Bernard Drainville, le ministre responsable de la région de Chaudière-Appalaches, a dévoilé un scoop lundi devant un parterre de gens d’affaires de la Rive-Sud de Québec.

Il est « acquis », a-t-il déclaré, que CDPQ Infra, une filiale de la Caisse de dépôt et placement, proposera un « troisième lien » entre les deux rives de la capitale nationale en juin prochain.

Ses propos ne laissaient place à aucune ambiguïté : « L’engagement que nous avons de la Caisse, c’est qu’ils vont déposer un projet de lien interrives. Ça, c’est acquis. Ils vont déposer un projet de lien entre les deux rives. »

C’est tout sauf une certitude.

Ce qui est acquis, par contre, c’est que Bernard Drainville, avec cette nouvelle déclaration, décrédibilise encore plus la tentative de relance du « troisième lien » par la Coalition avenir Québec (CAQ).

Un projet, faut-il le rappeler, qui est branché sur le respirateur artificiel et ne tient plus qu’avec de la broche et quelques ficelles.

Le politicien décrédibilise au passage son parti, dans les bas-fonds des sondages, en plus de jeter des doutes sur l’indépendance de la Caisse.

Mon collègue Yves Boisvert avait bien décrit le style de « politique-jambon » de Drainville dans une chronique en avril dernier1. On ne pourra pas accuser le ministre de renier ses principes : il vient tout juste de rajouter une couche à la jambonnerie.

Un bref rappel des faits s’impose dans ce feuilleton.

À la demande du gouvernement Legault, CDPQ Infra a accepté en novembre dernier d’étudier le dossier de la mobilité dans la grande région de Québec. Son mandat : trouver des solutions de remplacement au projet du tramway et améliorer la fluidité des déplacements, « notamment entre les deux rives ».

Le groupe s’est donné six mois pour mener son analyse. Nous sommes à peu près à mi-parcours de cet exercice.

CDPQ Infra a déjà rencontré environ 90 « parties prenantes », comme des groupes d’élus, des chambres de commerce et des sociétés de transport2. Une cinquantaine d’autres rencontres se tiendront au cours des prochaines semaines.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Les ponts de Québec et Pierre-Laporte, reliant les rives de Québec et de Lévis

En parallèle, CDPQ Infra décortique les dizaines d’études réalisées depuis 1973 au sujet d’un éventuel « troisième lien » entre Québec et Lévis. Ce qui inclut le rapport utilisé par le gouvernement Legault pour justifier l’abandon du projet autoroutier en avril 2023, faute d’un achalandage suffisant3.

C’est seulement au terme de cette analyse que le groupe déposera un plan de mobilité au gouvernement Legault, en juin prochain.

Contrairement à ce qu’a affirmé lundi Bernard Drainville, CDPQ Infra ne s’est jamais engagé à proposer un nouveau lien entre Québec et Lévis.

La lettre de mandat signée en novembre dernier, dont chaque virgule a été scrutée par des dizaines de paires d’yeux, ne l’engage nulle part à suggérer un ouvrage flambant neuf entre Québec et Lévis, qu’il s’agisse d’un tunnel ou d’un pont.

L’engagement le plus ferme, si l’on peut utiliser un tel qualificatif, est de recommander des solutions pour « améliorer la mobilité et la fluidité dans la Communauté métropolitaine de Québec, notamment entre les deux rives ».

Cela laisse place à bien des possibilités. Parmi celles-ci : modifier l’usage d’un des deux ponts existants, pour y faire passer plus de transports en commun, ou bonifier le service de navettes fluviales entre les deux rives.

Un « troisième lien » en bonne et due forme ? Peut-être, mais peut-être pas.

Bernard Drainville a (un peu) tenté de rétropédaler. Il a affirmé sur le réseau social X que ses déclarations n’avaient « rien de nouveau » et que « jamais il n’a été question de dicter quoi que ce soit » à CDPQ Infra.

En réalité, ses propos ont clairement été perçus comme une tentative d’ingérence, voire une commande politique, dans le travail effectué par la Caisse.

Fait non négligeable, c’est la deuxième fois en moins d’un mois qu’un membre du gouvernement Legault s’immisce dans le processus d’analyse mené par CDPQ Infra à Québec.

Fin février, la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, a lancé une grande « consultation publique », à la méthodologie douteuse, pour sonder l’âme des Québécois par rapport aux besoins en mobilité dans la capitale4. Ce sondage bidon devra être intégré à l’analyse de CDPQ Infra.

Cette nouvelle dose de confusion dans le dossier du « troisième lien », gracieuseté de Bernard Drainville, n’apaisera en rien les vents de face qu’affronte la CAQ depuis plusieurs mois.

Ce qui était une promesse phare depuis 2018 est devenu un boulet.

1. Lisez notre chronique « La politique-jambon » 2. Consultez la démarche de CDPQ Infra 3. Lisez « Abandon du troisième lien autoroutier : “Je ne m’excuserai pas” » 4. Lisez notre chronique « Une pomme, une orange et un troisième lien »