La ministre récolte des idées pour diversifier le financement du transport collectif, comme une redevance sur la masse salariale des entreprises.

Elle a commencé son mandat dans le tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine, elle pilote le controversé projet autoroutier de « troisième lien » entre Québec et Lévis, mais c’est beaucoup dans le métro qu’on la retrouve ces jours-ci.

Dans les métros, plutôt.

Geneviève Guilbault mène en ce moment une mission en Europe, centrée sur les transports en commun. Sur leur financement et leur gouvernance, deux sujets arides, mais criants d’actualité.

J’ai passé une journée avec elle à Paris, ponctuée de visites de lignes automatisées, de postes de commandement dernier cri, et de discussions très concrètes avec des dirigeants de l’industrie française des transports.

PHOTO FOURNIE PAR LA RATP

Geneviève Guilbault, dans le poste de commandement de la ligne 14 du métro parisien. À gauche sur la photo, Frédéric Vincent, responsable de la ligne 14 de la RATP.

Un exercice de terrain « sain », croit la ministre des Transports et de la Mobilité durable, qui se déplace avec une équipe minimaliste de deux conseillers.

« Je ne suis pas du genre à voyager pour voyager : il s’agit d’aller dans des endroits où ça semble bien fonctionner, et voir comment on peut s’en inspirer », m’a-t-elle résumé vendredi soir dans un restaurant anonyme du 16arrondissement, au terme d’une longue journée de rencontres.

Et l’inspiration, si elle lui vient, ne sera pas un luxe.

Toutes les idées sont les bienvenues pour tenter de redresser la situation du transport collectif au Québec.

Le temps presse.

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Au moment où Geneviève Guilbault s’envolait vers Paris, mercredi dernier, l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) annonçait un plan musclé pour revoir l’organisation du réseau montréalais. L’objectif : trouver des moyens d’éponger une partie de son manque à gagner annuel de 500 millions de dollars⁠1 d’ici à l’automne prochain. Autant dire demain matin.

Geneviève Guilbault appuie totalement cet exercice.

On doit tous faire un examen de conscience, trouver des façons d’être plus efficaces, en particulier les sociétés de transport, parce que ce sont elles qui gèrent l’offre, et qui gèrent surtout les masses salariales et les dépenses d’exploitation.

Geneviève Guilbault, ministre des Transports et de la Mobilité durable

Elle salue le bout de chemin déjà fait par la Société de transport de Montréal. La STM vient d’abolir trois directions exécutives, des compressions de 18 millions de dollars qui représentent une fraction de son déficit de 78 millions pour l’année en cours.

« J’ai de la misère à croire que toutes les sociétés de transport au Québec en ce moment ne peuvent pas économiser un seul dollar sur rien, lance-t-elle. Mais c’est sûr que ça demande des efforts. »

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Il y a les dépenses, mais il y a aussi, et surtout, les revenus.

Geneviève Guilbault convient que la crise actuelle ne pourra être réglée en passant une tronçonneuse sans discernement dans les budgets. Il faut maintenir une offre de service alléchante et continuer à développer les réseaux, malgré la baisse d’achalandage causée par le télétravail.

Les difficultés sont les mêmes en Europe comme à Montréal, à des échelles différentes. Geneviève Guilbault en a discuté avec de hauts dirigeants de la Régie autonome des transports parisiens (RATP), qui exploite ici les bus et les métros, pendant un long déjeuner auquel j’ai assisté plus tôt en journée.

Il n’y a pas de recette magique, ont convenu tous les convives attablés au Train bleu, à la gare de Lyon, un restaurant centenaire orné de dorures et bondé de touristes.

Ce qu’il faut faire à tout prix, c’est diversifier les sources de financement. Et c’est là que cette mission en Europe génère déjà des pistes de réflexion intéressantes, souligne Geneviève Guilbault.

Dans la région parisienne, les entreprises de plus de 10 salariés paient une bonne partie de la note. Elles financent bon an, mal an la moitié de toutes les dépenses d’Île-de-France Mobilités (IDFM) – l’équivalent parisien de l’ARTM – par l’entremise d’un « versement mobilité » basé sur leur masse salariale.

Des milliards d’euros, réinvestis dans le fonctionnement et l’expansion du réseau parisien, de loin l’un des meilleurs au monde.

Geneviève Guilbault a pu constater, pendant notre visite, la quantité impressionnante de chantiers qui ont cours dans le métro, à un an et des poussières de la tenue des Jeux olympiques de Paris de 2024. Toute cette expansion se paie – et fera aussi gonfler à terme les coûts d’exploitation.

L’idée d’un « versement mobilité » l’inspire visiblement. Même si cela ressemble drôlement à une taxe – mot tabou pour son gouvernement.

« Ça dépend comment tu l’amènes, mais moi, je dis que c’est une contribution constructive [de la part des entreprises], avance-t-elle. J’ai trouvé ça intéressant. Et ce n’est pas un petit pourcentage : c’est la moitié. »

Un autre vecteur de nouveaux revenus à envisager ? Profiter davantage du développement immobilier autour des futures stations de métro et même des garages de bus. « Ça mériterait d’être regardé », dit-elle.

La RATP parvient à générer quelques recettes supplémentaires grâce à cette stratégie, entre autres en construisant des logements (sociaux, privés, étudiants) au-dessus de ses nouveaux dépôts. J’ai visité un projet inédit, dont je vous parlerai sous peu.

PHOTO FOURNIE PAR LA RATP

Geneviève Guilbault assiste à une présentation sur l’automatisation graduelle du métro de Paris. À ses côtés, Michèle Boisvert, déléguée générale du Québec à Paris.

Geneviève Guilbault se montre plus réfractaire à un autre moyen utilisé par IDFM pour équilibrer son budget : la hausse des tarifs. Le groupe a augmenté de 12 % le prix de son laissez-passer mensuel au début de l’année, à 84,10 euros (122 $ CAN). N’eût été une aide d’urgence de dernière minute de 200 millions d’euros de l’État, le bond aurait été de 20 %.

Dans tous les cas, le statu quo n’est plus envisageable au Québec, dit la ministre.

Elle rappelle que son gouvernement a fourni des fonds d’urgence de plus de 1,4 milliard pour éponger les déficits des sociétés de transport depuis le début de la pandémie. Et répète que cet argent a été « donné », alors qu’en France, les aides publiques se sont souvent traduites par des prêts, remboursables à long terme.

De nouvelles aides devraient être annoncées au budget provincial du 21 mars prochain. Ce sera la dernière fois. Geneviève Guilbault tient à conclure une entente de financement de cinq ans d’ici la fin de l’année, qui devrait inclure des sources de revenus plus diversifiées pour les agences de transport.

« Ça va nous mener en 2028. Après, on aura la paix et on pourra passer à autre chose. »

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L’intérêt de Geneviève Guilbault pour le transport collectif contraste avec l’image que plusieurs se font d’elle, celle d’une « fille de Québec » plus allumée par les routes et les tunnels (routiers) que par les métros. Elle reconnaît que le dossier des transports en commun monopolise une bonne partie de son temps, et essaie d’être présente à Montréal aussi souvent que possible depuis le début de son mandat.

« Je suis la ministre DES tunnels », me lance-t-elle, mi-figue mi-raisin.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Geneviève Guilbault avec la mairesse de Montréal, Valérie Plante, lors de l’annonce d’un investissement pour le prolongement de la ligne bleue du métro, en janvier dernier

La vice-première ministre rentrera ce mardi au Québec après une série de rencontres avec des élus et dirigeants de sociétés de transport à Stockholm, en Suède – le deuxième volet de sa mission européenne. Un retour devancé d’une journée en raison de la crise qui s’amplifie dans les succursales de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ).

Elle se lancera plus tard ce mois-ci dans une série de consultations en vue de boucler son plan de financement pluriannuel pour les transports en commun.

Ses autres priorités à court terme : régler le bordel à la SAAQ, relancer le dossier du troisième lien (« on attend les études à jour ») et faire progresser les projets de transport collectif dans l’est de l’île de Montréal et sur la Rive-Sud.

En métro ou en limo, son printemps s’annonce chaud.

1. Lisez l’article « Transport collectif : l’ARTM veut livrer le service “comme une seule business” »