« Geneviève Guilbault dans le métro. » C’était le titre d’une chronique de mars 2023, quand j’avais accompagné la nouvelle ministre des Transports dans les méandres du réseau de Paris.

Avec une ribambelle de conseillers et de dignitaires, nous avions visité un centre de contrôle ultramoderne, des lignes automatisées, un tramway dernier cri… Tout cela était bien beau et rutilant, mais l’objectif premier de sa mission était beaucoup plus terre à terre.

Geneviève Guilbault souhaitait recueillir des exemples, sur le terrain, pour l’aider à revoir le modèle de financement désuet du transport collectif au Québec1. Pour éviter les déficits récurrents et le psychodrame annuel des négociations sur la place publique.

Les solutions se font encore attendre, un an plus tard.

Je vous expliquerai plus loin à quel point le secteur des transports collectifs québécois est chaotique – une situation antérieure à l’entrée en poste de Geneviève Guilbault. C’est comme une maison des fous, puissance 10, ou encore un serpent qui se mord la queue. Insérez ici la métaphore de votre choix.

Dans l’immédiat, ce sont des questions platement financières qui m’amènent à vous reparler du dossier. Pour faire très court : il manque (encore) d’argent.

La Société de transport de Montréal (STM), la Commission de transport de Toronto (TTC) et TransLink de Vancouver ont tiré la sonnette d’alarme cette semaine en réclamant un meilleur financement fédéral. On ne parle pas ici des sommes requises pour construire de nouveaux réseaux, mais plutôt pour entretenir et remettre à niveau les infrastructures existantes.

De l’argent pour colmater les fissures dans les tunnels du métro, ou encore pour permettre aux centaines d’autobus qui accumulent la poussière dans des garages de prendre la route2.

La base de la base.

Dans leur mémoire publié mardi, les transporteurs réclament qu’Ottawa devance de deux ans, dès 2024, le financement promis dans le nouveau Fonds permanent pour le transport en commun. Ils demandent aussi au fédéral de doubler le Fonds pour le développement des collectivités du Canada.

Geneviève Guilbault appuie ces demandes, on peut bien s’en douter. Toute somme supplémentaire en provenance d’Ottawa réduira d’autant la pression sur Québec pour financer le transport collectif.

Mais ces sommes fédérales, si elles arrivent, ne seront qu’un morceau de l’équation.

Car le plan de match de Québec, attendu depuis des années pour offrir un cadre de financement « pérenne » et « prévisible » aux sociétés de transport comme la STM, n’a toujours pas été déposé.

Le gouvernement Legault a injecté plus de 2 milliards pour compenser les pertes de revenus depuis la pandémie, c’est vrai. Mais pour la suite, le suspense perdure.

En fait, c’est surtout dans la colonne des dépenses que le gros des efforts a porté au cours de la dernière année. La ministre Guilbault a exigé que les sociétés de transport réduisent leur structure de coûts. Ce qui fut fait, entre autres avec l’abolition récente de 230 postes à la STM3.

D’autres compressions pourraient suivre. Québec a commandé des audits pour examiner la performance de tous les transporteurs de la province, dont les résultats seront connus d’ici quelques mois. L’exercice sera sans doute sain à certains égards, mais ce dégraissage ne réglera pas l’enjeu crucial des revenus.

Nous sommes encore loin de l’annonce d’un plan de financement pluriannuel pour le secteur des transports en commun. Plusieurs éléments cruciaux restent à déterminer, entre autres sur la façon de diversifier les sources de revenus.

Nouvelles taxes ? Péages ? Redevances immobilières ? Augmentation des tarifs pour les usagers ? Aucune des mesures évoquées jusqu’ici ne sera bien alléchante pour le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ), qui se trouve ces jours-ci au plus bas dans les sondages.

Voilà pour l’exploitation des réseaux existants.

La planification et la gestion des nouveaux projets, comme les tramways envisagés à Québec ou dans l’est de Montréal, devront aussi être revues. C’est un joyeux bordel, comme je vous le mentionnais plus haut.

Prenez une grande respiration, j’essaie de vous synthétiser l’affaire.

À Montréal, on retrouve l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM), qui gère le financement et la planification, et plusieurs transporteurs comme la STM et exo, qui exploitent les bus et métros. Il y a en parallèle CDPQ Infra, la filiale de la Caisse de dépôt derrière le Réseau express métropolitain (REM). Tout ce beau monde essaie tant bien que mal de se coordonner.

CDPQ Infra est aussi présente à Québec, où elle s’est vu confier la responsabilité de relancer le projet du tramway, tout en trouvant une solution pour ressusciter le « troisième lien ». Le fruit de son travail sera éventuellement transmis à une future agence des transports, qui sera indépendante du Ministère. Agence qui reproduira à peu de choses près ce que fait déjà CDPQ Infra.

Suivez-vous toujours ?

Vous l’aurez compris, il reste une tonne et quart de travail à accomplir pour régler le financement ET la gouvernance du transport collectif. Cela impliquera aussi le dépôt de projets de loi et la collaboration du Conseil du trésor, qui tient les cordons de la bourse du gouvernement.

Tout le monde espère que ça marche, mais je pourrais résumer la chose ainsi : ouf.

1. Lisez la chronique « La Presse à Paris : Geneviève Guilbault dans le métro » 2. Lisez « Environ 1700 autobus dorment dans des garages » 3. Lisez « Le couperet tombe à la STM, 230 postes supprimés »