Inspiré par les maisons préassemblées d’IKEA et par la vitesse des chantiers chinois, Québec s’apprête à miser à large échelle sur la préfabrication en usine. L’objectif : accélérer la cadence pour combler une fraction du déficit de 860 000 logements prévu d’ici 2030.

La Société d’habitation du Québec (SHQ) lancera sous peu un appel de propositions en vue de faire construire 500 logements modulaires en usine, nouvelle étape d’un virage dans sa manière de s’attaquer à la crise du logement.

On ne parle pas ici de maisons unifamiliales, mais d’immeubles de 12, 24, voire 52 logements. Ils seront conçus sous forme de modules préfabriqués, cuisine et salles de bains incluses, et assemblés directement sur le site, à la manière de gros blocs Lego.

Une dizaine d’usines québécoises sont déjà en train de se préparer à ce changement de cap.

C’est l’un des éléments que m’a révélés Claude Foster, président-directeur général de la SHQ, pendant sa première grande entrevue depuis son entrée en poste, il y a deux ans.

« Avec les besoins qu’on voit en ce moment, avec l’immigration, avec la pénurie de main-d’œuvre, on doit faire autrement, m’a dit Claude Foster. On n’a pas le choix. Si on veut être capables d’y arriver, il faut faire les choses avec une vision qui n’est pas celle d’il y a 20 ans, ou même 10 ans. »

La SHQ a commencé à se faire les dents en 2023 dans la construction modulaire avec quelques projets-pilotes, dans l’est du Québec et en Jamésie. Une vingtaine de logements ont été livrés.

Mais c’est à Jonquière, d’ici quelques mois, que le vrai test aura lieu. La SHQ finalise un appel de propositions pour faire construire un immeuble de 52 logements abordables, entièrement préfabriqué en usine, bloc par bloc. Il viendra remplacer un HLM ravagé par un incendie en 2022.

PHOTO ROCKET LAVOIE, ARCHIVES LE QUOTIDIEN

Un projet modulaire remplacera la coopérative d’habitation Saint-Dominique, à Jonquière, un ancien pensionnat converti en immeuble résidentiel détruit par un incendie en juin 2022.

« On veut voir combien de temps on va sauver par rapport à la réalisation traditionnelle », m’explique Claude Foster.

D’ici le début de l’été, la SHQ passera à la vitesse supérieure. Elle lancera un appel de propositions pour faire construire 500 logements modulaires cette fois, répartis un peu partout sur le territoire, dans des immeubles allant jusqu’à quatre étages.

Claude Foster estime que cette méthode permettra de faire des gains d’au moins 30 % sur les échéanciers habituels. Les économies en dollars seront plus significatives dans les régions plus éloignées, où la main-d’œuvre est rare et le transport des matériaux, plus cher.

Sans s’avancer sur le coût estimé des futurs logements, Claude Foster me dit que le choix de la fabrication en usine, dans un récent projet-pilote de Chapais-Chibougamau, en Jamésie, a permis de réduire la facture d’environ 50 % par rapport à un chantier traditionnel.

Ce qui m’apparaît judicieux avec ce projet, c’est que la SHQ a sollicité le marché dès novembre 2022 pour inciter des entreprises à lui soumettre des modèles de maquettes numériques, en vue de préparer le terrain. Les fabricants ne seront pas pris de court.

La SHQ a voulu « saisir leurs enjeux » avant d’ouvrir les appels de propositions. Les choses ont été faites dans l’ordre, ce qui n’est pas toujours une évidence dans l’appareil gouvernemental.

Une dizaine de groupes ont l’intérêt – et la capacité – de se lancer dans la construction d’immeubles multilogements préfabriqués, note Claude Foster. « On va visiter leurs usines, on échange avec eux sur tout ce qui devient un bloquant quand il y a un appel de propositions. »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Claude Foster, PDG de la Société d’habitation du Québec

On a vraiment travaillé avec ces gens-là pour ne pas se ramasser avec zéro soumissionnaire. On n’a plus de temps à perdre.

Claude Foster, PDG de la SHQ

Est-ce qu’une seule entreprise pourrait rafler la mise pour 500 unités ? Y aura-t-il des consortiums ? « Tout est en train de mijoter présentement », me dit le PDG.

L’idée centrale est d’arriver à une forme de standardisation au sein de l’industrie québécoise, qui comprend déjà plusieurs fabricants de bâtiments « usinés », comme RCM, Laprise et Bonneville, et une vaste gamme de sous-traitants. Québec mise sur une plus grande automatisation pour augmenter le degré de productivité des usines et réduire la pression sur la main-d’œuvre.

  • Quelques projets d’immeubles de logements ont été construits récemment au Québec, dont cet immeuble de 19 studios, dans l’est de Montréal, destiné aux personnes en situation d’itinérance.

    PHOTO FOURNIE PAR LA FIRME L. MCCOMBER – ARCHITECTURE VIVANTE

    Quelques projets d’immeubles de logements ont été construits récemment au Québec, dont cet immeuble de 19 studios, dans l’est de Montréal, destiné aux personnes en situation d’itinérance.

  • Le bâtiment a été réalisé en 18 mois de A à Z, et financé en majeure partie par le gouvernement fédéral. L’immeuble est aujourd’hui entièrement occupé.

    PHOTO FOURNIE PAR LA FIRME L. MCCOMBER – ARCHITECTURE VIVANTE

    Le bâtiment a été réalisé en 18 mois de A à Z, et financé en majeure partie par le gouvernement fédéral. L’immeuble est aujourd’hui entièrement occupé.

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Selon les plans de la SHQ, il pourrait y avoir des modèles standards de studios, d’appartements de une, deux ou trois chambres, construits bien au chaud, dans les usines, par des travailleurs et des robots. Les modules seraient ensuite agencés dans une myriade de configurations différentes.

L’objectif est de créer des immeubles adaptés en fonction des quartiers et des villes, et non pas tous identiques, à la sauce soviétique.

Une délégation de fabricants québécois et des fonctionnaires de la SHQ sont allés voir des exemples de telles constructions dans la dernière année, entre autres en Belgique et en Scandinavie. Claude Foster cite aussi en exemple le groupe suédois IKEA, qui vend des « kits » de maisons et d’immeubles de logements préfabriqués, et il s’émerveille de la rapidité d’exécution des chantiers chinois.

Mais il insiste sur le fait que toutes les futures constructions québécoises devront répondre aux plus hautes normes d’efficacité énergétique et de qualité architecturale. « On ne veut pas que ce soit un fast food. »

Cette idée de standardiser les modèles de logements ressemble au « catalogue » de plans que veut offrir la Société canadienne d’hypothèques et de logement1. Claude Foster assure ne pas vouloir « dédoubler » le travail fait par l’agence fédérale, mais plutôt travailler en collaboration avec elle. Un gros pari.

Ces nouveaux logements seront d’ailleurs financés, à tout le moins en partie, grâce à une entente sur le logement abordable signée l’automne dernier entre Québec et Ottawa. Le fédéral a accordé 900 millions à la province, qui a doublé la mise pour un total de 1,8 milliard.

Le projet modulaire de la SHQ ne réglera qu’une minuscule portion du déficit de logements dans la province, on s’entend. Mais les plans me semblent bien ficelés jusqu’ici, et le potentiel d’accélération des chantiers, considérable.

Un rare fragment d’espoir dans l’actuelle crise du logement.

1. Lisez la chronique « Du “préfab” pour affronter la crise ? Oui, oui et oui »

En six à huit mois

IMAGE TIRÉE DU SITE WEB DE RCM

Les 128 modules de cet immeuble situé près de Boston ont été fabriqués en 13 semaines dans l’usine de RCM.

Plusieurs fabricants québécois sont déjà bien actifs dans la construction modulaire, comme le groupe RCM de Saint-Benoît-Labre, en Beauce. L’entreprise fabrique des hôtels, des résidences pour personnes âgées, des écoles et des immeubles de logements… lesquels sont surtout vendus aux États-Unis. En sortant de l’usine, les modules atteignent déjà un niveau de finition très avancé, incluant les cuisines, les salles de bains, le plâtre, la peinture, la tapisserie… Les « blocs » sont ensuite assemblés sur le site du chantier, et toute la tuyauterie (plomberie, chauffage, électricité) est connectée sur place, en passant par les couloirs. Pour un immeuble de 50 logements dont les plans sont déjà faits, la durée totale du projet est de six à huit mois, m’a expliqué Cédric Bolduc-Cliche, vice-président aux finances. La standardisation des plans et devis, en opposition à des plans différents pour chaque immeuble, fera foi de tout si le Québec veut épargner temps et argent, selon lui.