Le feuilleton routier le plus chaotique des dernières années vient de prendre une tournure encore plus déroutante.

On ne comparera pas des pommes avec des oranges, ni même avec des bananes, ici. De tous les fruits proposés par la Coalition avenir Québec (CAQ) de François Legault depuis 2018, celui du « troisième lien » entre Québec et Lévis est sans contredit l’un des plus indigestes.

IMAGE TIRÉE DU COMPTE X DE SÉBASTIEN DESROSIERS (@S_DESROSIERS)

François Legault s’est récemment aventuré dans les couloirs de l’Assemblée nationale avec des fruits, pour illustrer qu’il vaut mieux de comparer des comparables dans le projet Northvolt.

Mais le gouvernement Legault persiste à le servir en fines tranches. La « consultation publique » lancée mardi sur le projet, déjà critiquée de toutes parts, pourrait être la bouchée qui causera l’auto-intoxication.

Il importe de refaire le fil des évènements pour comprendre l’étrangeté du dernier rebondissement en lice.

Rappelez-vous : en avril dernier, François Legault a abandonné son projet de tunnel autoroutier, promesse phare de ses campagnes de 2018 et 2022. Les nouvelles études étaient claires : l’achalandage serait insuffisant pour justifier un investissement public d’au moins 10 milliards de dollars1.

Six mois plus tard, coup de volant à 180 degrés. Le premier ministre ressuscite le « troisième lien » après la défaite cuisante de la CAQ à l’élection partielle de Jean-Talon. L’air contrit, il promet de « consulter la population » de Québec sur ce projet, malgré les études qui en niaient l’utilité.

(Une résurrection que ses ministres, même celle des Transports, Geneviève Guilbault, ont apprise en direct, avec stupéfaction.)

Nouveau coup de théâtre, en novembre 2023. Un doublé, celui-là.

Le gouvernement Legault met la hache dans le projet de tramway de la Ville de Québec, jugé trop cher. Puis il demande à CDPQ Infra, une filiale de la Caisse de dépôt, d’analyser la faisabilité d’un vaste réseau structurant dans la capitale, qui inclurait des transports collectifs ET un « troisième lien » vers la Rive-Sud.

Le groupe a eu six mois pour effectuer cet énorme (et controversé) mandat.

On ne refera pas ici tout le débat sur la pertinence de confier ce dossier à CDPQ Infra. Cela reste une décision surprenante, alors tenons-nous-en aux faits.

CDPQ Infra est aujourd’hui rendu à mi-chemin du mandat de six mois qui lui a été accordé par Québec. Une trentaine d’employés du groupe ont rencontré plus de 40 « parties prenantes » dans la capitale – par exemple, les sociétés de transport, des élus et des groupes environnementalistes.

L’institution fonce à vive allure, comme elle l’a fait avec le Réseau express métropolitain (REM) à Montréal.

Les gens de CDPQ Infra ont commencé à faire leurs propres analyses sur des tracés et des modes potentiels, qu’il s’agisse de bus rapides ou de trains légers. La rédaction du rapport commencera dès le mois d’avril, et toutes les recommandations seront livrées à Québec en juin.

À mi-chemin de cet exercice de CDPQ Infra, qu’il a lui-même demandé, le gouvernement Legault a annoncé mardi… une grande « consultation publique sur la mobilité dans les régions de la Capitale-Nationale et de la Chaudière-Appalaches » !

En gros : Québec cherche à savoir si les gens veulent plus de transports en commun, s’ils trouvent les routes congestionnées, s’ils prennent l’autobus, etc.

Plusieurs experts remettent déjà en cause la valeur de cette « consultation » en ligne, au contenu assez ténu, merci. Les partis de l’opposition dénoncent une « façade de consultation », avec des questions « orientées vers les réponses souhaitées »2.

La valeur scientifique de l’exercice semble d’autant plus limitée que n’importe qui peut répondre plusieurs fois au sondage en ligne, comme je l’ai fait à cinq reprises mardi.

« Ça témoigne d’une volonté de consulter, mais on s’y prend mal », m’a fait valoir Fanny Tremblay-Racicot, professeure d’administration municipale et régionale à l’École nationale d’administration publique (ENAP).

Elle parle carrément d’un « déni de science » dans ce dossier.

Québec emploie une bien drôle de méthode pour sonder le pouls de la population, dans la toute dernière ligne droite d’un projet fraîchement ressuscité d’entre les morts.

Mais ce n’est pas tout.

Bien des gens sont tombés de leur chaise à CDPQ Infra, mardi matin. Ils ont appris le lancement de cette consultation… en lisant un article du Soleil !

Eh oui : ils n’avaient pas été informés de ce qui s’en venait. Mais ils devront quand même tenir compte des résultats de la consultation et du sondage en ligne SOM commandé par le gouvernement Legault.

Cela ne fait pas très sérieux.

Les troupes de CDPQ Infra ont déjà entre les mains plus de 600 documents et études déjà en cours d’analyse dans le dossier de la mobilité à Québec.

Le rapport sur la consultation publique s’ajoutera à la pile… mais pas sur le dessus.

On s’en reparle en juin.

Lisez « Abandon du troisième lien autoroutier : “La situation a beaucoup changé”, plaide Legault » Lisez « Troisième lien et tramway à Québec : le gouvernement lance une consultation en ligne »