Même si la Cour supérieure a refusé l’injonction interlocutoire pour suspendre les travaux de l’usine à batterie de Northvolt, le dossier n’a pas été réglé sur le fond. Les écologistes n’ont pas fini de contester les autorisations environnementales.

À Québec, on roule des yeux et on se gratte le crâne. C’est contre cela que les écologistes se battent ? Contre un projet de batteries vertes pour électrifier les transports tout en créant de la richesse ?

À première vue, cette bataille peut étonner. Ce n’est pas la menace numéro 1 contre la nature. On ne rase pas des arbres pour construire un centre commercial. Au contraire, Northvolt pourrait participer à la transition énergétique.

Mais pour comprendre le dossier, il faut prendre du recul. Quand le panorama s’élargit, la scène ressemble à ceci : un boomerang qui revient frapper le gouvernement derrière la tête.

Si le projet de Northvolt est critiqué, c’est parce qu’il perpétue une riche tradition, celle du saccage des milieux humides. Depuis des décennies, les gouvernements promettent d’y mettre fin. Et pourtant, leur destruction s’accélère.

Pour Northvolt, on propose de compenser la perte de ces écosystèmes par la création ou la restauration de milieux équivalents et par un dédommagement financier.

Ce mécanisme serait raisonnable s’il fonctionnait. Or, ce n’est pas le cas. Il est devenu une véritable farce. Et il est là, le problème.

Si les forêts sont les poumons de la planète, les milieux humides en sont les reins. On estime que depuis la colonisation européenne, de 40 à 80 % des milieux humides des basses terres du Saint-Laurent ont disparu⁠1.

En 2017, le gouvernement libéral a réformé la Loi sur la qualité de l’environnement. Pour les milieux humides, il promettait « zéro perte nette ». Mais presque rien n’a changé.

Pas moins de 98 % des demandes de remblayage sont autorisées. La vérification est déficiente – dans 70 % des cas, on ne vérifie pas si un autre lieu de construction était disponible.

Le suivi est aussi inadéquat. La majorité des chantiers ne sont pas visités par des inspecteurs et les délinquants ne perdent pas leur permis.

La compensation ne fonctionne pas non plus. Les promoteurs peuvent créer ou protéger un milieu d’égale valeur ou verser une pénalité. Ils préfèrent payer. L’argent doit financer la restauration de milieux humides. Or, à peine 3 % de la cagnotte est utilisée.

Le ministère de l’Environnement n’a pas non plus protégé les milieux « d’intérêt » reconnus par ses fonctionnaires. Au contraire, il a augmenté le nombre des dérogations et réduit les pénalités financières dans certaines régions.

Ce n’est pas tout. Le registre public en ligne des projets, qui avait été promis en 2017, n’a pas été implanté. Cette mesure de transparence était pourtant un compromis offert aux écologistes pour les rallier à cette réforme.

Pour l’instant, le « zéro perte nette » ressemble plutôt à du « zéro protection ».

Le Centre québécois du droit de l’environnement ainsi que les groupes écologistes qui l’appuient ne demandent pas officiellement l’abandon du projet. Ils réclament plutôt un examen du BAPE.

Or, l’année dernière, le gouvernement a modifié les critères. Pour être assujetti au BAPE, un projet de cathodes doit désormais dépasser 60 000 tonnes. Avant, c’était 50 000 tonnes. Surprise, celui de Northvolt est estimé à 56 000 tonnes…

Un seul examen du BAPE se fera donc. Il portera sur la troisième phase du projet. Celle du recyclage, la moins controversée, qui commencera vers 2028 après la fabrication des cellules et des cathodes.

Le gouvernement est pressé. Le premier certificat d’autorisation environnementale a été délivré au début janvier. Le processus a pris moins de trois mois. Habituellement, il dure plus d’un an.

Le ministre de l’Environnement disait publiquement souhaiter une approbation rapide alors que les fonctionnaires menaient leur évaluation indépendante.

Ce processus laisse songeur. En mars dernier, le ministère de l’Environnement avait refusé un projet résidentiel sur ce terrain à cause de l’impact sur la flore et la faune – 21 espèces menacées ou vulnérables s’y trouvent. Or, quelques mois plus tard, un projet deux fois plus gros est soumis et il est accepté.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Les travaux d’abattage pourront reprendre sur le terrain de Northvolt, la demande en injonction interlocutoire provisoire ayant été rejetée vendredi.

Il est normal que Québec et Ottawa veuillent que le projet se fasse. Après tout, ils y ont injecté ensemble 7,3 milliards de dollars !

Du point de vue de Northvolt, ce terrain était la seule option. Il fallait être près de zones habitées, pour les travailleurs. Et près aussi de lignes de transport électrique. Si vous connaissez un autre site répondant à ces critères, appelez-les d’urgence.

Même si la priorité est l’efficacité et la sobriété énergétiques, il y aura toujours des voitures, et malgré leurs inconvénients, les modèles électriques sont préférables à ceux à essence.

D’un point de vue strictement québécois, un citoyen peut souhaiter que ces mines et ces usines se situent à l’étranger. Nos paysages ne seraient pas défigurés par les mines et les lacs. Mais cela équivaut à sous-traiter la pollution pour s’acheter une bonne conscience.

Pour la planète, il est préférable que cette production se fasse avec de l’énergie assez propre, et selon le procédé le moins polluant possible, à proximité des chaînes d’approvisionnement. Et avec des travailleurs traités dignement.

Voilà le pari que font les gouvernements Legault et Trudeau, en espérant en même temps s’enrichir – le temps dira si les importantes subventions auront été rentables.

Ils promettent ce pacte : construire Northvolt et protéger ou créer d’autres milieux humides en contrepartie, et protéger les habitats des espèces vulnérables ou menacées.

Avec les projecteurs braqués sur elle, Northvolt risque d’honorer ses engagements – qui n’ont toutefois pas encore été précisés.

Reste que la confiance, nos gouvernements ont tout fait pour la trahir. Pour la mériter à nouveau, ils doivent instaurer rapidement une politique sévère et sans échappatoire pour préserver ces écosystèmes.

En attendant, ils ne peuvent s’en prendre qu’à une seule personne pour ce boomerang qui menace encore le projet Northvolt : eux-mêmes.

1. Consultez le rapport de la Vérificatrice générale

Le Parti québécois, l’immigration et le logement

Contrairement à ce que j’écrivais vendredi, le Parti québécois a bel et bien affirmé que l’immigration était la « première cause de la hausse du prix des maisons et des loyers ». Cette affirmation était accompagnée d’une référence à une analyse de l’économiste Pierre Fortin, selon qui « le problème actuel du logement découle surtout d’une demande débridée et non pas d’une offre réprimée », et qui soutenait que ce verdict « fait l’unanimité des analystes du marché du logement au Québec et au Canada ». J’aurais dû écrire qu’aucun parti n’avance que l’immigration est la seule cause de la crise du logement, et non qu’aucun parti ne la qualifie de cause principale.

Lisez la chronique « Ces politiciens contre la politique »