mémorisation et de compréhension). »

Extrait de la conclusion :

« [Les] données scientifiques récentes suggèrent que les appareils numériques en classe, utilisés à des fins personnelles ou pédagogiques, au mieux n’apportent aucun bénéfice à l’apprentissage, et au pire entraînent un effet négatif sur la cognition des jeunes. […] En ce sens, considérant les risques sur la cognition, il appert important de planifier l’intégration des appareils numériques individuels en classe en s’interrogeant sur la valeur ajoutée qu’elle apporte à l’apprentissage. »

Le ministre Carmant jongle vaguement avec l’idée de légiférer, le PM fait un rappel aux parents. Fort bien, qu’on parle de l’impact des écrans sur les enfants est nécessaire, d’autant que le phénomène – et le chapelet de problèmes qui y est attaché – est multifactoriel.

Mais sur le temps d’écran en contexte scolaire, le constat de l’INSPQ est clair : les écrans, à l’école, ce n’est pas si essentiel à l’apprentissage, c’est même souvent nuisible.

Là-dessus, l’État peut agir sans légiférer.

1. Lisez la chronique « Nos enfants, le téléphone et le virtuel » 2. Lisez l’article de Radio-Canada « Aux parents de limiter le temps d’écran des jeunes, selon François Legault » 3. Lisez la chronique « Sur la place des écrans à l’école » 4. Lisez le rapport de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ)