On les croise sans trop les voir, un peu partout dans les villes et villages du Québec.

Ils sont gris, bruns, bétonnés. Parfois placardés, souvent délabrés.

Plusieurs complexes d’habitations à loyer modique (HLM) de la province ont bien mauvaise mine. Environ 4000 appartements sont vacants, sur un total de 74 000, ce qui est dur à avaler pour les milliers de familles démunies en attente d’un logement1.

La situation est connue, elle est dénoncée de toutes parts, et il y aura bientôt du mouvement sur ce front. Québec et Ottawa injecteront des sommes « historiques » de 3 milliards pour rénover les HLM d’ici quatre ans, dont 735 millions de dollars seulement cette année.

Ces investissements changeront des vies. On a vu des HLM glauques devenir des milieux de vie assez inspirants après des travaux majeurs, comme dans le quartier Saint-Michel, à Montréal.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Le HLM St-Michel Nord a été remis à neuf en 2021.

Mais la pénurie restera criante, malgré les milliards investis en rénos.

Une idée, que je trouve excellente, a commencé à émerger : pourquoi ne pas utiliser ces travaux majeurs comme prétexte pour densifier des complexes de HLM ?

Autrement dit : pourquoi ne pas ajouter des logements, partout où les terrains permettraient d’intégrer de nouvelles constructions ?

Voilà une occasion en or d’agir vite, et différemment, pour refléter l’urgence absolue de la crise actuelle.

La Société d’habitation du Québec (SHQ) est bien ouverte à ce scénario, ai-je appris.

Il y a eu beaucoup de brouhaha dans le dossier de l’habitation depuis deux ans au Québec. Avec raison : les mises en chantier reculent, le taux d’inoccupation est au plancher, et de façon générale, les investissements publics apparaissent insuffisants par rapport à l’ampleur des besoins.

Les réponses offertes à la crise par le gouvernement Legault ont souvent été mal reçues. La disparition d’AccèsLogis, remplacé par le Programme d’habitation abordable du Québec (PHAQ), a par exemple causé tout un tollé dans le milieu du logement communautaire.

La création du PHAQ vise à « faire sortir de terre » plus vite, et à meilleur coût, les projets de logements. Il faut « penser en dehors de la boîte », répète la ministre de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, et multiplier les modèles de montage financier.

J’abhorre cette expression surutilisée, mais il faut admettre que la SHQ, qui relève de la ministre Duranceau, s’est lancée dans plusieurs avenues inexplorées au cours des derniers mois.

Par exemple : un programme de 1000 logements sociaux pour aînés, chapeauté par l’OBNL de l’homme d’affaires Luc Maurice1. Ou encore un projet-pilote de 500 appartements abordables fabriqués en usine, qui pourrait être étendu à large échelle2.

Bref, Québec essaie de nouvelles affaires, ce qui me ramène à la densification des HLM.

Cette idée a été proposée à la mi-février par deux organismes communautaires : la Fédération des locataires de HLM du Québec (FLHLMQ) et le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU).

Leurs arguments dans ce dossier, je dois le dire, sont convaincants.

Parmi les freins actuels à la construction de logements sociaux, il y a bien sûr le manque de fonds publics. Mais aussi : la rareté et le prix des terrains, ainsi que la complexité des montages financiers qui doivent être faits pour obtenir des fonds gouvernementaux.

C’est difficile d’aligner toutes les bonnes conditions, au bon moment.

La FLHLMQ a utilisé l’exemple des Habitations Boyce-Viau, un complexe de 204 logements sociaux du quartier Hochelaga-Maisonneuve soumis à des travaux majeurs, pour illustrer à quoi pourrait ressembler une densification du site. Dans ce cas, il pourrait être envisagé d’ajouter un quatrième étage par-dessus les bâtiments existants, si la structure le permet.

« On pourrait facilement ajouter 70 logements sur le site. Le terrain est déjà public, les règles d’urbanisme permettent 4 étages et il n’y aura pas de “pas dans ma cour” », a fait valoir Patricia Viannay, de la FLHLMQ, à la mi-février.

Cette idée se défend bien, je le répète. Et sans commenter ce dossier précis, Claude Foster, le grand patron de la SHQ, est du même avis.

Le « nerf de la guerre », pour mener à bien de tels projets de densification, est le terrain, m’a-t-il fait valoir. Certains s’y prêtent d’emblée, alors que d’autres, aucunement.

Un projet de densification a été inauguré en 2022 à Drummondville, où 48 logements sociaux ont été construits sur le terrain d’un HLM de 36 appartements. Un autre dossier de cette nature vient d’être approuvé dans le quartier Charlesbourg, à Québec.

À préciser : les sommes pour les constructions neuves ne proviennent pas des enveloppes destinées à la rénovation des HLM, qui font l’objet d’une série d’ententes complexes entre Québec et Ottawa.

Mais selon Claude Foster, la SHQ pourrait se montrer « créative » et « imaginative » pour autoriser des projets de constructions neuves sur les sites de HLM existants. Ces projets, qui devront être soumis par les offices municipaux d’habitation, pourraient être financés par le PHAQ.

À Montréal, l’Office municipal mène en ce moment une analyse préliminaire de l’ensemble des HLM pour évaluer quels sites pourraient se prêter à une éventuelle densification dans les prochaines années, m’a-t-on confirmé.

Il y aura une myriade de facteurs à considérer avant de voir une vague de densification dans les HLM. Les projets immobiliers sont toujours complexes, et sans doute encore davantage en logement communautaire.

Mais il faut aussi tenir compte du contexte exceptionnel que nous vivons en ce moment.

La crise du logement est aiguë et elle ira en empirant. Les investissements énormes dans la rénovation des HLM s’étaleront sur les quatre prochaines années, en vertu de l’entente Québec-Ottawa. Après ? On ne sait pas.

Le temps presse, en somme, et une planification serrée sera de mise. Tous les acteurs impliqués dans la gestion des HLM (et ils sont nombreux) auraient intérêt à se coordonner pour ne pas rater cette occasion.

1. Lisez l’article « Crise du logement : moins de HLM laissés vacants au Québec » 2. Lisez la chronique « 1000 logements, 10 immeubles, un seul modèle » 3. Lisez la chronique « Crise du logement : Québec misera (très) gros sur le “préfab” »