Au bout du fil, la Dre Mélissa Généreux semble interloquée en rapportant une anecdote sur un de ses sujets d’inquiétude quant à la santé mentale des jeunes : la place des écrans à l’école.

Elle me raconte avoir jadis visité une école où la technologie était centrale dans l’enseignement, même que ladite école s’en faisait un point de fierté dans les communications avec les parents.

« C’est une de ces écoles qui disent : “On fait tout en ligne, tous nos élèves ont un iPad.” J’avais posé la question : “Mais comment vous faites pour savoir, en classe, s’ils écoutent vraiment, s’ils ne sont pas sur l’internet, sur les réseaux sociaux ?” Une prof m’avait répondu : “J’enseigne du fond de la classe pour m’assurer qu’ils ne sont pas sur les réseaux sociaux…” »

La Dre Généreux, qui enseigne la santé publique à l’Université de Sherbrooke, avait trouvé cette réponse un peu courte, que cette approche faisait fi du relationnel et du réel, au profit du virtuel.

Mélissa Généreux n’a rien contre la technologie, mais elle est assez vieille pour poser un regard critique sur l’arrivée, jadis, des écrans dans nos vies : « J’ai vendu des cellulaires quand j’étais aux études. C’était présenté comme la huitième merveille du monde… On était très naïfs, comme épatés par la technologie. »

La chercheuse Généreux a développé une expertise sur la santé mentale des jeunes avec des enquêtes annuelles à grande échelle auprès de milliers de jeunes de 12 à 25 ans.

Et en 2023, la Dre Généreux a décortiqué les réponses de 18 000 jeunes qui avaient répondu au sondage de son équipe de l’Université de Sherbrooke. Elle s’était publiquement inquiétée1 d’un lien entre le temps d’écran et la santé mentale : les jeunes qui passent plus de quatre heures sur les réseaux sociaux rapportent deux fois plus d’anxiété ou de dépression que ceux qui y passent moins de deux heures par jour…

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

La professeure à la faculté de médecine de l’Université de Sherbrooke Mélissa Généreux

Mélissa Généreux me cite la sortie du Surgeon General des États-Unis, il y a un an2, qui disait son inquiétude au sujet du fait que les jeunes américains passent une grande partie de leur vie devant les écrans : « Il note que le circuit de la récompense est surstimulé par les réponses des réseaux sociaux, on stimule ces circuits en trop bas âge. N’attendons pas d’avoir plus de données : on devrait être plus prudents maintenant. »

En entrevue, Mélissa Généreux a des observations sur la place des écrans dans la vie des jeunes et des moins jeunes. Oui, la pandémie a accéléré la migration de nos activités vers le virtuel ; oui, l’exemple des parents compte, eux qui passent aussi beaucoup de temps en ligne ; oui, l’ubiquité des écrans chez les « autres » jeunes met une écrasante pression sur les parents pour qu’ils laissent leurs enfants avoir accès aux écrans…

Mais la spécialiste en santé publique s’interroge particulièrement sur la place des écrans dans les écoles. C’était central dans son propos, lors de nos échanges. Mélissa Généreux cite une « synthèse des connaissances » publiée le 8 février3 dernier par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) et « qui est un peu passée sous silence ».

Cette synthèse décortique les études sur l’effet des écrans sur l’apprentissage chez les moins de 25 ans, en contexte scolaire. La Dre Généreux m’a envoyé quatre constats de la synthèse menée par l’INSPQ qui méritent d’être cités in extenso :

  1. L’utilisation à des fins personnelles des appareils numériques individuels en classe conduit l’étudiant à être en multitâche numérique, une activité qui entraînerait une baisse de l’apprentissage tel que défini par le score obtenu à un questionnaire de mémorisation et de compréhension à la suite d’une présentation académique ;
  2. La présence du cellulaire éteint sur le bureau entraînerait une baisse de performance à des tests évaluant spécifiquement la mémoire de travail, une fonction cognitive centrale à l’apprentissage scolaire ;
  3. La lecture numérique entraînerait une diminution de la compréhension de texte par rapport à la lecture papier ;
  4. La prise de notes numériques n’entraînerait aucun bénéfice à l’apprentissage par rapport à la prise de notes manuscrites.

J’ai lu cette synthèse de l’INSPQ, qui devrait nous donner envie d’appuyer sur « pause » quant à la place des outils numériques en classe. En la lisant, ça m’a fait penser à ces témoignages de profs que je vous présentais, samedi4, des profs du primaire au collégial. Ces profs s’inquiètent de constater que les jeunes qui ont toujours « grandi » dans le virtuel des écrans montrent des signes inquiétants de déficit de capacités d’apprentissage et de compétences relationnelles dans le réel.

Je pose la question : les iPad, les tableaux numériques, le tout-au-virtuel en milieu scolaire, le temps d’écran comme récompense au bon comportement en classe…

Était-ce une bonne idée ?

Est-ce une bonne idée ?

Mélissa Généreux : « Jadis, ça semblait une bonne idée. Mais les données évoluent, la santé mentale des jeunes évolue, il faut se poser la question : est-ce encore une bonne idée ? Dans les pays scandinaves, on revient au bon vieux papier-crayon5. C’est sain de se poser des questions sur les écrans dans nos familles et dans les écoles, qui ont un devoir d’exemplarité. »

1. Lisez l’article du Devoir « Plus de la moitié des jeunes Québécoises vivent anxiété ou dépression » 2. Lisez l’article du Surgeon General des États-Unis « Social Media and Youth Mental Health » (en anglais) 3. Consultez la synthèse de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) 4. Lisez la chronique « Écrans : échos de profs » 5. Lisez l’article du Guardian « Switching off : Sweden says back-to-basics schooling works on paper » (en anglais)