Il ne pousse pas que des bungalows et des centres commerciaux à Laval, mais aussi des cultures dans les sols parmi les plus fertiles du Québec. Alors que notre garde-manger est sous pression de l’urbanisation, le maire Stéphane Boyer souhaite augmenter la superficie des terres cultivées à Laval et même agrandir le territoire agricole protégé sur l’île.

Ce qu’il faut savoir

Québec mène actuellement une consultation nationale afin de moderniser la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles qui s’arrêtera ce mardi à Laval.

Le maire de Laval demande au gouvernement d’appuyer la Ville dans sa volonté de valoriser l’utilisation de son territoire agricole, « incluant la possibilité d’agrandir sa zone permanente agricole ».

Stéphane Boyer veut accélérer le remembrement des terres agricoles sur son territoire.

C’est ce qu’il viendra défendre, ce mardi, dans le cadre de la consultation nationale visant à moderniser la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles, adoptée il y a 45 ans.

« Beaucoup de municipalités, souvent, souhaitent plus dézoner, enlever des parties de la zone agricole, mais dans notre cas, moi, je pense qu’il y a des façons de développer autrement. De plus en plus, on va voir la densification des villes », a expliqué M. Boyer en entrevue avec La Presse.

La zone agricole protégée de Laval est de 7123 hectares, soit 28,9 % de son territoire. « On souhaite faire rayonner notre secteur agricole, c’est souvent une dimension qui est peu connue de Laval », a-t-il ajouté.

Pour y parvenir, le maire Boyer souhaite notamment la remise en culture de milliers de petits lots qui appartiennent à des particuliers en zone agricole, mais qui ne les exploitent pas.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Stéphane Boyer, maire de Laval

Avant l’adoption de la loi qui est venue protéger le territoire agricole à Laval, il y a beaucoup de grandes terres agricoles qui avaient été achetées par des investisseurs immobiliers ou des spéculateurs qui les ont scindées en centaines ou milliers de lots pour faire des maisons unifamiliales.

Stéphane Boyer, maire de Laval

Ces terrains ont ensuite été revendus à la pièce à des milliers de personnes « pour des peanuts ».

« Ce sont des gens qui, à l’époque, ont voulu spéculer, ont voulu s’acheter un terrain comme forme d’investissement en se disant : un jour, ça va être développé. »

« Une terre comme un gruyère »

Il existe à Laval 21 sites qui ont été subdivisés en 6097 lots. Depuis 2019, la Ville est parvenue à en acheter 2328 dans le cadre d’une vaste stratégie de remembrement du territoire agricole. Un travail de moine.

Laval demande maintenant l’appui de Québec pour accélérer ce processus.

« Concrètement, ça pourrait venir avec, par exemple, un droit d’expropriation pour remembrement agricole », suggère le maire Boyer.

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Image aérienne d’une zone agricole située en face du boulevard des Mille-Îles, à Laval. Au centre de l’image, un site où 1538 lots ont été subdivisés – 484 lots ont été achetés par la Ville de Laval depuis 2019.

Il explique que Laval a envoyé une lettre aux milliers de propriétaires de tous ces lots. Dans bien des cas, les propriétaires étaient les héritiers des premiers acheteurs. Certains ont été retrouvés à New York ou en Europe. La Ville a même retrouvé des propriétaires de cinquième succession.

Certains ne savaient même pas c’était où, Laval ! Donc, c’est vraiment une drôle de situation où on a laissé des terres agricoles prendre la poussière au fil du temps, puis on n’a jamais fait le ménage nécessaire pour les remettre en culture.

Stéphane Boyer, maire de Laval

Une fois les terres acquises, la Ville de Laval souhaite les louer ou les revendre à des agriculteurs établis et de la relève.

« On ne peut pas céder une terre qui est comme un gruyère avec plein de terrains qui ne nous appartiennent pas. Donc, c’est ça qui fait que c’est difficile, c’est qu’on ne peut pas les remettre en culture tant et aussi longtemps qu’on n’est pas 100 % propriétaires. »

Consultation nationale

Adoptée en 1978, la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles est l’héritage du plus célèbre ministre québécois de l’Agriculture, Jean Garon. Elle visait à mettre un frein à l’étalement urbain et à protéger les bonnes terres agricoles de la spéculation immobilière.

Elle a ainsi délimité des « zones vertes » où il est interdit de construire des commerces ou des résidences autres que celles des agriculteurs qui exploitent la terre.

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« Avec 30 % de territoire agricole, c’est facile de manger local », peut-on lire sur cette pancarte installée le long du boulevard des Mille-Îles, à Laval.

Fin juin, le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, André Lamontagne, a annoncé la mise en place d’une consultation d’une durée de près d’un an en vue de moderniser cette loi.

La superficie « verte » du Québec est évaluée à quelque 6,3 millions d’hectares. Cela représente environ 5 % du territoire de la province, même si, dans les faits, en excluant les boisés, les forêts, les friches et les milieux humides, c’est plutôt environ 2 % du territoire qui serait exploité à des fins agricoles.

Agrandir le territoire agricole permanent

Même si la zone agricole protégée de Laval est de 7123 hectares, dans les faits, seulement 3323 hectares étaient en culture en 2022. Environ 2500 hectares sont des milieux humides ou des forêts, tandis que 1300 hectares étaient en friche.

Mais il y a aussi des terres qui sont cultivées dans ce que l’on appelle la « zone blanche », soit des terrains zonés résidentiels, industriels ou commerciaux.

« Dix pour cent de nos zones en culture ne sont pas protégées en ce moment », résume Stéphane Boyer.

Le maire de Laval aimerait éventuellement obtenir des « outils juridiques » pour « pouvoir protéger ce qui est déjà en culture, mais qui n’a pas de garantie de survie ».

Il aimerait donc un agrandissement de la zone verte, une prise de position rarement entendue.

Concrètement, à Laval, 209 hectares cultivés à l’extérieur de la zone agricole appartiendraient majoritairement à des promoteurs et investisseurs.

À cela s’ajoutent 130 hectares possédés par des agriculteurs, qui ne sont pas officiellement zonés agricoles, mais qui jouissent d’un statut particulier appelé « zone agricole provisoire » ou « inclusion ».

« À l’avant-garde »

Ce bassin de terres est encadré par une entente entre la Ville de Laval et le syndicat local de l’Union des producteurs agricoles (UPA) conclue en 1988. Cette entente prévoit que la Ville ne s’adressera pas au gouvernement ou aux tribunaux pour dézoner des terres en zone verte protégée. En contrepartie, l’UPA Laval ne s’opposera pas systématiquement à une démarche de la Ville de Laval qui souhaiterait retirer une terre de la « zone agricole provisoire » pour son développement.

En entrevue avec La Presse, Gilles Lacroix, président de l’UPA Laval, a estimé que revoir cette entente risquait de « semer la pagaille » et ne constituait pas une véritable priorité pour les agriculteurs.

Ça fait 35 ans que c’est comme ça. Moi, j’aime ça, la tranquillité et la paix, et je ne veux pas recommencer à me battre là, on a bien plus de temps à mettre à essayer de diminuer les [terres en] friche parce que les friches ont augmenté en 2022.

Gilles Lacroix, président de l’UPA Laval

« Je vous dirais que [le maire Stéphane Boyer] est à l’avant-garde », a pour sa part ajouté Danielle Pilette, professeure associée de gestion municipale à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM.

« C’est sûr qu’il y a beaucoup, beaucoup de municipalités et probablement qu’elles sont majoritaires, qui ne voient qu’un développement traditionnel. La croissance pour la croissance. »