Selon vous, est-ce que le Québec est :

a) Le meilleur endroit au monde pour investir dans les batteries vertes.

b) Un endroit où des militants effraient les investisseurs, même ceux qui contribueront à la transition énergétique.

Dans le dossier Northvolt, le gouvernement Legault répond plutôt c). Soit : toutes ces réponses. Le meilleur du pire des mondes, ou le contraire, selon votre philosophie en matière de lecture de verre d’eau.

Québec se vante du nouveau palmarès de BloombergNEF. En février, l’agence publiait son palmarès annuel sur les batteries lithium-ion⁠1. Le Canada se classe désormais au sommet, devant la Chine. C’est grâce à l’Ontario, où le projet Stellantis est plus avancé que Northvolt. Mais le Québec contribue aussi à ce positionnement. Outre les incitatifs fiscaux et l’accès aux ressources et au marché nord-américain, on vante entre autres l’empreinte écologique réduite de la chaîne d’approvisionnement.

Vrai, ce palmarès a été réalisé avant l’intensification de la grogne des écologistes contre l’adoption accélérée du projet de Northvolt. Mais malgré l’irritation des caquistes, le projet n’est pas bloqué. C’est plutôt le contraire.

Un investisseur comme Northvolt évite les territoires aux règles imprévisibles. Dans ce cas-ci, tout est archiprévisible. Le tapis rouge a été déroulé. Il y a peu de consultations. Un exemple : pour construire une simple marina de 100 places sur la rivière Richelieu, une étude du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) est requise. Mais il n’y en aura pas pour Northvolt. Et ce, même si c’est le plus gros investissement privé de l’histoire récente du Québec.

C’est surtout cela que dénoncent les groupes écologistes.

Peut-on remblayer des milieux humides où vivent des espèces menacées afin de construire des batteries vertes ?

Si Northvolt était l’exception, le projet se vendrait mieux. Or, dans ce cas-ci, l’exception confirme la règle. La tendance écrasante est à la destruction quasi systématique des milieux humides, sans compensation adéquate. Écrasante comme dans : 98 % des demandes sont autorisées et la majorité ne font l’objet d’aucune inspection.

Voilà pourquoi Northvolt est devenu un symbole. Si des militants s’y attaquent, c’est parce que le gouvernement y tient. Et donc parce que c’est la meilleure façon de le punir pour le saccage ailleurs.

Reste que ce n’est quand même pas une raffinerie que l’on construit. Malgré son ampleur, le projet ne représente qu’une minorité des destructions de milieux humides. Et même si le Québec se lançait dans la sobriété et l’efficacité énergétiques, de telles batteries devraient être construites.

Le ministère de l’Environnement n’était pas en mesure de me donner la superficie totale de ces écosystèmes altérés ou détruits au Québec. Selon mes calculs, de 2017 à 2022, la moyenne annuelle était de 2,5 millions de mètres carrés. Le complexe d’usines de batteries équivaudrait donc à environ 6 % des milieux humides remblayés.

Bien sûr, la superficie ne dit pas tout. Il faut aussi considérer la valeur écologique de ces écosystèmes.

Mais ces chiffres remettent tout de même les choses en perspective.

Dans les dernières semaines, le ministre de l’Économie a été accusé d’être en conflit d’intérêts, notamment parce qu’il a déjeuné avec le patron de Northvolt en février 2023, juste avant le changement réglementaire pour que le projet ne soit pas assujetti au BAPE.

Autre motif de soupçon : un projet immobilier sur une autre portion du terrain a été refusé par la direction régionale du ministère de l’Environnement, notamment à cause de la « haute valeur écologique » de certains milieux humides.

Il n’y a pourtant rien d’illégal ici. Le gouvernement est dans son droit. En vertu d’une analyse politique des avantages et inconvénients, il peut décider que Northvolt mérite d’être construit malgré les avis défavorables de ses biologistes.

Il faut être très naïf pour croire que Québec et Ottawa investiront des milliards dans un projet puis laisseront un avis de fonctionnaire le bloquer. Bien sûr que le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, discute des étapes réglementaires avec la direction de Northvolt. Il gère cet investissement public.

Reste à savoir si ce pari sera financièrement rentable, mais c’est un autre débat.

Le problème est ailleurs. J’en vois trois.

Le premier, c’est le manque de transparence. Il faut se battre pour obtenir des informations sur le projet. Cela alimente la méfiance dont Québec se dit victime.

Le deuxième, c’est le manque de franc-parler. François Legault et M. Fitzgibbon continuent de prétendre que le processus habituel est respecté. Ils auraient pu dire : ce projet est d’une importance économique capitale. Puisque Northvolt avait prévu des livraisons pour 2026, nous allègerons les habituelles étapes environnementales pour éviter que la société s’établisse aux États-Unis. Rappelons qu’un BAPE aurait duré jusqu’à 15 mois, donc jusqu’à la fin de 2025.

Le BAPE ne recommande pas souvent de bloquer un projet. Il a plutôt l’habitude de formuler des recommandations pour en minimiser l’impact. M. Fitzgibbon dit que cet exercice n’était pas nécessaire. Mais son gouvernement ne donne pas l’impression d’être à l’écoute des suggestions des biologistes.

Enfin, le troisième problème, c’est le saccage qui se poursuit sur le reste du territoire. Si les caquistes veulent que Northvolt soit mieux accueilli, il y a une autre condition essentielle : protéger enfin les milieux humides. Sinon, des écologistes continueront de faire de Northvolt un symbole.

C’est d’autant plus important que ce genre de débat risque fort de se répéter avec les éoliennes, les lignes de haute tension et d’autres chantiers pour la transition énergétique. Et que cela plaise ou non à Québec, il pourrait y avoir d’autres symboles.

Consultez le palmarès de BloombergNEF (en anglais)